Construire des bibliothèques : concevoir des espaces pour l’apprentissage, les bibliothécaires et l’information

Congrès du groupe de travail Architecture de Liber – 27 au 29 avril 2022, université du Luxembourg

Oliver Blake

Le séminaire Liber LAG (groupe de travail Architecture de Liber) s’est tenu du 27 au 29 avril 2022 à l’université du Luxembourg. Cette 20e édition était placée sous la thématique Designing for Learning and Scholarship: a challenge for librairians, architects, and all (Concevoir pour l’apprentissage et la recherche : un défi pour les bibliothécaires, les architectes et tous les autres).

Le bibliothécaire et l’architecte

La relation entre bibliothécaires et architectes n’est peut-être pas évidente de prime abord mais pour qu’une bibliothèque réponde efficacement aux besoins de ses utilisateurs, de son personnel et de ses collections, il est essentiel qu’elle dispose d’un bâtiment fonctionnel et adapté aux différentes formes d’apprentissage et aux différents services, équipé pour stocker et conserver les informations. Mais nous attendons encore plus de ces bâtiments : nous voulons aussi qu’ils nous inspirent.

Le séminaire Liber LAG peut être décrit comme un regard à 360 degrés sur les bibliothèques en tant qu’élément physique, de l’extérieur vers l’intérieur. Le paysage des bibliothèques a changé de manière spectaculaire depuis la première édition du séminaire Liber LAG en 1976 mais ce qui est resté inchangé, c’est le besoin d’un bâtiment de briques et de mortier pour stocker des informations de manière ordonnée, accessible à toute personne qui y pénètre. Les changements récents dans la manière de stocker l’information et d’y accéder ont conduit à des questions fondamentales sur la nécessité de bibliothèques physiques mais le séminaire a clairement montré que les bibliothèques ne se limitent pas à l’information et que la numérisation n’a pas réduit le besoin de bâtiments physiques, même si les bibliothèques ne sont pas à l’abri de ces changements. Les bibliothèques ont été et seront toujours, continuellement remodelées et définies par l’évolution de la science et de la technologie.

La création de bibliothèques répondant non seulement aux besoins d’aujourd’hui mais aussi à ceux des 50 prochaines années nécessite un dialogue entre bibliothécaires et architectes. L’organisatrice de l’événement, Marie-Pierre Pausch, présidente du groupe Architecture de Liber et directrice de la bibliothèque de l’université du Luxembourg, a ouvert la conférence sur ce sentiment : « Je souhaite un dialogue entre bibliothécaires et architectes, car c’est la clé du succès. J’espère que vous trouverez l’inspiration ici. » L’inspiration est venue des différents projets de bibliothèque et exemples exposés tout au long du séminaire, sources d’échanges au sein de l’auditoire, composé en grande partie de bibliothécaires d’institutions axées sur la recherche, d’architectes et de professionnels du design. Malgré la diversité des projets exposés, sont revenus constamment dans les présentations les zones de silence, les services d’assistance, les espaces d’étude et la demande pendant les périodes d’examen. Quels que soient le budget et la taille de l’institution, il est clair que ce sont là les dénominateurs des bibliothèques de recherche. Un autre sujet a été fréquemment évoqué par les intervenants et les participants : le plaisir de participer à nouveau à un événement physique, et d’interagir avec des bibliothèques ainsi qu’avec les personnes présentes.

Les visites d’établissements, source d’expériences directes

Après un report de deux ans dû à la pandémie, le séminaire s’est déroulé sur le Campus Belval de l’université du Luxembourg, situé au sud de la capitale, près d’Esch-sur-Alzette. En raison du sujet du séminaire, l’aspect présentiel était important afin que les participants puissent faire l’expérience directe des espaces d’apprentissage. C’est pourquoi le séminaire s’est d’abord concentré sur le Campus Belval lui-même. Situé dans une ancienne usine sidérurgique, le tout récent campus a insufflé une nouvelle vie à une zone qui était largement inutilisée depuis la faillite de l’aciérie en 1997. Des bâtiments modernes en verre côtoient d’anciens hauts fourneaux et cheminées, et s’enchevêtrent parfois entre eux, rappelant clairement l’ancienne utilisation du site, symbole de l’industrie lourde, aujourd’hui dédiée à la nouvelle économie du savoir. Les boulevards dégagés de ce site de 120 hectares font partie d’un vaste projet de réaménagement comprenant des logements et des entreprises, en plus de l’université du Luxembourg. Toutefois, l’accent a surtout été mis sur le noyau éducatif du site : La Maison du livre (Luxembourg Learning Centre).

