Actualités de la recherche dans les bibliothèques

Journée Bpi - Enssib – 22 juin 2021

Véronique Heurtematte

Mardi 22 juin se tenait dans la petite salle du Centre Pompidou à Paris la journée « Actualités de la recherche dans les bibliothèques » organisées conjointement par la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et l’Enssib. Les publics, leur confort, les contenus éditoriaux élaborés à leur intention, leurs habitudes de lecture mais aussi leur présence parfois problématique, ont servi de fil rouge à l’ensemble des interventions de cette journée.

Le modèle « troisième lieu » à l’épreuve de la réalité

En 2013, la médiathèque Louis Aragon ouvre ses portes à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) dans un très beau bâtiment en bord de Seine. Son projet d’établissement est inspiré du concept de troisième lieu, informel, très ouvert, et a opté pour l’innovation numérique et l’inclusion sociale comme axes directeurs. Mais très vite, dans ce nouveau quartier en construction sans réel projet urbain, des groupes d’adolescents envahissent la bibliothèque et l’utilisent de manière inappropriée, occupant tous les espaces sans utiliser les services ou les collections, multipliant les incivilités et les comportements agressifs. Les solutions mises en place dans l’urgence pour remédier à la situation, recrutement d’un vigile, création d’un espace adolescent, intervention du service municipal pour la jeunesse, demeurent inefficaces. En 2019, alors que la médiathèque a été choisie comme terrain pour une recherche-intervention pilotée par la Bpi et l’Association des bibliothécaires de France (ABF), le personnel de la bibliothèque exerce son droit de retrait.

Les témoignages de Raphaële Gilbert, directrice du réseau des médiathèques de Choisy-le-Roi de 2013 à 2020, de Marion Moulin, ancienne responsable des partenariats et du développement des publics du réseau des médiathèques, et de Joëlle Bordet, psychosociologue, intervenante de la recherche-intervention menée à la médiathèque Louis-Aragon, sur la crise traversée et le processus ayant permis d’en sortir, ont été un moment fort de la rencontre du 22 juin.

« Nous avions voulu un lieu décontracté mais la bibliothèque était devenue anomique. Nous n’arrivions plus à accomplir nos missions de base », a souligné Raphaële Gilbert après avoir présenté les problématiques à l’œuvre depuis l’ouverture de la médiathèque.

Le retour à la normale se fera grâce au processus de concertation et de dialogue entre tous les acteurs concernés mis en place par Joëlle Bordet. « J’ai constaté qu’il y avait une idéalisation de la médiathèque conçue dans l’esprit troisième lieu, a expliqué la psychosociologue. J’ai éclairé le rôle social de la bibliothèque, montré que le principe de non-exclusion n’interdit pas de dire non quand c’est nécessaire, et j’ai proposé de travailler sur la notion de solidarité entre les différents services municipaux, l’enjeu étant de faire de la bibliothèque un équipement culturel partagé ».

L’équipe élabore une charte d’utilisation qu’elle fait signer aux adolescents. Plus de 1 200 chartes sont signées au cours du premier mois de la réouverture. « On s’est rendu compte que seul un petit nombre de jeunes posait problème, les autres étaient désireux d’utiliser la bibliothèque de manière adéquate. Les autres usagers qui avaient fui lors de la crise, seniors, familles, ont commencé à revenir, a expliqué Marion Moulin. Nous avons pu reprendre la main sur nos fonctions, faire à nouveau de la médiation culturelle. Nous avons aussi reconstruit nos partenariats qui s’étaient élaborés uniquement comme une aide à la gestion de la crise ».

Communication, accessibilité et confort

Les trois mémoires de fin d’étude du diplôme de conservateur des bibliothèques de l’Enssib présentés pendant la journée ont montré une forte attention aux usagers. Dans son mémoire La réception des contenus éditoriaux et éditorialisés produits par les bibliothèques de lecture publique, basé sur une enquête qualitative sur les usagers de la Bibliothèque municipale de Lyon et sur les résultats d’un questionnaire envoyé à neuf grands réseaux de lecture publique, Caroline Lamotte fournit de précieux éléments sur la manière dont les contenus produits par les bibliothèques sont perçus par le public. « Les contenus fournis par les bibliothèques sont jugés fiables mais les usagers sont submergés d’information. Il est préférable d’envoyer des contenus précis à un public ciblé car envoyer à tout le monde, c’est prendre le risque de ne toucher personne, a souligné Caroline Lamotte. Il faut aussi accepter de renoncer à produire certains contenus s’ils ne trouvent pas leur public et aller vers la production audio ou vidéo, plus adaptée aux pratiques actuelles ».

