6èmes journées Open Access
La Science Ouverte en marche : les chercheurs, acteurs des mutations de l’édition scientifique à l’ère de l’Open Access – 12 au 14 octobre 2015, Paris
Les 6èmes journées Open Access se sont déroulées du 12 au 14 octobre 2015 à Paris, sous l’égide du consortium Couperin. Lors des précédentes journées de 2013, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, s’était prononcée en faveur de l’open access pour optimiser la diffusion des publications scientifiques. Deux ans après cette annonce, un bilan des avancées de la science ouverte s’avérait donc opportun. Le Président du consortium Couperin, Jean-Pierre Finance, a rappelé que l’ouverture des données a transformé le paysage de la recherche scientifique. Les pratiques émergentes ouvrent en effet de nouvelles perspectives de recherche, qui imposent de repenser la notion de souveraineté scientifique. Spécialistes de l’information scientifique et technique, mais aussi décideurs académiques et politiques, ont pris part à ces trois jours de réflexions et de débats.
Les avancées en matière d’open science et d’open access
En rendant possible de nouvelles pratiques de travail pour les chercheurs, le numérique a modifié les enjeux scientifiques. Propriété et maîtrise des contenus, mais aussi sécurité et validation des données doivent ainsi être reconsidérées à l’aune des nouvelles démarches scientifiques. Une des priorités de la Commission européenne est de fonder une économie de la connaissance favorisant la libre circulation des données. Une telle transition exige de dépasser la fragmentation des disciplines, des institutions et des financements pour développer des coopérations sur les plans universitaire et politique afin d’insérer la science dans un processus d'ouverture, d'innovation et de création d'emplois. C'est dans cette optique que la Commission a mis en place une obligation de dépôt des articles issus de projets financés dans la cadre de H2020, et encourage le dépôt des données avec un programme pilote sur les données de la recherche. Pour rassurer toutes les parties impliquées dans ce pilote, le choix a été fait d'une politique « aussi ouverte que possible, aussi fermée que nécessaire » : l'objectif est de sensibiliser les porteurs de projet aux questions de la gestion des données qu'ils produisent.
Au-delà de la perspective de progrès scientifiques, l’échange et le partage des données permettent de générer des gains de productivité et gagnent ainsi également l’adhésion des investisseurs. Sami Kassab, analyste financier pour BNP Paribas, a démontré de façon saisissante que les marchés financiers, d’abord réticents au mouvement de l’open access, considèrent désormais la voie gold comme une source supplémentaire de profits. Il en résulte que l'édition scientifique constitue à nouveau un secteur attractif pour les investissements.
Les présentations des dispositifs expérimentés au Royaume-Uni, en Allemagne ainsi qu’aux Pays-Bas ont montré les défis à relever : contenir les coûts des abonnements comme ceux des APC, trouver des modèles de financements alternatifs, développer des politiques nationales et des collaborations avec les éditeurs... Les questions de science ouverte seront au programme de la présidence hollandaise de l'UE en 2016, qui souhaite s’engager avec d’autres pays dans des actions concertées afin d’assurer la diffusion de leur production scientifique en open access d’ici 2020. Ces éclairages européens, notamment sur la question de la cession des droits d’auteur, se sont avérés des plus précieux dans le contexte de la consultation publique du projet de loi pour une République numérique. La secrétaire d’Etat Axelle Lemaire était d’ailleurs là pour présenter les propositions du texte. Tout en rappelant la nécessité de favoriser la diffusion des savoirs et des connaissances à l’ère du numérique, elle a souligné que l’open access devait rester un choix pour le chercheur.
Le libre accès aux résultats de la recherche : bilan et pratiques émergentes
Les chercheurs sont au centre du système éditorial scientifique. Outre la garantie de la qualité des publications qu’ils assurent en participant à des comités de lecture et de validation, ils sont nombreux à exercer des missions d’éditeurs scientifiques. Ils sont donc naturellement amenés à jouer un rôle déterminant dans le développement de nouveaux modèles éditoriaux, telles que les épi-revues. Claude Kirchner a souligné que la maîtrise de la souveraineté scientifique est l'un des principes phares de la plateforme Episciences, qui héberge déjà plusieurs épi-revues, avec l'objectif de proposer des contenus d'un niveau au moins équivalent à celui des revues concurrentes. D'autres revues expérimentent des démarches différentes de celles adoptées par les éditeurs classiques et s'impliquent avec succès dans une évaluation ouverte de leurs contenus par la communauté. C’est notamment le cas de « Climate of the past », qui fonctionne sur ce principe depuis 2001, ou de Self journal of Science (SJS), une plateforme de dépôt qui propose de créer de la valeur à partir d'un processus collectif de validation scientifique des articles. La transition des revues sur abonnement vers le modèle de l'open access donne lieu à de nouveaux modes de financement : le Réseau Canadien de Documentation pour la Recherche (RCDR) a ainsi conclu un partenariat collaboratif avec la plateforme Erudit pour soutenir les publications dans ce processus de transition. Au sein de l'Institut National des Sciences Mathématiques et de leurs Interactions (INSMI) du CNRS, Christoph Sorger souligne que le passage à l'open access de certaines revues de mathématiques a généré des gains en ressources humaines, qui compensent les pertes sur les revenus des abonnements.