La bibliothèque-vitrine de l’université, inaugurée en 2018, est exemplaire du caractère du campus. Le bâtiment est relié à un ancien entrepôt appartenant à l’aciérie. Des appareils industriels monumentaux se trouvent encore au sein de la bibliothèque à côté des espaces d’étude et des étudiants. Les urbanistes et les architectes responsables du réaménagement ont souligné les différents défis que représente l’approche de cette structure historique, dans une tentative architecturale de documenter et de préserver le patrimoine du site tout en concevant un espace de travail moderne et fonctionnel pour les étudiants de l’université. « Lorsque vous visiterez la bibliothèque, vous ne verrez pas les heures que nous avons passées à discuter des moindres détails », a précisé Marie-Pierre Pausch. Mais une fois à l’intérieur, il était évident que beaucoup de temps avait été consacré à la réalisation d’un bâtiment aussi impressionnant que fonctionnel.

Le programme prévoyait également une visite de la Bibliothèque nationale du Luxembourg (BNL). En tant qu’institut national, la BNL fonctionne comme une bibliothèque patrimoniale, publique et de recherche, chargée de représenter et de répondre aux besoins de l’identité multinationale et multilingue du Luxembourg. L’ancienne directrice de la bibliothèque, Monique Kieffer, et l’architecte du bâtiment, Julia B. Bolles-Wilson, ont parlé du développement de la bibliothèque en guise de prologue à la visite, pendant laquelle les bibliothécaires de l’établissement ont servi de guides pour permettre un examen approfondi du site, mettant en lumière la fonctionnalité des bâtiments au quotidien. Cette combinaison d’une vision descendante de la planification et d’une vision ascendante des bibliothécaires en activité a fourni une perspective éclairante et complète de l’espace, de la théorie à la pratique. De par son utilisation et sa forme, le bâtiment contraste avec La Maison du livre de l’université du Luxembourg, mais chacun des deux sites est impressionnant.

Des réponses adaptées à la diversité des situations

En plus des visites de bibliothèques, la conférence a semé des graines d’inspiration et de dialogue sous la forme de présentations de tout un éventail de bibliothèques, montrant leur conception, leurs caractéristiques, leurs singularités et la façon dont les problèmes initiaux ont été résolus une fois les bibliothèques ouvertes, qu’il s’agisse de gérer l’espace en période d’examens ou de problèmes d’acoustique et d’insonorisation, illustrant l’ingéniosité des bibliothécaires.

Deux exemples ont illustré la diversité des bâtiments utilisés et l’éventail des exigences imposées à ces sites. En tant que site patrimonial, l’emblématique Long Room du Trinity College de Dublin, en cours de rénovation avec un budget très conséquent, a transcendé son rôle de bibliothèque universitaire pour aussi devenir désormais une attraction très photographiée, exposant des objets de ses collections et attirant des touristes du monde entier. Cette notoriété entraîne des défis uniques pour le bâtiment et les documents qu’il protège, notamment celui de la mise aux normes de sécurité modernes d’un bâtiment du XVIe siècle, tout en respectant son histoire et sa conception, et en veillant à ce que ses précieuses collections restent protégées.

Proposant une expérience très différente de la précédente, la bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle de Paris a, quant à elle, présenté son approche ingénieuse afin d’utiliser de la meilleure façon un budget limité pour réaffecter et transformer une bibliothèque sous-utilisée. Les images de la présentation montraient une équipe de bibliothécaires unissant toutes leurs forces, réaffectant des bureaux et expérimentant des projets pour attirer et faire participer de nouveaux usagers de la bibliothèque.

