Bibliothèque en (r)évolution

Journée MOBILIS/ENSSIB – Le Mans – 27 avril 2017

Christine Tharel-Douspis

Cette journée régionale initiée par la commission lecture publique de Mobilis 1 et organisée en partenariat avec l’ENSSIB 2 avait pour thème « Bibliothèque en (r)evolution, en évolution ? ».

Repenser la bibliothèque est au cœur des préoccupations des professionnels depuis plus d’une décennie, une (r)évolution toujours en marche avec aujourd’hui l’apparition de nouvelles pratiques. Les mots-clés de cette rencontre qui réunissait 120 professionnels des Pays de la Loire sont les suivants : réseaux sociaux, usages différents et mouvants, BiblioRemix, co-construction, design thinking, expérience utilisateur, médiation sans oublier Pechakucha !

La première intervention de la journée, celle de Louis Wiart (chercheur postdoctoral à Paris 13, attaché au LabSIC/Labex ICCA) portait sur les réseaux sociaux et le livre.

Une présentation en deux temps permet de restituer deux enquêtes : la première sur la prescription littéraire et les réseaux sociaux (à paraître aux Presses de l'ENSSIB en 2017), la seconde sur l'usage et la présence des bibliothèques sur les réseaux sociaux (étude BPI).

Les réseaux sociaux dédiés au livre

Depuis les années 1990, les réseaux sociaux et plus largement Internet jouent un rôle important en termes de prescription littéraire, au regard notamment d’une offre éditoriale pléthorique. Louis Wiart distingue trois périodes, mutations et tendances.

- Le temps des pionniers avec l’apparition de services web dédiés à la prescription (Zazieweb), à la fois des lieux d’échanges (forum), d’évaluation, de récréation (quiz), de contribution et de consommation.
- Le temps de la prolifération et de la professionnalisation qui voit la création de start-ups (Babelio) et l’arrivée des maisons d’édition, des chaînes de libraires, des opérateurs de téléphonie et des éditeurs de logiciels. La prescription s’industrialise et se monétise.
- Le temps de la concentration qui fait suite à un essoufflement, est marqué par une pérennisation de certains sites comme Babelio et Sens critique et une polarisation de la prescription : démocratisation de l’accès à la visibilité, absence de longue traîne et de certaines littératures comme les littératures régionales, de genre ou jeunes adultes par exemple.

Louis Wiart souligne pour conclure l’effet caisse de résonance des réseaux sociaux : les best-sellers, les livres les plus chroniqués sont ceux qui concentrent encore plus de visibilité et les titres de catégorie intermédiaires (entre 2000 et 50 000 exemplaires) sont ceux qui perdent le plus.

La présence des bibliothèques sur les réseaux sociaux

Pour cette étude commandée par la BPI et le ministère de la culture, Louis Wiart a interrogé à la loupe les pratiques de cinq bibliothèques : Brest, Louise-Michel à Paris, Metz, Quimperlé et la BNF.

En quoi et comment ces bibliothèques se saisissent-elles des réseaux sociaux, comment leur présence est-elle pensée et qu’induisent ces initiatives ?

Les bibliothèques sont surtout présentes sur Facebook et Twitter. Elles publient, selon un rythme quotidien, des informations mettant en avant leurs activités, des événements en lien avec les acteurs culturels du territoire, des publications liées à leurs collections et des informations liées à la veille professionnelle. La publication sur YouTube est plus aléatoire (captations vidéo d’événements ou des critiques d’œuvres) et l’identité des bibliothèques y est moins importante.

Les contenus très divers empruntent à différents codes ou modes. Le discours officiel et institutionnel côtoie souvent une logique conversationnelle qui vise à donner une image de proximité et de convivialité, c’est-à-dire une position à cheval entre deux logiques. La connaissance des publics est plutôt empirique. Les usagers qui suivent leurs bibliothèques sur les réseaux sociaux ne sont en général pas des usagers lambda. Ils entretiennent un lien affectif avec leur bibliothèque, sont très investis et conscients des enjeux métier, se retrouvent dans l'image véhiculée ; leur démarche est militante.

