« Action culturelle en bibliothèque » • Retour sur deux tables rondes du 69e Congrès de l’Association des bibliothécaires de France, du 6 au 8 juin 2024 à Toulon

Christophe Patris

Comment l’action culturelle menée par les bibliothèques s’inscrit-elle dans le projet culturel des établissements de lecture publique, mais également dans celui porté plus largement au niveau territorial ? La question était au cœur des débats du 69e Congrès de l’Association des bibliothécaires de France (ABF) qui s’est tenu à Toulon les 6, 7 et 8 juin dernier, notamment à travers deux tables rondes complémentaires 1

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Ces deux tables rondes étaient menées conjointement par Emmanuelle Kalfa, directrice de la Médiathèque départementale du Nord et vice-présidente du groupe ABF Hauts-de-France, et Damien Grelier, directeur de la Bibliothèque départementale de la Mayenne. L’enregistrement des différentes séances est à retrouver sur le site de l’ABF : https://www.abf.asso.fr/2/213/1068/ABF/69e-congres-6-8-juin-2024-toulon

soulignant tant l’importance croissante des bibliothèques dans les politiques publiques que l’évolution mouvante de nos métiers et de leurs représentations.

Table ronde 1 • 6 juin 2024 : « Actions culturelles en bibliothèque, que serais-je sans toi ? »

La première table ronde, intitulée « Actions culturelles en bibliothèque, que serais-je sans toi ? », invitait quatre actrices du champ du livre à s’exprimer sur la place de l’action culturelle dans les stratégies des bibliothèques : Lola Mirabail, directrice de la bibliothèque de Nantes ; Isabelle Scaviner, responsable du pôle développement des publics et services au sein du réseau de lecture publique de Villejuif ; Fleur Bouillanne, conseillère Livre et Lecture pour la DRAC Occitanie ; et Aurélie Giordano, chargée du service bibliothèque à l’Agence régionale du Livre Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Si les objectifs relevant de l’action culturelle en bibliothèque étaient rappelés en introduction du programme 2

du colloque (« promouvoir la diversité culturelle, la créativité et l’inclusion sociale, […] faire des établissements des lieux vivants, inclusifs et innovants au service de toutes et tous »), la question de sa définition semble en revanche beaucoup moins simple à régler, tant il n’existe pas de modèle unique. C’est alors la définition proposée par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques 3 (Enssib), citée par Fleur Bouillanne, qui semble faire consensus auprès des intervenantes : « L’action culturelle en bibliothèque correspond à une politique d’animation construite et cohérente. Là où l’animation renvoie à une somme d’événements spontanés, organisés au fil de l’eau, l’action culturelle est un projet à raisonner. Il est intrinsèque au projet bibliothèque dans sa relation au public et aux collections. Une politique d’action culturelle se pense donc en cohérence avec des missions spécifiques et dans une collectivité. Elle participe au projet politique des tutelles pour ce qui concerne les établissements publics. »

Les termes ainsi posés, deux grandes problématiques se sont ensuite dégagées des discussions : d’abord, celle du rôle joué par les bibliothèques dans le projet culturel d’une collectivité, suivie de la question du référentiel des compétences des métiers associés à ces missions.

La question de l’intégration de l’action culturelle d’un établissement de lecture publique au sein du projet culturel territorial, au sens large, se révèle en effet essentielle, tant le bon fonctionnement de ce partenariat permet d’insuffler du sens aux actions de la bibliothèque.

Le réseau de lecture publique de Villejuif participe ainsi régulièrement aux événements mis en place au niveau de la municipalité par le biais d’actions hors les murs, sans renoncer pour autant à une programmation culturelle propre à la médiathèque, à l’image du Prix des lecteurs de Villejuif 4

. La validation des projets culturels permet alors d’allier les objectifs internes au réseau (s’adresser à tous les publics y compris les non-usagers, impulser la transition écologique des médiathèques, faire de celles-ci des lieux de citoyenneté et d’accueil) et les grands axes de la mandature politique, que sont par exemple l’écologie et la citoyenneté.

À Nantes également, les projets d’action culturelle s’inscrivent dans une politique publique en tant qu’objet pluridimensionnel, où la transition sociale et environnementale portée par la mairie permet de mieux définir le rôle joué par la bibliothèque municipale. Au sein de la politique éducative de la ville, notamment à destination de la jeunesse, la bibliothèque se positionne comme l’un des principaux lieux de diffusion de la culture et veille à ne pas noyer l’offre en cherchant à en faire « toujours plus » ni à confondre l’action culturelle et les activités de médiation quotidiennes qui relèvent plutôt de l’animation.

Dans ce contexte les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), par le biais des conseillers Livre et Lecture, ainsi que les Agences régionales du Livre, jouent un rôle fédérateur d’accompagnement et de consolidation des projets, en attirant l’attention des élus sur les différents champs que touchent les bibliothèques du fait de leurs actions, qu’il s’agisse de la culture, de l’éducation ou du levier scientifique. Cette articulation des politiques est rendue possible par la mise en place de différents types de partenariats permettant un accompagnement financier, mais aussi de conseil : le Contrat territoire-lecture (CTL) 5

et le Contrat départemental lecture itinérance (CDLI) 6, l’élaboration d’un Projet culturel, scientifique, éducatif et social (PCSES) 7 ou encore d’un Schéma intercommunal de développement de la lecture publique 8, rendu possible par la loi Robert.

