Bibliothèques jeunesse : quelles évolutions ?
Médiathèque d'Orléans, 30 mars 2015
Une journée professionnelle répondant à la problématique « Bibliothèques jeunesse : quelles évolutions ? » a eu lieu à la médiathèque d’Orléans le lundi 30 mars 2015. Elle a été organisée par l’association « Livres de jeunesse en fête » (regroupant des bibliothécaires jeunesse du Loiret, cf le blog de l’association)et par l’ABF Centre.
Repenser la place des jeunes en bibliothèque
Cette question a été abordée par Jean-Claude Utard
(conservateur des bibliothèques de la Ville de Paris)
On observe en bibliothèque une stagnation du nombre d’inscrits et de prêts, mais une augmentation de la fréquentation. Les relations entre bibliothécaires et ados sont parfois problématiques car les pratiques de ces derniers bouleversent les usages habituels : la place de l’enfant dans la société a changé et le numérique est devenu prépondérant. Comme les adolescents sont les adultes de demain, leurs pratiques vont se propager et les bibliothèques doivent s’adapter à ces nouveaux usages.
Le public jeune n’est pas homogène : petite enfance, enfance, pré-adolescence, adolescence, voire « adulescence »… Face à cette diversité, plutôt que de raisonner en secteurs (sauf pour les tout-petits, qui ont besoin d’un espace réservé à l’oralité), il vaut mieux penser en « itinéraires », créer des lieux passerelles favorisant le lien intergénérationnel et répondant à des besoins divers : si environ la moitié des ados vient pour travailler au calme, l’autre moitié cherche plus de convivialité.
On a donc plutôt besoin de bibliothèques familiales agréables pour tous. Quand la conception des bâtiments impose le cloisonnement des sections, la médiation doit pallier ce défaut. Il est possible de mélanger un minimum les collections en mêlant par exemple documentaires adulte et jeunesse. Les mélanges favorisent la découverte.
Diverses actions sont possibles : créer de véritables versions « jeunesse » des portails de bibliothèques, proposer des présentoirs intergénérationnels, des animations numériques innovantes… Les bibliothécaires peuvent aussi conseiller le public sur le numérique.
Les bibliothèques devraient, dans l’idéal, être des « forêts de propositions » et surprendre leurs publics, par exemple en associant les lecteurs à leurs actions (clubs de lecture), en créant des « pôles parentalité » pour prendre en compte le public parental, en étant visibles sur la Toile, en s’inscrivant dans des politiques publiques…
Bibliothèques et TAP :
l’exemple du réseau des bibliothèques de Bordeaux
présenté par Mathilde Cailliet
Avec la réforme des rythmes scolaires, les bibliothèques sont souvent sollicitées pour intervenir lors des TAP (temps d’activités périscolaires), ce qui a mené à une redéfinition des relations entre bibliothèque et école, et confirme le rôle de médiateur culturel des bibliothécaires.
A Bordeaux, les agents de toutes sections ont pu participer à la mise en place des TAP afin de répondre à un désir de transversalité et de marquer une rupture avec le traditionnel accueil de classe. Suite à un travail d’élaboration collectif, plusieurs parcours thématiques ont été proposés, parmi lesquels :
- « Mille et une nuits » : activités autour de contes, musique orientale avec des « blind test », « Just Dance » thématique…
- « Destination Japon » : création d’haïkus, illustrations, travail sur l’expressivité avec dessins patrimoniaux et dessins de mangas
- « Mon quartier au fil du temps » : activités avec documents du fonds local, puzzle à base d’images d’archives, création d’un jeu d’invention collaboratif inspiré de romans d’anticipation…
- « Cinéma en tout genre » : analyse d’affiche de films, création d’affiches décalées (puis exposition), découverte de bandes originales, dessins inspirés par ces écoutes.
Ces parcours montrent une diversification des formes d’accueil jeunesse. Des animateurs sont intervenus, mais le mode de fonctionnement a surtout été l’auto-formation et l’échange de compétences entre bibliothécaires.
