Congrès ABF 2022 : « Illettrisme, handicap, publics empêchés : que faisons-nous vraiment ? »

67e Congrès de l’Association des bibliothécaires de France – 2 au 4 juin 2022, Metz

Stéphane Dufournet

Lors de la première journée du 67e Congrès de l’Association des bibliothécaires de France (ABF), une table ronde intitulée « Illettrisme, handicap, publics empêchés : que faisons-nous vraiment ? » rassemblait des membres de la Commission AccessibilitéS de l’ABF qui ont pu témoigner de l’état des politiques publiques pour l’égalité d’accès des publics concernés aux collections et services des bibliothèques.

Des bibliothécaires face au défi de l’accessibilité

La table ronde a pris la forme de témoignages croisés entre trois membres fondateurs de la commission AccessibilitéS : Jean-Rémi François, directeur de la Bibliothèque départementale des Ardennes, qui a coordonné en 2017 le numéro 90-91 de la revue Bibliothèque(s) dédié aux problématiques de l’illettrisme et la campagne de prévention « La bibliothèque c’est pour tous » dans le cadre des Journées nationales d’action contre l’illettrisme ; Hélène Brochard, directrice de la médiathèque municipale de Villeneuve-d’Ascq, qui vient d’être élue présidente de l’ABF et dont le parcours professionnel lui a permis de travailler sur des missions de médiation dans des lieux d’enfermement ou de soins, avec, comme fil directeur, la volonté de déconstruire les stéréotypes sur les publics empêchés pour leur proposer des services documentaires réellement utiles ; et Luc Maumet, consultant pour l’Accessible Books Consortium, une initiative internationale de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) visant à construire une bibliothèque universelle accessible, qui a été pendant plus de onze ans directeur de la médiathèque Valentin Haüy à Paris. Ces bibliothécaires ont décidé en 2019 de fusionner les trois commissions Illettrisme, Hôpitaux / Prisons et Accessibib dont ils étaient respectivement responsables, en une commission unique baptisée AccessibilitéS.

Une valeur commune : la bibliothèque inclusive

Cette nouvelle commission, dont les missions et activités sont exposées sur le site accessibilites.abf.asso.fr, défend « l’accès à la culture et aux savoirs pour les personnes en situation de handicap, d’illettrisme, sous-main de justice et en établissements de santé et médicaux sociaux ». La fusion des trois commissions spécialisées permet de mettre en avant des compétences transverses tout en respectant la diversité des situations et des problématiques d’accès aux bibliothèques.

Les valeurs communes sont l’accessibilité de toutes et tous aux équipements et services et l’inclusion des publics éloignés ou empêchés dans le spectre des politiques publiques, tant au niveau local que national. La commission intervient à ce titre dans la formation des conservatrices et conservateurs territoriaux à l’Institut national des études territoriales (INET) avec la création d’un parcours Accessibilité.

Le travail à accomplir pour le respect des droits culturels reste cependant immense. « Publics éloignés » : cette expression appartenant au vocabulaire des bibliothécaires montre bien le chemin à parcourir dans notre culture professionnelle. Nous devrions renverser la perspective : ce ne sont pas les personnes en situation de handicap, malades, emprisonnées, ayant des difficultés de lecture ou d’écriture qui sont éloignées des bibliothèques, mais bien nos structures institutionnelles qui restent éloignées de ces publics. À partir de ce constat, une démarche d’auto-critique constructive peut être amorcée, visant à rééquilibrer les services proposés pour garantir l’égalité d’accès à la culture.

Bibliothécaires, « Arrêtons de nous mentir ! »

Ce mantra salutaire répété une vingtaine de fois lors des interventions dit bien là où nous en sommes en tant que professionnels : de beaux discours, de belles initiatives, mais une égalité réelle toujours repoussée dans le temps, en raison de la faiblesse des moyens techniques, financiers et humains mis à disposition.

L’acquisition de dispositifs techniques et d’ouvrages accessibles ne suffit pas à construire une politique d’accessibilité : trop souvent encore, les lecteurs de livres au format Daisy, qui permet une navigation structurée dans le document lu, sont achetés par les bibliothèques sans mettre les moyens adéquats en termes de formation des agents et de médiation, provoquant un mésusage. De même, la création par le ministère de la Culture du programme « Facile à lire », qui vise à proposer une offre pour des personnes rencontrant des difficultés dans la lecture du français, a permis la mise en place d’espaces dédiés dans plus de 350 bibliothèques. Cependant, la simple mise à disposition de ces fonds ne suffit pas et doit s’accompagner d’un dispositif de médiation par des formateurs spécialisés. Le rapport de la Mission prospective sur l’illettrisme publié en mai 2022 pointe ainsi la faiblesse des politiques nationales d’accompagnement des élèves rencontrant des problèmes de lecture.

Autre domaine essentiel où l’égalité d’accès tarde à venir : le numérique. Trop de sites et de catalogues de bibliothèque ne sont pas consultables par un logiciel de lecture d’écran alors même qu’ils devraient être conformes au Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité, le RGAA version 4.1. De même, il existe 60 000 livres numériques disponibles pour les personnes déficientes visuelles. C’est à la fois beaucoup, si on rapporte ce chiffre aux collections mises à disposition dans les bibliothèques publiques, et bien peu comparé à la situation ailleurs en Europe : sans doute parce que l’édition de livres audio accessibles est principalement prise en charge en France par le secteur associatif tandis que d’autres pays européens comme les Pays Bas ont fait de cette question une priorité de leur politique culturelle en créant des organismes publics dédiés et bien dotés.

Enfin, les bibliothécaires qui ont témoigné dans cette table ronde ont relevé l’importance de tisser un réseau partenarial autour des projets d’accessibilité pour pouvoir les mener à bien. Il faut alors convaincre ses tutelles de l’importance de mettre en place une politique d’accessibilité dans son établissement en rencontrant les services adéquats (direction de l’emploi, de la solidarité ou des services techniques de la collectivité) : de la prise de conscience du manque à la mise en œuvre réelle des dispositifs, le parcours peut être long et difficile. « Arrêtons de nous mentir » : nous devrons faire preuve de persévérance, de conviction et d’implication, parfois envers nous-mêmes, pour que l’accessibilité de toutes et tous aux bibliothèques de lecture publique mais aussi à l’école et dans l’enseignement supérieur devienne un jour une réalité.