Du côté du « green OA » le retour d'expérience de Bernard Rentier sur ORBI, l'archive institutionnelle de l’université de Liège, démontre que la volonté politique des institutions constitue le critère déterminant de la solidité d’un écosystème favorable à l’open access. Un fort soutien de la gouvernance caractérise le projet d'archive ouverte institutionnelle de l'université de Strasbourg, qui combine publications et données de recherche. Un tel engagement politique se retrouve également dans la démarche adoptée par l'INRIA, où seuls les documents déposés dans HAL sont pris en compte pour les rapports d’activité. Christine Berthaud, directrice du CCSD, a d'ailleurs eu l'occasion de détailler les évolutions concernant son unité : augmentation des moyens financiers et des ressources humaines du CCSD pour consolider l'activité autour de HAL, en forte augmentation avec ses 116 portails et ses 3900 collections, et lancement depuis septembre d'un partenariat avec l'INIST pour la validation scientifique des dépôts. Afin de mettre en avant les bonnes pratiques en matière d’open access, « gold » ou « green », Christine Ollendorff a officialisé l’ouverture d' « Open access France », le site de Couperin dédié à l’accès ouvert en France réalisé par le groupe de travail sur l'accès ouvert de Couperin, en collaboration avec l'INIST.
L’open access conduit à repenser les métriques traditionnelles, et notamment le facteur d’impact des revues. Le modèle hybride, « mix » élaboré à partir des revues sur abonnement et des revues en open access, vient brouiller les cartes de façon inédite, puisqu'il représente déjà 20 % des parts du marché actuel. Trouver de nouveaux outils permettant de comparer et d'évaluer les coûts et les performances scientifiques des revues, à l’instar de l’initiative collaborative Quality OA Market (QOAM), constitue un véritable enjeu.
On note par ailleurs une ouverture des techniques et des outils utilisés par les communautés : le H-index se couple sur Google Scholar, qui prend en compte les archives ouvertes, plusieurs revues se lancent dans « l'open commentary » et « l'open peer review », sans oublier l'essor des métriques alternatives, ou « altmetrics », qui permettent une approche plus fine de l'impact des activités de recherche. L'ouverture et l'opérabilité de ces métriques garantissent leur fiabilité, ce qui limite les risques de dérives des usages, comme l’a constaté Ben Johnson, responsable du dispositif d'évaluation au Royaume-Uni (HEFCE). En ce qui concerne l'évaluation des chercheurs, l'articulation des dispositifs actuels avec ces nouveaux processus reste à inventer. Le secrétaire perpétuel à l’Académie des sciences, Jean-François Bach, souhaite instaurer des démarches d’évaluation plus centrées sur une approche qualitative de la recherche, avec par exemple une charte de l'expertise. Une telle initiative suppose une réflexion de l’ensemble de la communauté scientifique internationale ; pour la CP CNU, ces questions pourraient intégrer les discussions en cours sur l'harmonisation des qualifications.
Les enjeux de l’open science
Les définitions de la production, de la qualification et de la diffusion des résultats de la recherche scientifique voient leurs contours évoluer. Dans ce contexte, les réseaux sociaux de la recherche font émerger de nouvelles pratiques scientifiques de dépôt et de partage de la production individuelle des chercheurs. Comme le souligne Aline Bouchard de l'URFIST, on peut se demander si ces réseaux relèvent de l'open access, dans la mesure où ils ne laissent pas de place pour le travail collaboratif, et où l'accès est limité aux autres membres du réseau. Ces plateformes fermées mais bien indexées viennent brouiller les modes d'accès aux contenus. Afin d’aider les chercheurs à naviguer dans ce vaste océan d’articles éparpillés, Dissem.in, la plateforme indépendante développée par l’ENS, propose une solution intéressante pour simplifier le repérage et le dépôt des articles.
Autre enjeu déterminant : les données de la recherche, qui doivent pouvoir être référencées, évaluées et citées. Comme les y invite le programme européen Horizon 2020, les institutions de recherche doivent réfléchir à la conception de plans de gestion de ces données, pour assurer leur partage mais aussi leur conservation. Indépendamment des programmes européens, plusieurs organismes de recherche, et notamment l'INRA, travaillent sur les problématiques liées au big data (mais pas seulement) que sont l'acquisition des données (il faut pouvoir pérenniser les technologies d'acquisition), la gestion de leur cycle de vie (un accompagnement du chercheur est nécessaire à la maîtrise du cycle complet), l'intégration de la complexité des données (méthodes d'analyse et Text and Data Mining) mais aussi le partage des données. L'analyse et l'exploitation des corpus de données, bien que souhaitables, restent soumises à des arbitrages politiques et juridiques. Les propositions de Couperin sur le projet de loi sur le numérique encouragent fortement les mesures pour faciliter la réutilisation des données.
Ces trois journées, très denses, ont permis de dresser un panorama exhaustif des questionnements en cours au sein de la communauté. Les retours d'expérience apportent des réponses concrètes pour alimenter la réflexion et s'approcher de ce que pourrait être une politique de l’open access en France. La science ouverte est bien en marche.