68e Congrès de l’Association des bibliothécaires de France (ABF)

Intervention de Jeanne Seignol sur les jeunes et leur rapport à la lecture – Dunkerque, 9 juin 2023

Stéphane Tonon

Jeanne Seignol, ancienne journaliste (notamment dans les rédactions du Monde et de BFM TV) a lancé sa chaîne YouTube en 2017 pour partager ses chroniques littéraires avec pour objectif de dédramatiser la littérature au sens large, à travers différents formats (blogs, web documentaires, émissions littéraires). Elle est également connue sous son pseudonyme de booktubeuse « Jeannot se livre ».

Elle a souhaité aborder la question du rapport des jeunes à la lecture en interrogeant à la fois les professionnels de l’édition (des éditeurs, la directrice du Centre national du livre [CNL], des critiques littéraires) mais aussi les jeunes à travers des tiktokeurs. Son enquête a abouti à la réalisation de deux documentaires disponibles en ligne sur YouTube :

Dans son premier documentaire, Vraiment, les jeunes ne lisent plus, elle est partie du constat que les statistiques officielles du ministère de la Culture alimentant le lieu commun selon lequel les jeunes ne lisent plus, ne prennent pas en compte les nouvelles formes de lecture et les nouvelles pratiques culturelles des jeunes et seraient donc obsolètes. Elle explique que cette enquête qui a lieu tous les dix ans exclut la lecture des mangas et des bandes dessinées afin de pouvoir comparer les chiffres d’une édition de l’enquête à l’autre.

En effet, les statistiques du CNL contredisent ce lieu commun : d’après sa présidente Régine Hatchondo, 84 % des jeunes déclarent aimer lire et ils passent en moyenne 3 heures et 15 minutes par semaine à ce loisir (chiffre à relativiser cependant par rapport à la moyenne de 3 heures et 50 minutes par jour passées sur les écrans) ; de plus, le nombre de livres lus pour le plaisir est en hausse chez les 7-19 ans. Enfin, 59 % des jeunes déclarent avoir écouté au moins 1 livre audio lors de la dernière année.

Jeanne Seignol tente alors d’identifier les raisons objectives qui éloignent les jeunes de la lecture « classique ». Elle cite notamment les lectures obligatoires du collège et du lycée qui cassent le rapport au livre à cause de l’absence de plaisir, puis évoque également la reproduction sociale des enfants face au modèle de leurs parents dont beaucoup ne lisent pas ou peu. Elle explique enfin que le rapport au texte et à la langue française s’est distendu à cause de la généralisation de l’information rapide et du temps de concentration toujours plus court.

Jeanne Seignol revient ensuite sur son second documentaire dédié au phénomène des BookToks né sur la plateforme TikTok aux États-Unis et désormais présent également en France. De jeunes lecteurs souhaitaient partager leurs coups de cœur littéraires afin de sortir du plaisir solitaire de la lecture et ainsi satisfaire leur besoin de sentiment d’appartenance à une communauté. Le #booktok est vite devenu viral chez les adolescents qui partagent de façon spontanée et sans aucun filtre dans des vidéos très courtes leurs émotions face au dernier livre qu’ils ont adoré… et tous les autres adolescents de la communauté BookTok interagissent et s’encouragent à lire tel ou tel titre.

Les éditeurs ont rapidement appréhendé la viralité de ce genre de petite vidéo et les potentiels effets sur leurs chiffres de vente. Sophie Charnavel, directrice des éditions Robert Laffont, explique comment un ouvrage vendu à moins de 5 000 exemplaires l’année de sa sortie a atteint les 100 000 ventes après la parution de plusieurs vidéos de jeunes fans sur TikTok ! Les bibliothèques ressentent à leur tour les effets de cette viralité comme l’explique une bibliothécaire présente dans la salle qui a vu le nombre de réservations sur un ouvrage de littérature ado littéralement exploser suite à la parution d’un BookTok.

Jeanne Seignol évoque enfin un problème de plus en plus présent dans la communauté BookTok, celui de la dark romance 1

X

Sous-genre de la littérature sentimentale, la dark romance entre dans la catégorie des romances interdites, mettant en scène des relations parfois condamnées par la morale ou par la loi.

livrée à tous ces jeunes sans aucun message d’alerte. Cela pose la question de la non-préparation des jeunes lecteurs face à ce genre d’écrits.

En conclusion de son intervention très riche, elle insiste sur l’importance de ne pas juger les choix de lecture de la jeunesse au risque de les démotiver ou de les complexer. Elle encourage plutôt à les accompagner dans leurs choix, converser avec eux afin qu’ils se questionnent eux-mêmes sur leurs lectures.