La bibliothèque de l’université de Delft a montré comment une bibliothèque emblématique évolue pour répondre à des objectifs modernes et à l’évolution des attentes des utilisateurs 25 ans après son achèvement, tandis que le bâtiment Emily Wilding Davidson, Royal Holloway de l’université de Londres a montré comment la conception d’une bibliothèque respecte l’architecture d’un campus historique lors de la planification d’un nouvel équipement. La Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne a exposé, pour sa part, les difficultés de mener une rénovation tout en restant ouverte.

L’impact de la pandémie sur la conception des espaces publics

La pandémie de Covid-19 s’est invitée dans les débats sur la façon dont les gens réagiront aux espaces publics et partagés dans les bibliothèques. Cette question a été soulevée après la présentation de la future bibliothèque Gabriel García Márquez de Barcelone, dont l’ouverture est prévue dans le courant de l’année. Le succès du bâtiment reposera sur ses espaces mixtes et les interactions humaines qui s’y dérouleront. Les architectes responsables du projet ont expliqué que, selon eux, la pandémie de Covid-19 avait suscité un intérêt renouvelé pour l’interaction humaine et avait confirmé l’importance du contact avec les autres. Leur présentation a véhiculé une philosophie que l’on peut résumer ainsi : « La bibliothèque est la maison de tout un chacun. » Leur réponse a offert un aperçu des répercussions durables que l’expérience de ces deux dernières années pourrait avoir sur la conception des bibliothèques, et des changements qu’elle pourrait susciter dans la conception d’espaces publics à usage social.

Ce point sur les interactions humaines est révélateur : le séminaire LAG porte bien sur l’architecture mais il porte également sur les personnes et la manière dont elles réagissent dans les espaces où elles accèdent à la connaissance. Les bibliothèques permettent des interactions et des expériences pour les utilisateurs, c’est le but ultime. La présentation d’Aat Vos, du cabinet d’architectes néerlandais Includi, a mis ce point en évidence. Dans son exposé, les bibliothèques n’ont joué qu’un rôle secondaire tandis que les personnes et les lieux nécessaires à des citoyens heureux, connectés et engagés ont été mis en avant, rehaussant le rôle que peut jouer une bibliothèque.

Qu’est-ce qu’une bibliothèque ?

Discuter de la bibliothèque à partir d’un point de départ architectural, comme le fait cette conférence, soulève des questions beaucoup plus importantes. Qu’est-ce que devrait être une bibliothèque ? La diversité des exemples montrés, des bibliothécaires et des architectes présents à la conférence révèle qu’il existe des réponses différentes, contestées et changeantes à cette question mais qui résident souvent dans les personnes qui l’utilisent.

La bibliothèque est plus qu’un simple lieu de stockage, de classement et de recherche de livres – cela est clair depuis un certain temps déjà. Ce qui a émergé, c’est l’idée que les bibliothèques devraient être des prestataires de services offrant des espaces dédiés pour que les gens apprennent, se réunissent et coopèrent, trouvent des zones de silence ou de discussion, tout en servant de lieu de découverte et d’inspiration, permettant l’organisation d’événements. L’expression Urban living-room ou « salon urbain » est de plus en plus souvent utilisée pour désigner la bibliothèque. Ce terme n’a pas de définition concrète mais il résume la polyvalence, la diversité humaine, la sociabilité et la flexibilité que l’on attend d’une bibliothèque moderne. Et au-delà des services, il fait allusion à un sentiment de confort et d’ambiance chaleureuse.

En ce qui concerne les bibliothèques universitaires en particulier, le séminaire a montré qu’une bibliothèque est de plus en plus un outil-clé pour réduire les barrières entre les services universitaires, faisant fonction de point nodal d’un écosystème éducatif complexe, utilisé comme base référentielle pour des milliers d’étudiants. Les bibliothèques sont également souvent des bâtiments-vitrines, essentiels à l’image de marque d’une université. En ce sens, les bibliothèques servent de connecteurs. Et en tant qu’événement, le séminaire Liber LAG sert lui aussi de connecteur, aux bibliothécaires et aux architectes, initiant des débats qui vont au cœur même de ce que les bibliothèques sont réellement.