En partenariat avec d’autres acteurs, les bibliothèques ne devraient pas hésiter à proposer des actions variées aux usagers : ateliers de lecture à voix haute, aide aux devoirs, préparation du bac…
L’offre éditoriale pour la jeunesse : ce qui a changé
Cette thématique a été abordée par Marie Lallouet
(rédactrice en chef de la Revue des livres pour enfants)
L’offre éditoriale pour la jeunesse a connu une révolution en trois temps : d’abord dans les années 1960. Avec le passage de l’obligation scolaire à 16 ans, l’enfance se prolonge et on voit l’essor de collections comme Plein Vent ou Médium à l’École des Loisirs. A la fin des années 1990, c’est le succès « Harry Potter », la couverture reste typée « jeunesse » mais le public s’élargit. Enfin, à partir de 2005, la vague « Twilight » marque le début d’une troisième phase. La couverture ne détermine pas d’emblée le public… c’est l’explosion de la « young adult ». La littérature s’internationalise encore plus.
La loi de 1949 réglementant les publications destinées à la jeunesse est toujours en vigueur et il y a peu de rappels à l’ordre, même si quelques éditeurs se placent d’emblée en-dehors du périmètre de la loi (Exprim’ chez Sarbacane, Doado au Rouergue, MSK…).
Le champ marketing des romans pour adolescents est plus vaste puisque l’adolescence commence plus tôt et se termine plus tard (études plus longues, arrivée tardive du premier enfant). La frontière entre livres jeunesse et ado est plus floue tout comme celle entre littératures ado et adulte. Il y a un fort engouement pour la littérature de genre, avec des best-sellers adaptés au cinéma appartenant à des genres qui relevaient auparavant de la contre-culture : heroic fantasy après le Seigneur des Anneaux, bit-lit avec Twilight, dystopie avec Hunger Games, et plus récemment encore « sick-lit » avec des personnages malades comme dans Nos étoiles contraires…
Garçons et filles ont-ils les mêmes lectures ? D’un point de vue marketing, il est plus facile de vendre des livres typés par genres que de « faire mixte ». Cette séparation de l’offre éditoriale semble être une régression à première vue puisqu’elle entretient des stéréotypes, constat un peu nuancé dans la mesure où des livres qui ont le défaut de véhiculer des clichés peuvent être intéressants pour d’autres raisons. Le « sexe » du livre est déterminé par le sexe des protagonistes, et on voit que beaucoup de genres se féminisent. Les filles sont plus « mixtes » que les garçons dans la mesure où elles vont lire un livre dont le héros est un garçon alors que l’inverse est moins vrai. Ces constats sont le reflet de problèmes de société : les filles lisent plus et l’illettrisme est majoritairement masculin. Les grands phénomènes éditoriaux ne sont pas tous mixtes : Harry Potter l’a été tandis que Twilight a été bien plus lu par des filles.
On note un fort rapprochement entre littérature et cinéma. La littérature de genre est en effet propice à des adaptations à gros budgets. Le succès d’un livre peut souvent être relancé par le succès du film, mais, dans de nombreux cas, les romans « young adult » adaptés au cinéma étaient déjà des best-sellers avant.
Concernant le numérique, on ne peut pas vraiment parler de « littérature numérique » : les usages sont au cœur du débat, non les œuvres. Les lecteurs numériques lisent aussi sur papier ; les liseuses sont plutôt utilisées par les bons lecteurs, tandis que les tablettes multitâches sont plutôt plébiscitées pour leurs applications (parmi lesquelles des adaptations de livres-jeux pour les petits). Le rapport entre lecteurs et auteurs peut être modifié par l’édition numérique (auteurs plus accessibles), et l’écriture est ouverte à un plus large public… mais globalement, on observe dans l’édition numérique un repli des investissements à cause de problèmes de financement.
Tant au niveau des publics que des genres, on voit que la littérature pour ado s’élargit, au point qu’on peut la considérer comme la nouvelle littérature populaire.
Jeux vidéo et livres numériques
Un retour d’expérience proposé par Olivia Maigre
(bibliothèques de Saint Jean de la Ruelle)
Les bibliothèques de Saint-Jean-de-la-Ruelle (Loiret) forment un réseau de trois bibliothèques, une centrale et deux annexes dans deux quartiers populaires où la proportion des jeunes est assez élevée. 75 % des enfants jusqu’à la fin de l’école primaire sont inscrits dans une des bibliothèques de la commune.
