Actualité de la recherche dans les bibliothèques
Journée Bpi-Enssib – 21 juin 2022
La 11e édition de la journée Actualité de la recherche dans les bibliothèques, organisée par la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) le 21 juin 2022 au Centre Pompidou à Paris, a été dominée par la question de la fréquentation des bibliothèques, et notamment des conséquences sur elle de la crise sanitaire, avec la présentation conjointe de deux enquêtes, l’une portant sur les publics de la Bpi et l’autre sur ceux de la Bibliothèque nationale de France (BnF). La pandémie a aussi renforcé certaines tendances dans les pratiques des usagers concernant l’offre musicale des bibliothèques, objet d’une enquête actuellement en cours du laboratoire de sciences sociales Pacte de l’université Grenoble Alpes (UGA), présentée en début de matinée. La crise sanitaire, étudiée cette fois du point de vue de son impact sur le fonctionnement des bibliothèques, était également au centre de l’un des quatre mémoires soutenus à l’Enssib qui avaient été sélectionnés pour être présentés, comme à l’accoutumée, en seconde partie de journée, les trois autres sujets d’étude étant la lecture publique en zone de montagne, le rôle des bibliothèques universitaires (BU) dans les politiques publiques des données de la recherche, et les plateformes de dépôt et d’archivage des travaux étudiants.
Un renouvellement d’une ampleur inédite des usagers de la Bpi
La dernière enquête de fréquentation de la Bpi a révélé un fort renouvellement du public, d’une ampleur inédite jusque-là : 49 % des usagers interrogés ont déclaré avoir commencé à fréquenter la Bpi après le premier confinement. La sociologie de ces nouveaux usagers est semblable à celle du public traditionnel de la Bpi, constitué de 74 % d’étudiants, 15 % d’actifs, 4 % de personnes en recherche d’emploi, 3 % de retraités, 3 % de lycéens, 1 % d’autres inactifs, même si on peut noter un renforcement de la présence des étudiants, en particulier le dimanche.
À la question portant sur l’incidence de la pandémie de Covid-19 sur leur fréquentation de la Bpi, 68 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elle n’avait pas eu d’incidence, 18 % ont dit venir plus souvent (dont 27 % pour télétravailler) et 14 % ont indiqué venir moins (dont 36 % de retraités). 86 % des lycéens et 69 % des étudiants ont déclaré que la pandémie n’avait pas conduit à un changement dans leur fréquentation de la Bpi.
85 % des étudiants qui fréquentent la Bpi déclarent avoir un espace de travail à domicile, tandis que 14 % des jeunes étudiants indiquent être venus auparavant pour les révisions du baccalauréat. « La Bpi sert d’entraînement pour la transition entre le lycée et l’université, a relevé Christophe Evans, chef du service Études et recherche de la Bpi. Les bibliothèques jouent un rôle symbolique d’entrée dans la vie étudiante. »
Autre enseignement de l’enquête : alors que 32 % des usagers déclarent ne fréquenter que la Bpi, et que 60 % des multifréquentants déclarent que la Bpi est leur établissement principal, elle n’est pas une bibliothèque de recours, telle qu’elle avait été conçue au départ, mais perçue et utilisée comme bibliothèque principale.
La BnF, une oasis pour les jeunes chercheurs
La dernière enquête de la BnF enregistre une baisse importante de la fréquentation du site de Tolbiac avec moins 63 % d’entrées et moins 51 % de lecteurs entre 2019 et 2021 pour le Haut-de-jardin (grand public), et moins 53 % d’entrées et moins 43 % de lecteurs sur la même période pour le Rez-de-jardin (chercheurs). Ici aussi, le renouvellement a été important avec près de 50 % de nouveaux lecteurs pour le Haut de jardin et 30 % pour le Rez-de-jardin en 2021.
La BnF a entamé en 2020 une enquête spécifique sur les doctorants, qui constitue son public central et naturel. « Seul le temps dira quels sont les effets de la crise sanitaire sur la fréquentation de la BnF mais la pandémie a déjà fait émerger des questions qui s’inscrivent dans la durée, notamment sur la façon dont se fait la recherche aujourd’hui », a expliqué Irène Bastard, de la Délégation à la stratégie et à la recherche de la BnF. Alors que de nombreuses études ont été consacrées au rapport entre ces utilisateurs et les collections de la BnF, cette enquête qualitative, toujours en cours et basée sur des observations et des entretiens longs, étudie leur relation au lieu et à l’institution elle-même. Cette étude montre que la BnF est perçue par les jeunes chercheurs comme une oasis dans un contexte d’incertitude concernant la réalisation de leur thèse, leur insertion professionnelle, leur avenir, et un lieu de construction de leur statut de chercheur ainsi qu’un espace de sociabilité et de représentation professionnelle et de fréquentation des pairs.