Louis Tisserand a, quant à lui, consacré son mémoire de fin d’étude à la question « Handicap et bibliothèques : quelle formation à l’accessibilité pour les bibliothécaires ? ». Il a souligné l’importance de sensibiliser les personnels au cadre national sur les questions de handicap, de les former, de valoriser les initiatives des bibliothèques en matière d’accessibilité auprès du public, notamment en entamant des démarches de labellisation, de construire des partenariats avec tous les acteurs d’un territoire, de décloisonner la fonction d’accueil des personnes handicapées. « L’accueil des personnes handicapées en bibliothèque doit être pris en charge par tous les agents, pas seulement par les référents handicap, a insisté Louis Tisserand. Et il est indispensable d’inscrire l’accessibilité dans le projet de service ».

Dans son mémoire « Les espaces de détente et de convivialité en bibliothèques : inspirations et nouveaux enjeux », Florence Köll, qui a réalisé son travail d’enquête en 2020 pendant la période délicate de la pandémie, a démontré toute la pertinence de créer des zones de confort et de convivialité dans les bibliothèques universitaires. Luminothérapie, médiation animale, salles de sieste, zones silencieuses : tout concourt à améliorer l’expérience des usagers mais, souligne l’auteure, « cela doit s’inscrire dans une stratégie de services. Les espaces de convivialité doivent être élaborés à partir de démarches d’expérience utilisateur pour être pertinents ».

Et pourtant, ils lisent

Avec son enquête qualitative, toujours en cours de réalisation, basée sur des entretiens qualitatifs menés avec 16 jeunes adultes de 25 à 30 ans, Élodie Hommel, docteure en sociologie et chercheuse associée au Centre Max Weber, est venue nuancer les résultats des grandes enquêtes quantitatives nationales montrant une baisse globale de la pratique de la lecture. En mettant en relation les parcours lectoraux et les parcours biographiques des personnes interrogées, la sociologue a dégagé les grands facteurs qui influencent les pratiques de lecture de cette génération, la proximité des lieux d’approvisionnement (librairies, bibliothèques), l’envie d’acquérir une culture sur un sujet de prédilection ou de se former étant des facteurs facilitant le manque d’argent, la concurrence d’autres pratiques culturelles ou de loisirs pouvant constituer des freins. « La lecture garde une place essentielle dans la construction de la personnalité des jeunes adultes, a conclu Élodie Hommel. Elle permet de prendre confiance en soi, d’affirmer ses valeurs, et constitue un espace de liberté ».

Fréquentation stable de la Bpi malgré la pandémie

Les données de la dernière enquête de fréquentation de la Bpi, présentées par Damien Day du service Études et Recherche de la Bpi, ont montré que, malgré les périodes de fermeture de la bibliothèque et d’ouverture avec des horaires, une jauge et des services réduits en raison de la crise sanitaire, le nombre d’utilisateurs est resté assez stable en 2020. L’enquête a permis de dresser 5 portraits-robots de lecteur : les étudiants nomades représentent un tiers des usagers. Ils viennent pour trouver un environnement studieux, utilisent leurs propres documents et ordinateurs, font des séjours longs. Ce sont des « multifréquentants » opportunistes qui vont aussi à la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (Bulac) et à la Bibliothèque nationale de France (BnF), en fonction des places disponibles. Les télétravailleurs travaillent eux aussi sur leur propre ordinateur. Ils viennent pour l’ambiance, pour sortir de chez eux. Les autodidactes pragmatiques viennent pour les ressources en formation continue de la bibliothèque dont ils utilisent plus volontiers les collections que les deux profils précédents. Les navigateurs numériques viennent, quant à eux, pour se connecter. Ils sont touchés par la fracture numérique et ne possèdent pas d’ordinateur chez eux. Le dernier profil, celui des chercheurs est le moins important en nombre. Ils viennent principalement pour les collections et les services de la Bpi.

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