Les objectifs étaient multiples : créer des lieux de convivialité, empêcher que les bibliothèques aient une image uniquement « scolaire », accompagner les usagers dans ces nouvelles pratiques, et enfin attirer et fidéliser un public non fréquentant.
Le personnel a été formé et une charte d’emprunt (pour les liseuses) a été rédigée. Huit liseuses et Deux consoles (Wii U et PS3) ont été achetées, pour un budget de moins de 3 500 euros.
Les consoles et jeux vidéo sont régulièrement mis à disposition du public dans chaque bibliothèque, à tour de rôle et pour une demi-journée (premier mercredi du mois pour l’annexe du Chat Perché, deux fois par mois pour l’annexe Colette-Vivier). Le prêt des consoles n’est pas prévu puisque l’objectif est plutôt de faire des lieux de convivialité et d’apprendre aux enfants à vivre ensemble. Au bout d’un an, le bilan est très positif : plus de mille personnes sont venues jouer, beaucoup d’enfants n’étant pas équipés chez eux. Le jeu vidéo encourage la mixité dans des quartiers où elle ne va pas de soi. La fréquentation des bibliothèques est en hausse ainsi que les prêts : augmentation des prêts de 20 % et 35 % dans les deux annexes. Les jeux vidéo sont donc un bon produit d’appel pour faire revenir un public de jeunes garçons, qui finalement empruntent aussi !
Les liseuses ont été mises en place plus tard et on note 11 emprunts jeunesse (49 emprunts adulte). La liseuse est vue comme un objet plutôt « austère » (par rapport à la tablette) et attire effectivement plutôt des bons lecteurs ; cependant la possibilité d’emprunter des liseuses participe à la modernisation de l’image des bibliothèques, également actrices de la lecture numérique.
Tablettes et heure du conte numérique
Un retour d’expérience à la Médiathèque d’Orléans,
présenté par Claude Mignet
L’installation de tablettes et la mise en place d’une heure du conte numérique s’inscrit dans le projet « Orléans, ville numérique » et dans le projet d’établissement de la médiathèque. Il y a 2 tablettes dans chacune des 6 bibliothèques de quartier et 2 tablettes en jeunesse à la médiathèque centrale. Le modèle choisi a été l’iPad car il est facile à utiliser, connu du public, il offre a priori une bonne autonomie et un bon choix d’applications. Chaque appli est achetée une fois puis installée sur toutes les tablettes. Actuellement, 109 applications sont installées, dont 36 pour les jeunes. Les tablettes montées sur des socles à roulettes ont été mises en circulation en juillet 2014, et d’abord laissées en libre consultation ; mais face au succès de l’entreprise, on a dû réduire leur utilisation à 30 minutes puis mettre en place un planning avec inscription préalable obligatoire.
L’autonomie est un peu décevante, les tablettes doivent être rechargées le midi. Chaque jour un nettoyage est nécessaire, physique (traces de doigts…) et interne (suppression des fichiers téléchargés, photos…).
Les applications sont des adaptations de livres ou des « natives » : des histoires, des documentaires ; des petits logiciels de création tels qu’EasyStudio pour la réalisation de petits films d’animations… et des applications de jeux.
Les ressources utilisées pour la veille sont le site de la Souris Grise, Takam Tikou et La Revue des Livres pour enfants. Une application coûte entre 1,5 euros et 4,5 euros environ, mais les prix ont tendance à augmenter. Les applications qui plaisent le plus sont celles qui mêlent jeu et création comme Toca Hair Salon… mais l’application la plus souvent ouverte en réalité reste google pour le surf sur internet.
L’heure du conte numérique a lieu une fois par mois (deux séances). Il s’agit de raconter un album dont les illustrations sont projetées sur un mur-écran ; soit le bibliothécaire fait défiler lui-même les images au fur et à mesure de l’histoire, soit c’est un (ou plusieurs) enfants qui font défiler les tableaux. Ces animations sont des occasions d’échanges avec les parents. Au début, certains étaient un peu réticents, il est alors essentiel d’expliquer que ce n’est qu’un service complémentaire qui ne remplace pas les livres.