68e Congrès de l’Association des bibliothécaires de France (ABF)

Intervention de Florence Rodriguez, « L’éco-responsabilité dans la gestion des collections » – Dunkerque, 10 juin 2023

Clémentine Laurent

Le samedi 10 juin, dernier jour du congrès de l’Association des bibliothécaires de France (ABF) 2023, se tint une intervention de Florence Rodriguez, cheffe du service Maintenance des collections et retraitement à la Bibliothèque publique d’information (Bpi). Le sujet abordé, la gestion éco-responsable des collections, s’articule avec le thème du congrès : « Les bibliothécaires sortent de leur réserve ». En effet, les bibliothèques sont par définition le lieu idéal du réemploi, et les professionnels ont l’opportunité de s’engager activement pour l’environnement via le traitement des collections et leur conservation.

Rappel du cadre

Les professionnels ont un cadre et des interlocuteurs spécialisés vers qui se tourner. Pour savoir pourquoi et comment travailler différemment, ils peuvent se référer au désormais très connu Agenda 2030, mais aussi aux feuilles de route publiées par le ministère de l’Enseignement supérieur, aux cartes mentales et glossaires de la commission Bibliothèques vertes de l’ABF, ou bien encore à l’association Écologie du livre ou les structures régionales du livre.

Pour étoffer ses connaissances sur l’impact écologique du livre, plusieurs sources sont disponibles :

  • le rapport Décarbonons la culture ! du Shift Project, paru en 2021 ;
  • les enquêtes de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), informatives sur les pratiques numériques notamment ;
  • un livre aux Presses de l’Enssib sur la transition écologique en bibliothèque 1
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    Reine BÜRKI (dir.), Engager les bibliothèques dans la transition écologique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib (coll. La Boîte à outils ; 52), à paraître en novembre 2023.

    est prévu pour la fin de l’année 2023.

Au niveau légal enfin, deux lois peuvent guider les pratiques des professionnels : la loi Robert, qui facilite la vente des livres désherbés, et la loi Climat et résilience, avec une mise en application pour les marchés publics prévue en 2023.

Valoriser une chaîne du livre responsable

La première influence qu’il est possible d’avoir sur l’impact écologique du livre repose dans le choix des partenaires au sein-même de la chaîne du livre. Si le côté créatif du livre est toujours valorisé, il reste parfois difficile de le percevoir comme un objet fabriqué, et donc polluant. Or, les choix du circuit d’impression et de celui de distribution dépendent de la politique documentaire. Pour acheter moins et acheter mieux, il convient de réaliser une veille imprimeurs, de favoriser l’économie circulaire en achetant d’occasion, de poser des conditions strictes dans les marchés. Les référents développement durable (DD) peuvent aider les professionnels dans ces démarches.

Cependant, certaines pratiques sont encore compliquées à mettre en place, comme le recyclage qui pose question à cause de l’absence d’écotaxe. En outre, peu de retours d’expériences sont disponibles sur l’achat d’occasion. La difficulté repose donc dans l’équilibre à trouver entre le soutien des maillons de la chaîne du livre, comme les petites librairies locales, et la favorisation de l’économie circulaire.

Pour conforter ses choix, il est recommandé d’évaluer ses prestataires et de suivre les traitements choisis, par les imprimeurs notamment. Les décisions peuvent également être évaluées au moment du désherbage, en fonction de l’état des documents sortants. Car finalement, un document durable est aussi et surtout un document qui vit longtemps.

Pour une meilleure conservation préventive

Pour entrer dans des considérations plus pratiques, Florence Rodriguez part d’un postulat : plus le livre dure longtemps et peut être lu, plus son empreinte environnementale est réduite. Par conséquent, un bon équipement et une conservation préventive optimale sont indispensables dans le processus de gestion durable des collections.

Cela est d’autant plus important que les conditions de conservations vont se compliquer dans les années à venir, avec une augmentation de l’humidité due au climat, et une acidification du papier étant donné la rareté de la pâte. Cela s’ajoute aux demandes parfois contradictoires des tutelles (administratives), qui désirent à la fois une baisse du chauffage, de la chaleur et des espaces lumineux.

Enfin, des risques déjà connus tels que la pollution est à prendre en considération.

Concrètement, les solutions peuvent être les suivantes.