En termes de stratégie, ces bibliothèques se sont lancées en général en toute liberté, sans attendre forcément la validation de leur tutelle. L’évolution de leur présence varie selon la compétence des personnels en charge des projets et des budgets alloués. La mobilisation des équipes est tout l’enjeu de la pérennisation de cette présence.

Si les réseaux sociaux constituent pour certains un espace de laboratoire et d’expérimentation de la marque « Bibliothèque » (exemple de Miss Média à Metz), la tendance actuelle la plus générale est de rester soi-même, dans la continuité de la présence physique.

La présence des bibliothèques sur les réseaux sociaux, conclut Louis Wiart, permet de garder le contact avec le public. Cette présence à distance amplifie le lien de l'usager avec les professionnels. Les réseaux sociaux ne bouleversent pas vraiment le champ des pratiques mais fortifient le lien, rapprochent les professionnels des usagers, donnent à voir le dynamisme, accompagnent l'évolution des bibliothèques vers le 3e lieu et permet de rompre avec l’image stéréotypée des bibliothèques.

Présentation de la bibliothèque Oscar-Niemeyer du Havre

Dominique Rouet (directeur de la bibliothèque Oscar-Niemeyer du Havre) présente ce projet de rénovation comme une aventure de longue haleine. Mené de 2011 à 2015, il a reposé sur un portage politique important et est la conjonction d’une politique de lecture et d’un projet urbanistique forts.

Le Havre, sous-préfecture de 175 000 habitants, mène depuis 2012 une politique publique en faveur de la lecture très volontariste, intitulée « Lire au Havre ». L'ouverture de cette bibliothèque n'aurait pas été possible sans un réseau très dense de huit bibliothèques de quartier et une bibliothèque centrale, sept relais lecture et un bibliobus.

Ce bâtiment, surnommé « le volcan » par les Havrais, construit par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer en 1982, a abrité une maison de la culture, une scène nationale et un cinéma. En 2010, à la fermeture du cinéma, la Ville décide de lancer un grand projet de rénovation avec pour ambition de réhabiliter ce chef-d’œuvre de l’architecture contemporaine inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2005, de redynamiser la partie basse de la ville, de doter Le Havre d’une nouvelle offre culturelle et de moderniser la scène nationale.

O. Niemeyer accepte la remise aux normes de l’ensemble et l'installation en son sein d'une bibliothèque.

C’est aujourd’hui une bibliothèque troisième lieu de 5 200 m2, qui compte 114 000 documents répartis en 12 espaces se caractérisant par des usages multiples et mouvants qui évoluent au fil de la journée et de la semaine. Les différents espaces, modulables et flexibles, sont individualisés grâce à des mobiliers, des jeux de lumière et des couleurs dont l'esprit diffère selon les lieux. L’absence de hauteur sous plafond contribue à créer une atmosphère générale très cosy.

En termes de fonctionnement quelques grands principes sont à retenir :
- l'adhésion gratuite depuis 2009 ;
- une ouverture 54 h par semaine avec toutefois une modularité selon les espaces de la bibliothèque ;
- un assouplissement des règles de prêt ;
- la mise en place d’un robot trieur pour le retour des documents et d’une navette pour le retour partout sur le réseau ;
- l’ouverture du dimanche, voulue par le maire, avec un fonctionnement sur le principe du volontariat (64 volontaires assurent l’ouverture 34 dimanches par an) ;
- l'institution d’un concert le dimanche matin ;
- la création d’un nouveau et vrai magazine des bibliothèques, plus éditorialisé : le Raymond (en clin d’œil à Raymond Queneau) ;
- l'ouverture de la bibliothèque sur le fait local.

Pour conclure, Dominique Rouet souligne un bilan positif marqué par l'appropriation des espaces par le public, des salles de travail qui s’autogèrent, une fréquentation en hausse de 10 % qui se caractérise par des temps de séjour plus longs, le retour des ados, la fréquentation touristique et la nécessité de s’adapter constamment au public. En termes d'évolution, l'équipe souhaite s'engager dans la pratique instrumentale et les jeux vidéo.