Ces différents contrats permettent de définir les axes de travail et les ressources disponibles pour assurer le bon déroulé des projets et de leur donner un cadre cohérent s’inscrivant concrètement au sein du territoire.

Si l’action culturelle en bibliothèque relève largement d’un partenariat noué entre les établissements et leurs tutelles, sa réalisation pose aujourd’hui la question de la montée en compétences des agents amenés à porter ces différents projets. En effet, les besoins de plus en plus mouvants en termes de savoir-faire ne correspondent plus toujours réellement aux traditionnelles fiches de poste qui définissent la profession, et participent plus largement à la transformation en cours de nos métiers. Tant à Nantes qu’à Villejuif, les directions sont à la recherche de nouveaux profils, soit de bibliothécaires capables d’évoluer tout au long de leur carrière en développant des compétences liées à l’action culturelle, soit en s’ouvrant à des contractuels venant du milieu socioculturel, de l’événementiel ou du monde associatif. Mais si ceux-ci permettent de faire bénéficier les équipes d’expériences singulières et d’une vision plus sociale, l’accompagnement au sein de leur prise de poste demande en revanche une réflexion approfondie sur leur formation et la familiarisation avec la complexité de l’environnement territorial, ces agents étant également amenés à effectuer des plages de service public.

Table ronde 6 • 7 juin 2024 : « Actions culturelles en territoire, chacun cherche sa bibliothèque »

La seconde table ronde, conçue en miroir de ces premiers échanges, rassemblait pour sa part trois responsables politiques et culturels territoriaux autour du thème « Actions culturelles en territoire, chacun cherche sa bibliothèque » : Dorothée Pophillat, directrice générale adjointe en charge de l’attractivité au Département de l’Ardèche ; Antoine Dunan, directeur des Affaires culturelles de la Communauté d’agglomération de la Provence verte, et membre de l’Association des directeur·rices des Affaires culturelles de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Corse (PACADAC) ; et Florian Salazar-Martin, vice-président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) et adjoint au maire de Martigues.

En donnant la parole à des acteurs politiques décisionnaires, cette deuxième séance a permis de porter un regard extérieur sur la complémentarité des établissements proposant de l’action culturelle – et donc sur la place de la bibliothèque au sein d’une programmation collectivement produite. Mais qu’est-ce qui singularise alors nos établissements au sein de cette chaîne de diffusion de la culture ?

Au-delà des différences de temporalités qui caractérisent les différentes structures que sont par exemple le musée ou le conservatoire, c’est la notion de lieu catalyseur d’accueil qui, aux yeux des intervenants, définit la médiathèque. La mission première de « faire venir à la bibliothèque », en s’associant aux projets territoriaux mis en place, ne doit en effet pas se faire au détriment des autres lieux culturels. C’est en apportant, justement, la différence aux yeux des publics, donc en ne centralisant pas tout au sein d’une structure en particulier, que l’offre sera rendue lisible.

Le rôle joué par les bibliothécaires est lui aussi particulièrement souligné, tant il participe à la valeur de l’action culturelle proposée. En tant qu’habitants du territoire où ils exercent, ils en connaissent en effet la singularité et la complexité. Mais comment garantir une qualité de service lorsqu’une grande part des agents sont bénévoles et donc souvent moins formés ?

Si ces nouvelles missions demandent du temps et des compétences particulières de la part des agents, elles nécessitent également l’établissement d’un rapport de confiance fort avec les élus. Mais comment faire lorsqu’il s’agit par exemple d’un premier mandat et que l’élu manque de connaissance sur le rôle d’expertise des bibliothèques – ou au contraire lorsque l’action mise en place dépasse la temporalité de la mandature et nécessite un partenariat au temps long ? Tout d’abord, en normant le plus possible la responsabilité de chacun, dans une logique de coconstruction en bonne interdépendance. En usant, ensuite, de l’art de la diplomatie en faisant venir l’édile sur place « en espérant que quelque chose se passe », car un élu non convaincu signifie souvent pour le porteur de projet qu’il disposera d’une marge de manœuvre limitée. En assumant, enfin, sa propre légitimité, les médiathécaires manquant souvent d’assurance face aux élus, alors que leur expertise garantit souvent le bon fonctionnement des projets mis en place. Tout comme les bibliothécaires, les élus ont en effet parfois besoin d’être formés aux enjeux de nos métiers – et qui d’autres que les agents de la lecture publique sont-ils les mieux à même de parler de leurs actions ?

Complémentaires et inspirantes, ces deux tables rondes ont démontré que pour contribuer à la politique publique et pouvoir pleinement jouer son rôle social, l’action culturelle en bibliothèque doit elle-même se considérer de manière politique. C’est alors la mise en place d’une nouvelle forme d’intelligence collective qui fera de cette action culturelle un outil pour agir concrètement sur le réel – et ainsi contribuer à sa transformation, à l’échelle de nos établissements.