Contre les UV (rayonnement ultraviolet) qui fragilisent la cellulose, les colles et le cuir

  • poser des filtres anti-UV sur les fenêtres et les vitrines d’exposition ;
  • utiliser des bandelettes spéciales pour mesurer les lux 2
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    Un lux est l'éclairement d'une surface qui reçoit, d'une manière uniformément répartie, un flux lumineux d'un lumen par m².

    et leur impact sur les documents. Elles peuvent être montrées aux tutelles pour illustrer les problématiques de lumières (exemple de modèle : « LightCheck 3
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    Le LightCheck, outil de contrôle de la lumière dans les lieux d'exposition des œuvres d'art, a été mis au point dans le cadre du programme de recherche européen Light Dosimeter (LiDo). Le LightCheck est fondé sur la modification d'un mélange de composés photosensibles, qui change de couleur – du bleu au violet, puis rose – selon la quantité de lumière reçue par un objet dans un environnement particulier. L'utilisateur peut être alerté en permanence sur les risques encourus par une œuvre exposée à la lumière.

     ») ;
  • conditionner dans des boîtes neutres, qui filtrent la lumière.

Contre la pollution

  • éviter d’entreposer les documents près des portes d’entrée ;
  • lire les fiches techniques des présentoirs, produits d’entretien, etc. ;
  • inscrire les solvants volatils, travaux et autres nuisances dans le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP).

Contre l’humidité

  • utiliser des bandelettes spéciales pour mesurer le taux d’humidité relative (qui augmente notamment pendant la baisse de chauffage hivernale, ce qui casse les fils et détache les cahiers) ;
  • poser des capteurs, ou en emprunter (dans les écoles par exemple) ;
  • utiliser du « silicagel » 4
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    Le gel de silice ou SilicaGel est un déshydratant avec de grandes propriétés d'absorption d'humidité.

    , qui prend et rend l’humidité. Ce dernier existe en grand format pour les vitrines d’exposition ;
  • séparer et conserver différemment les différents supports (cf. normes de la Bibliothèque nationale de France [BnF]) ;
  • veiller à la gestion « passive » du bâtiment : isolation, ventilation, matériaux, vides sanitaires, etc.

Contre l’acidité

  • tester l’acidité du papier en amont grâce à un stylo à pH (potentiel hydrogène) ;
  • privilégier les papiers permanents (logo ∞) ;
  • éviter l’encollage à l’alun-colophane, qui produit de l’acide sulfurique ;
  • éviter tout équipement adhésif : plus c’est collant, plus c’est acide. Cet effet est accentué par le soleil. Éviter de mettre du plastique adhésif sur les documents les plus précieux (comme les catalogues d’exposition) ou sur des étiquettes déjà adhésives.

Quid de la plastification ?

La plastification n’est pas systématiquement nécessaire, d’autant plus que beaucoup d’ouvrages (tant les livres que la bande dessinée) sont déjà plastifiés à l’achat. De plus, d’autres solutions existent pour consolider les ouvrages, comme poser des soufflets (une formation existe par exemple à Lausanne), ou mettre de la colle de reliure sur les dos carrés collés.

Cependant, il peut être utile de protéger les coins et les coiffes, voire plus, pour augmenter la durée de vie de l’ouvrage. Lorsque la plastification est indispensable, vérifier cependant que le plastique utilisé lutte bien contre les rayons UV et qu’il est réversible, repositionnable et réutilisable.

Enfin, le public peut contribuer à la bonne conservation sans plastique. Des ateliers pour concevoir des protège-livres en tissu ou pour leur apprendre à réparer les livres sans adhésifs peuvent être organisés, en particulier auprès du jeune public.

Conclusion

Il est important de formaliser les démarches d’éco-responsabilité. Il est possible d’intégrer ces questions dès la charte documentaire, le projet d’établissement, la politique d’acquisition, et insérer des prescriptions d’équipement dans les fiches domaine.

Il est possible de trouver un équilibre entre diffusion et conservation en équipant mieux, pour plus longtemps. Plus encore, la médiathèque de la Canopée opère actuellement une tentative de non-équipement total d’une partie de ses collections : nul doute que de telles expérimentations inspireront la profession et l’inciteront à changer ses habitudes dans les années à venir.