« Le nouveau paradigme de la participation » :
une réflexion nouvelle autour des publics

Benoît Vallauri (chargé de médiation culturelle au service Formation-Animation de la médiathèque départementale d'Ille-et-Vilaine), s’attache d’abord à présenter l'ouvrage Construire des pratiques participatives dans les bibliothèques, paru aux presses de l'ENSSIB en 2015 sous la coordination de Raphaëlle Bats, avant de faire un focus sur la démarche BiblioRemix.

La participation a pour fonction première de donner un rôle aux individus dans la démarche de décision, rejoignant en cela un principe d'égalité, insufflant une démocratie et une gouvernance plus citoyenne, proche de l'esprit de l’agora grecque. On y voit aussi l'émergence d'un nouveau pouvoir et de nouvelles valeurs fondés sur l'implication et le partage. Plusieurs niveaux de participation ont été observés, décrits et formalisés par deux Américains, Arnstein &Hart. Sur une échelle qui compte huit niveaux, on peut aller de la simple participation décorative à la prise de décision en commun.

Il y a selon Benoît Vallauri une habitude et une formation à la participation et les bibliothèques ont un rôle à jouer dans l'apprentissage de ces nouvelles conduites. Les professionnels doivent, pour y parvenir, changer de regard, passer de la notion de service public, à celle de service aux publics, avec les publics. Il ne s'agit plus seulement de consulter l'usager mais de repenser avec lui la bibliothèque, de co-concevoir avec lui les politiques publiques.

Benoît Vallauri recense quelques initiatives issues de démarches participatives :
- monter le son, une collection qui vous ressemble à Lyon pour participer à la constitution des collections ;
- la « Bibliothèque des livres vivants » aux Champs-Libres à Rennes pour faciliter la rencontre entre les usagers et les migrants ;
- la plateforme de contribution de Gallica à la BNF qui implique les usagers dans la correction de notices ;
- la « tutotek » de la bibliothèque Louise Michel, un moyen de formaliser l'échange de savoirs et d’intégrer le principe de la participation dans le mode de fonctionnement, dès l'inscription.

Benoît Vallauri évoque enfin les outils et leviers qui légitiment et accompagnent la participation des usagers en bibliothèque :
- la déclaration de Fribourg dans laquelle les droits culturels sont inscrits comme une compétence à part entière et qui envisage la culture de chacun dans sa globalité ;
- les communautés (ateliers Wikipédia, YouTubeurs), groupes de partage de centres d'intérêt et d'expériences peuvent constituer des leviers pour les bibliothécaires ;
- démarche UX, design thinking, BiblioRemix, autant d’outils centrés sur l'observation de l'utilisateur qui permettent de se mettre « à la place de » et de privilégier l'expérience utilisateur 3.

Le BiblioRemix, inspiré du Muséomix, initié en bibliothèque en 2013 par Eric Pichard (directeur adjoint des Bibliothèques de Rennes), est l’outil phare des démarches participatives engagées par les professionnels qui souhaitent réinventer la bibliothèque avec leurs usagers, co-construire avec eux des services innovants.

Ce n'est ni une marque, ni une méthode, encore moins une recette. C'est un marathon créatif qui doit s'intégrer dans un projet et dans un processus participatif. Il rassemble pour un brainstorming environ 25 personnes, des bibliothécaires, des usagers lambda et des personnes expertes dans un domaine particulier (architectes, sociologues ou créateurs), accompagnés de deux animateurs qui doivent veiller que les échanges privilégient empathie et bienveillance. Le BiblioRemix est une parenthèse qui produit un projet mais aussi de « l'agentivité » c'est à dire le pouvoir d'agir d'un groupe.

L'assemblée produit dans un premier temps des questions et des idées innovantes, sans se censurer. Puis le groupe passe à la réalisation d'une idée, au prototypage (tous les freins tels que le budget ayant été évacués).

Un exemple de projet né d'un BiblioRemix : les « 4 C », ateliers mis en place aux Champs-Libres à Rennes. La réflexion portait sur la façon d'impliquer davantage les usagers dans l'action culturelle. Avec ces « 4 C » (pour : création, collaboration, connaissance et citoyenneté), la bibliothèque donne carte blanche à des associations pour des temps d'animation. Les intervenants sont complètement autonomes, force de proposition mais aussi partie prenante. La bibliothèque accompagne les intervenants en termes de logistique et de communication.