Autre public spécifique étudié par la BnF : celui des amateurs de sciences et de savoir. Dans l’enquête sur les pratiques culturelles des Français de 2018, 11 % des répondants déclaraient avoir une activité scientifique amateur, soit autant que pour la pratique du théâtre. Cette activité se retrouve plutôt chez les jeunes, les diplômés, et compte deux fois plus d’hommes que de femmes.
Trois types de figures se distinguent chez les amateurs de sciences : les férus de vulgarisation scientifique qui veulent s’instruire et qui vont aux conférences de la BnF ; les historiens amateurs qui travaillent sur les sources et utilisent la bibliothèque numérique Gallica ; les amateurs traditionnels inscrits dans une activité via une association ou un club (astronomie, archéologie, etc.) qui eux, en revanche, n’utilisent pas les ressources de la BnF.
La musique
Qui sont aujourd’hui les utilisateurs des services musique des bibliothèques et quelles sont leurs pratiques ? Une enquête menée par le laboratoire Pacte de l’UGA dont les premiers résultats ont été présentés lors de la journée Bpi-Enssib par Olivier Zerbib, maître de conférences à l’UGA, donne des éléments de réponse. Basée pour sa première phase sur l’étude de six sites choisis pour leur diversité (le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon dans le Rhône, le réseau de lecture publique du Pays de Châteaugiron en Ille-et-Vilaine, le réseau des médiathèques du Grand Dole dans le Jura, la bibliothèque municipale de Gradignan en Gironde, la bibliothèque départementale de l’Eure), l’étude confirme la baisse du prêt de CD et de l’écoute sur place, qui s’est accentuée avec la pandémie, et esquisse trois axes principaux que les bibliothèques peuvent investir :
- la patrimonialisation des collections, en particulier des fonds de disques vinyles, et de la scène locale en valorisant et en gardant la mémoire de son activité, comme le font Zicamontreuil ou Gironde music box ;
- la médiation de la musique et de l’écoute en proposant des blogs, des critiques, des commentaires, des chaînes YouTube, des expositions ;
- la valorisation de l’expérience musicale par des concerts, des rencontres avec des artistes, des siestes musicales, le prêt d’instruments et de partitions.
La phase quantitative de l’enquête, menée en juin et juillet 2022 via un questionnaire envoyé à 900 sites détenant des collections musicales, invités à le diffuser auprès de leur public, permettra d’évaluer les pratiques musicales des usagers à la bibliothèque et chez eux, leurs goûts musicaux, leurs sorties au concert. La publication de l’enquête complète est attendue pour la fin de l’année 2022.
Les bibliothèques face à la pandémie de Covid-19
La crise sanitaire était le sujet central du mémoire du diplôme de conservateur des bibliothèques de Mona Oiry, intitulé « Les bibliothèques territoriales face aux bouleversements de la pandémie de Covid-19. La collaboration entre acteurs de la lecture publique, élément-clé de leur adaptation ? ». Entamé en mars 2021, ce mémoire, basé sur 17 entretiens, 2 questionnaires ainsi que sur des enquêtes existantes, étudie les collaborations qui se sont mises en place entre les différents acteurs de la lecture publique : bibliothèques territoriales, départementales, agences régionales du livre et de la lecture, associations professionnelles, Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture. Il dresse 5 constats principaux :
- la continuité de service a été maintenue mais avec des adaptations ;
- l’adaptation a posé la question de l’égalité d’accès aux services ;
- les bibliothèques se sont fortement appuyées sur différents acteurs de la lecture publique ;
- la nouvelle coordination entre le ministère de la Culture et les associations professionnelles a été bénéfique pour adapter les recommandations sanitaires aux réalités du terrain, notamment avec le site web Bibliocovid.fr, très utilisé par les professionnels ;
- la coopération interassociative a eu pour effet de renforcer le rôle des associations.
« Le dialogue horizontal établi grâce l’action du Service du livre et de la lecture et l’investissement fort des associations professionnelles a été plus efficace que la communication verticale du gouvernement, a conclu Mona Oiry. Cette expérience a conduit à un ancrage de la culture de gestion de crise dans les bibliothèques. »
Les bibliothèques en zone de montagne au service de la recomposition des territoires
Le mémoire de master 2 Politique des bibliothèques et de la documentation de l’Enssib réalisé par Hélène Manillier, « Lecture publique en zone de montagne : au-delà des contrastes et des contraintes, les bibliothèques alpines au service de la recomposition des territoires », explore comment les caractéristiques et les contraintes de cet environnement géographique spécifique influencent l’offre de service des bibliothèques de montagne. Le premier constat est que, dans cette zone géographique marquée par de forts contrastes et qui concentre sur un territoire restreint toute la diversité des réalités territoriales nationales (zones rurales ou urbanisées, favorisées ou défavorisées, touristiques ou isolées), il n’existe pas un profil unique de la lecture publique mais au contraire une grande diversité en termes de moyens, de maillage territorial, d’offre de services, de profil des usagers.
