Compte rendu du 53e Congrès de l’ADBU

« Espèces d’espaces : les BU en transition », du 9 au 11 novembre 2024 à Dijon

Julie Briot-Mandeville

Tom Busseuil

Clothilde Chevalier

Du 9 au 11 novembre 2024 s’est tenu à Dijon le 53e Congrès de l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU). Selon la tradition, la première journée a été consacrée aux activités de l’association : l’assemblée générale en matinée a permis d’élire le nouveau bureau, tandis que l’après-midi a été dédiée aux retours des cinq commissions thématiques et à un temps d’échange sur les transformations apportées par l’intelligence artificielle (IA). Les deux jours suivants, les interventions et les échanges se sont succédé sur le thème de la gestion et de la rénovation bâtimentaire face aux enjeux de la transition écologique 1

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Voir le programme complet sur le site de l’ADBU. En ligne : https://adbu.fr/programme2024-2

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Implanter des procédés techniques écologiques dans nos bâtiments

La première table ronde consacrée aux enjeux énergétiques a été l’occasion de communiquer sur les stratégies sociales et environnementales pilotées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR). De nombreux acteurs travaillent à améliorer et à croiser les référentiels permettant de labelliser les établissements engagés dans une démarche de transition. La gestion bâtimentaire occupe une place de choix dans les critères de sélection : engrangeant 40 % des émissions de gaz à effet de serre, le bâtiment est le premier secteur émetteur en France.

Plus que la construction, c’est l’étape d’utilisation d’un édifice (consommation de fluides, transport) qui élève son empreinte carbone. Les projets de rénovation se concentrent donc sur des méthodes innovantes (chauffage par échange d’air, par isolation transparente) pour tenter d’améliorer le fonctionnement existant. En effet, les constructions neuves, plus engageantes financièrement et écologiquement, ne représentent que 1 % des projets en cours. Avec des structures en béton résistantes plus de 200 ans, les rénovations doivent être considérées comme des étapes nécessaires à la vie et à l’adaptation des bâtiments publics.

Comment défendre ces projets sur le long terme ?

Des perspectives pour le financement et l’extension des plans de transition bâtimentaire ont ensuite été évoquées. Si les préconisations incitent à rechercher une empreinte carbone neutre pour la construction de nouveaux bâtiments, elles ne sont pas contraignantes. Dans les faits, l’ambition écologique est souvent renégociée face aux exigences techniques, aux contraintes financières et aux changements d’habitudes qu’elle implique. Plusieurs pistes sont envisagées pour remédier à cette situation :

  • être ambitieux sur les exigences des cahiers des charges, pour s’assurer de respecter les préconisations actuelles mais également les futurs référentiels, potentiellement plus exigeants ;
  • communiquer sur les gains de performance et encourager à la mobilisation pour sensibiliser les destinataires aux impacts bénéfiques d’un projet ;
  • s’assurer l’appui de chargés d’opérations maîtrisant des connaissances juridiques et financières pour garantir le respect des clauses énergétiques ;
  • instaurer un (co)portage du projet avec les collectivités territoriales ;
  • mettre en place des fonds « rénovation » alimentés par les économies réalisées par les projets de consommation énergétique modérée.

Ces pistes, bien qu’encourageantes, ne sont pas généralisables à tout type de projet. Ainsi, un fonds « rénovation » auto-alimenté pourra satisfaire des opérations de court ou moyen terme, mais ne suffira pas pour des rénovations d’ampleur. Or 20 % des bâtiments de l’État relèvent de l’ESR, tandis que 15 milliards d’euros sont nécessaires à la mise à niveau énergétique de ce patrimoine (estimation de France Universités). Comme souligné par un intervenant, les ambitions de construction verte ou de rénovation responsable ne peuvent être nourries uniquement par des fonds encourageant à la transition énergétique : face à l’ampleur des besoins, d’autres ressources doivent être mobilisables.

Mettre en œuvre des chantiers de transformation

Les retours d’expérience de construction et de rénovation de bibliothèques ont visé à mettre la transition écologique à l’épreuve du réel. Le projet de construction du Learning Center à Mulhouse, ouvert en 2020, s’est développé dans un environnement topographique et institutionnel favorable : le campus Illberg est arboré et végétal, et l’Université de Haute-Alsace est engagée dans une démarche de valorisation du développement durable. Un schéma directeur « Aménagement du campus » s’articule ainsi autour des espaces verts écoresponsables et de la biodiversité. Dans ce cadre exigeant, la maîtrise d’ouvrage s’est appuyée sur des études et des simulations dynamiques tenant compte du contexte climatique du site. L’orientation du bâtiment, le vitrage à contrôle solaire, la rampe en béton et le puits canadien participent aujourd’hui à optimiser l’inertie et la stabilité thermiques de la structure, et ce faisant à améliorer le confort et la qualité d’usage.