Le guide des initiatives en bibliothèques

Réalisé et présenté par Florence Pichon 4 , le guide des initiatives en bibliothèque est à la fois un outil cherchant à innover, un outil de communication auprès des élus, un moyen de rendre visible les projets en cours et un outil pour faciliter les échanges entre professionnels.

La démarche, calquée sur celle de la bibliothèque intercommunale de Lezoux en Auvergne, a permis d’identifier sept grandes thématiques. Une attention particulière a été portée aux projets relatifs à l'accessibilité.

Chaque fiche projet mentionne le porteur du projet, l'objectif, l'historique, le descriptif, les moyens humains et techniques, le financement, les partenariats, la périodicité, les publics visés et enfin les contacts.

La première édition date de 2015, il existe une version numérique et deux mises à jour annuelles.

58 initiatives ont été recensées parmi lesquelles, à titre d’exemples : Bouquin'âge, la pause lecture pour les aînés à Saint-Marc (2014), « Je ne sais pas quoi lire » à Lorient en 2013, le concours bookface à Pénesti et le tournois de jeux vidéo Mario Kart à Baud. Consultable et téléchargeable sur le site Livre et lecture en Bretagne, le guide a été téléchargé 500 fois en 2016 5.

Pour compléter ce tour d'horizon déjà très riche, des professionnels sont venus présenter huit initiatives régionales (en mode Pechakucha).

- Le livre et la lecture dans 5 ans, cycle prospectif 2016-2017 (créé à l'initiative de Mobilis en partenariat avec Stereolux, l'école de design de Nantes et l'IUT de la Roche s/ Yon, avec le soutien de la Maison des sciences de l'homme), ce cycle s’est déployé autour de 5 thématiques : voir autrement, lire ailleurs, apprendre demain, le livre vient à moi, parler d'un livre. Quatre projets ont été modélisés selon le processus de design thinking parmi lesquels : « Parler d'un livre (et si je veux le chanter), une plateforme de critiques sensibles pour la librairie l'Embarcadère à Saint-Nazaire ».

- L'abécédaire de la langue des signes française - médiathèque de Divatte-sur-Loire (44) : présenta-tion par Michael Fortuna d'un abécédaire édité par les éditions Goater Coolture éditions.

- Accueil du public mal/non voyant - Bibliothèque du Mans (72) : l’espace Lire autrement

- Le kit Facile à lire - Service régional des publics empêchés/Ligue de l'enseignement : une opération présentée par Lise Marti, bibliothécaire, chargée de mission Lire en prison dans les Pays de la Loire.

- Rêve ta bibliothèque - BDLA (44) : imaginer des scenarii de réaménagement réalisés au cours du cycle créatif de Stereolux avec l'implication des élus, des habitants et des professionnels de la BDP 44.

- Intégration des usagers dans la vie de la médiathèque de La Montagne (44) pour faire connaître le métier de bibliothécaire, créer une bibliothèque 3e lieu, intégrer les compétences des citoyens, répondre aux besoins des usagers, faire rayonner la médiathèque.

- Quelle bibliothèque pour demain ? Dialogue citoyen de la Bibliothèque de Nantes (44) : un atelier citoyen mis en place en 2016 et présentée par Agnès Marcetteau (directrice des bibliothèques de Nantes).

- #Login : rencontres numériques en bibliothèques - BDS (72). Damien Grelier présente « Média-box », une plateforme collaborative de ressources en ligne : musiques, cinéma, formation, etc. qui compte 3 000 usagers inscrits.

Conclusion

Cette journée a témoigné de la vitalité des bibliothèques et du processus de renouvellement des pratiques mis en œuvre aujourd'hui. Les tendances les plus remarquables étant l'apport du numérique, inscrit désormais au cœur de notre quotidien, et celle de l'expérience utilisateur et des démarches participatives qui interrogent et bousculent un environnement professionnel en (r)évolution permanente.