L’étude esquisse plusieurs pistes de réflexion sur le rôle des bibliothèques en zone de montagne :
- rompre les isolements en créant des réseaux à l’échelle des bassins de vie ;
- renforcer la place de la bibliothèque comme lieu social et culturel de proximité ;
- recourir aux ressources numériques des bibliothèques départementales pour dépasser l’effet « zones grises » et agir pour l’inclusion numérique ;
- répondre aux besoins induits par l’urgence climatique en plaçant la culture au cœur du repositionnement des territoires touristiques spécialisés et valoriser l’environnement montagnard comme un espace naturel, culturel, patrimonial en incluant les bibliothèques dans ce positionnement ;
- faire de la bibliothèque un lieu de réacculturation au vivant par des partenariats avec des associations environnementales locales et les parcs nationaux, des animations hors-les-murs en lien avec l’environnement telles que des balades littéraires, par la création de postes de médiation environnementale, en valorisant le rôle des bibliothèques dans la médiation environnementale auprès des élus et des partenaires.
Quel rôle pour les BU dans les politiques publiques des données de la recherche ?
Dans son mémoire du diplôme de conservateur des bibliothèques, « Positionnement des bibliothèques universitaires et de recherche françaises dans les politiques publiques des données de la recherche », Paul Cormier étudie le rôle des établissements documentaires de l’enseignement supérieur dans les politiques publiques des données de la recherche en France mais aussi à l’échelle européenne et internationale. Selon lui, les bibliothèques, expertes de l’information et ayant les compétences pour déployer des services, ont toute leur place dans la mise en œuvre de la science ouverte, ce qui ne constitue pas une remise en cause de leurs missions mais fait, au contraire, pleinement partie de ces missions.
Plusieurs textes législatifs encadrent la mise en œuvre de la science ouverte et la gestion des données de la recherche au niveau international dans le cadre plus général de l’Open Data fixé par l’Organisation des Nations unies dès les années 2000, au niveau européen avec, notamment, l’European Open Science Cloud à partir de 2015 et l’Open Data Act de 2020, au niveau national avec la loi Pour une République numérique de 2016 et les deux Plans pour la science ouverte à partir de 2018. « Les bibliothèques ont été d’emblée posées dans tous les rapports faits au niveau européen comme des actrices indispensables de cette politique, notamment grâce à l’important travail de lobbying réalisé par la Ligue des bibliothèques européennes de recherche, a souligné Paul Cormier. Il n’y a qu’en France que la question de leur légitimité dans ce domaine se pose. À l’échelle des universités, les bibliothèques se sont emparées de la question de la science ouverte de façon très diverse selon les cas. Cet engagement leur offre pourtant un repositionnement très intéressant car elles participent souvent à l’élaboration de la stratégie de leur institution. »
Les plateformes de dépôt et d’archivage des travaux étudiants, un enjeu pour la valorisation de la recherche universitaire
À la différence des travaux de thèse, les travaux des étudiants de niveau bac +1 à bac +5 ne font pas l’objet d’une politique nationale de stockage et de diffusion et aucun texte encadre le destin de ces publications, chaque établissement étant libre d’établir sa propre politique. Dans son mémoire du diplôme de conservateur des bibliothèques « Les plateformes de dépôt et d’archivage des travaux étudiants », Alice Faure étudie les enjeux autour de ces espaces de stockage qui se développent depuis une dizaine d’années, à l’échelle nationale, telle que la plateforme Dumas (Dépôt universitaire de mémoires après soutenance) ou locale.
Ces enjeux sont multiples : mise à disposition de données et de recherches inédites ; meilleure visibilité de ces travaux dans leur version en ligne que dans la version imprimée ; intérêt pédagogique de ces productions qui contribuent à l’apprentissage des pratiques documentaires des étudiants ; intérêt pour les enseignants qui peuvent déposer leurs cours, valoriser le travail d’encadrement et les sujets de recherche ; intérêt pour les établissements eux-mêmes qui peuvent montrer les sujets traités, mettre en avant les méthodes pédagogiques et leur production.
Les bibliothèques peuvent être impliquées dans la mise en place et la gestion de ces plateformes, la valorisation des contenus, le développement de services aux étudiants, avec la limite – habituelle – du temps, des compétences techniques et des ressources humaines que cela nécessite.
La journée s'est conclue sur la diffusion du film documentaire « Bibliothèque publique », consacré à la Bpi, en présence de son réalisateur, Clément Abbey.