L’enjeu de la réussite étudiante et de la qualité de vie au travail anime également la transformation de la bibliothèque universitaire Belle-Beille à Angers (BUA). Rendue nécessaire par l’augmentation des coûts, la rénovation énergétique achevée en 2023 sera suivie d’une étape de rénovation intérieure. Au cours d’une réflexion longue, échappant à la temporalité des mandats politiques, l’équipe-projet a exploré toutes les facettes de la sobriété énergétique afin de répondre à trois impératifs : réduction de la consommation énergétique, robustesse et durabilité des installations, utilisation efficiente des espaces. Une stratégie des petits pas, fondée sur l’expérience du quotidien et garante du « vieillir avec grâce ». L’accueil par la bibliothèque d’autres personnels de l’université lors des fermetures administratives s’inscrit dans cette logique de mutualisation, sans manquer de poser la question de la cohabitation des usages 2

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Frédéric Desgranges, « Sobriété et attractivité : la BU Belle Beille en transition(s) », BUApro, 18 novembre 2024. En ligne : https://blog.univ-angers.fr/buapro/2024/11/18/sobriete-et-attractivite-la-bu-belle-beille-en-transitions/

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La sobriété énergétique est également l’objectif annoncé du projet de la BU Sciences humaines et sociales de Lille, dont la livraison est prévue pour la rentrée 2026. La réhabilitation des espaces professionnels, publics, et des magasins de conservation, doit permettre de réduire la consommation énergétique globale du site de 60 % par rapport à 2017. Revêtements de sol issus du recyclage de filets de pêche, charpente de la verrière composée de matériaux biosourcés, installation de panneaux solaires photovoltaïques, récupération des eaux de pluie : autant de moyens de réduire l’impact carbone et de maintenir sur le long terme un haut niveau de performance énergétique. La compacité du bâtiment existant et la densification des usages soutiennent cette ambition.

Dessiner des trajectoires pour l’enseignement supérieur

La traditionnelle « matinée politique » de clôture visait à réfléchir dans une perspective plus globale à la transition écologique dans l’enseignement supérieur.

Elle a d’abord exploré les mécanismes de gestion du patrimoine des universités, qui leur permettent plus ou moins d’agir en matière de transition écologique. La dévolution du patrimoine aux universités, effective à partir de 2011 à l’Université Clermont Auvergne, a été jugée très positive par son président Mathias Bernard : l’autonomie permet selon lui de répondre plus efficacement et rapidement aux besoins locaux, et d’avoir des interactions plus faciles avec les partenaires des projets. La programmation pluriannuelle des dotations de l’État permet également de faciliter la planification des travaux. Le rapport Défis et opportunités dans la gestion du patrimoine immobilier des établissements ESR 3

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Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), Défis et opportunités dans la gestion du patrimoine immobilier des établissements ESR, 17 juillet 2024. En ligne : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/defis-et-opportunites-dans-la-gestion-du-patrimoine-immobilier-des-etablissements-esr-96844

, ainsi que le Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire (RESES), soutiennent d’ailleurs la généralisation de la dévolution.

Le ministère a défini trois actions auxquelles l’université doit prendre part en matière de transition écologique : la formation sur ces sujets, la recherche et l’innovation pour trouver des solutions, et enfin l’adaptation des universités en tant qu’opérateurs. Les objectifs bâtimentaires ou énergétiques ne sont donc pas les seuls poursuivis ; certaines universités comme Paris-Saclay ont décidé en priorité de développer les enseignements, au point de dispenser une formation obligatoire aux enjeux du développement durable à l’intégralité des étudiants de niveau L3 (3e année de Licence). Les résultats d’une enquête du RESES auprès des étudiants sur leurs convictions écologiques montrent qu’ils sont très sensibles et demandeurs d’actions au niveau même des universités. Pour les bibliothèques, cela implique de développer de la documentation et des ressources au service de la communauté universitaire.

Au sein des universités, les bibliothèques apparaissent comme des actrices essentielles de toutes ces discussions, mais leur voix n'est pas toujours entendue. Le constat général est qu’une meilleure représentation dans toutes les instances, comme le comité de pilotage développement durable et responsabilité sociétale (DDRS) de l’établissement, est cruciale.

Prochaine étape : réfléchir à la sobriété numérique ?

Ces journées ont été riches d’interventions et d’échanges sur les questions écologiques en bibliothèque, principalement sur les problèmes d’immobilier. Mais un autre sujet brûlant n’a pas été abordé lors de ce congrès : la sobriété numérique. Il s’agit pourtant d’un enjeu en termes de quantité de données stockées par nos bibliothèques, d’accessibilité en ligne 24 heures/24, ou d’usage de l’IA gourmande en énergie. Nous n’en sommes sans doute qu’au début des réflexions sur ce sujet important, qui nécessitera certainement des choix forts dans les années à venir.