2es journées CasuHAL

Science ouverte, république numérique et archive ouverte : quoi de neuf ? • Dijon, 31 mai – 1er juin 2018

Gaëlle Chancerel

En avril 2018, l’association CasuHAL fêtait son 250e adhérent après seulement un an et demi d’existence. Pour cette deuxième session 1 des journées CasuHAL, la Maison des sciences de l’homme de Dijon (MSH) accueillait 150 utilisateurs de la plateforme HAL. Cette capacité à fédérer autour de la science ouverte a été saluée par Jean Vigreux (directeur de la MSH) et par Christine Berthaud (directrice du CCSD). Cette dernière a souligné l’importance du réseau CasuHAL comme force de proposition pour l’amélioration constante de la plateforme HAL. Il revenait à Nicolas Alarcon (président de CasuHAL) d’ouvrir officiellement l’édition 2018 : « Science ouverte, république numérique et archive ouverte : quoi de neuf ? ». Grâce à la place importante de l’association dans le paysage de la science ouverte, ces journées avaient pour objectifs de mettre en lumière les nombreuses expériences et initiatives existant dans un contexte où HAL et la loi pour la République numérique sont des atouts de poids.

Science ouverte : panorama à l’international
et focus sur la France

La première table ronde réunissait trois membres du groupe « édition scientifique » de la Bibliothèque scientifique numérique (BSN 7). Serge Bauin (DIST-CNRS) a commencé par piquer l’attention de l’auditoire avec une note d’humour : « Avant de tweeter, attendez… il y a des provocations. » Il s’est alors attaché à déconstruire certains modèles de réflexion car, si le libre accès et les modèles économiques de l’édition scientifique (gold, green, APC) font débat, l’essentiel est ailleurs : dans le passage réel au numérique, à savoir un numérique qui ne doit pas « singer le papier ». L’enjeu est de garder la maîtrise de nos productions et de nos outils avec l’appui d’infrastructures nationales et internationales (par exemple Transparent Transition to Open Access – TTOA) pour servir la science ouverte et la bibliodiversité, selon les principes de l’Appel de Jussieu (dont il est un des rédacteurs).

Le témoin est alors passé à Jean-François Lutz (responsable de la bibliothèque numérique, université de Lorraine). Au travers d’expériences dans les universités de Californie, d’Utrecht et de Lorraine, il a montré comment il est possible de faire avancer la science ouverte dans nos établissements. Si en Californie, les établissements se sont concertés pour proposer des pistes d’actions communes, l’université néerlandaise a bénéficié du plan national pour la science ouverte. En Lorraine, c’est le déploiement d’une archive ouverte HAL qui a été le point de départ de la politique d’établissement pour aboutir aujourd’hui au soutien à l’édition Fair Open Access. Des contextes différents mais qui montrent tous la nécessité d’un pilotage scientifique et politique et le recours à des moyens en conséquence. Jean-François Lutz a insisté sur le rôle des professionnels de l’information scientifique et technique (IST) comme forces de proposition et interfaces entre services au sein des établissements universitaires.

Frédéric Helein (mathématicien, université Paris Diderot, directeur du Réseau national des bibliothèques de mathématiques – RNBM) nous a présenté le point de vue du chercheur. S’appuyant sur un retour d’expérience de l’utilisation de HAL, il a passé en revue les avantages et les risques de l’utilisation du réseau social académique ResearchGate. Deux usages souvent antinomiques, mais qui dans les faits sont fréquemment mis en concurrence par les chercheurs. Au travers de projets novateurs comme celui du Centre Mersenne et deMathOA, il a montré que les lignes bougent dans l’édition scientifique, accélérant la transition vers l’accès ouvert équitable en mathématiques. Frédéric Helein a enfin abordé les méfaits de la bibliométrie dans une science devenue malade de ses travers 2. Il a conclu sur une note optimiste en relevant les innovations en matière d’évaluation de la science.

Deux atouts français : la loi pour une République numérique et l’archive ouverte HAL

La deuxième table ronde était consacrée à la science ouverte dans son contexte hexagonal au travers des leviers juridiques et techniques. Lionel Maurel (université Paris Lumière) a analysé l’application de l’article 30 de la loi pour une République numérique, vingt mois après sa promulgation. Des doutes et des questionnements ayant émergé, un guide d’applicationa été élaboré par des chercheurs, juristes et professionnels de l’IST, qui permet notamment de clarifier les bases de calcul des financements publics, la rétroactivité de la loi et l’opposabilité aux éditeurs étrangers. Après avoir insisté sur la dimension systémique de l’Open Access (résultats, données, diffusion, évaluation, etc.), Lionel Maurel a conclu sur l’atout que représente la loi pour une République numérique, qui pose des bases solides pour la science ouverte en France. Une politique du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation visant à créer un environnement favorable est désormais attendue.

Bénédicte Kuntziger (CCSD) a rappelé le contexte de la genèse de l’archive ouverte HAL et de tous ses services connexes (Tel, MediHAL, scienceconf.org, episcience.org, Heloïse, etc.). Riche aujourd’hui de plus de 120 portails d’établissements et de 5 000 collections, la plateforme d’archives ouvertes renforce sa position au cœur d’une politique nationale en faveur du libre accès. La convention de partenariat inter-établissements, signée en 2013, va être renouvelée en 2018. La feuille de route du CCSD (2016-2020) donne pour objectifs de pérenniser le rôle de HAL comme infrastructure nationale inscrite dans un paysage international et de renforcer les moyens destinés à améliorer sa facilité d’usage (dépôt simplifié) et son interopérabilité.

Célia Lentretien (université de Lorraine) est revenue sur la mise en œuvre de HAL dans son établissement. Le projet de déploiement a mobilisé un comité de pilotage, dix laboratoires pilotes et une équipe projet (IST, services du numérique et de la valorisation). Le portail hal.univ-lorraine.fr, officiellement ouvert en 2015, recense aujourd’hui 65 000 dépôts dont 37 % avec le texte intégral. Le choix d’une saisie massive des références par des bibliothécaires a permis d’amorcer la dynamique de travail et la constitution des collections. Si un tel choix reste discutable, dévoyant l’objectif principal de l’accès à l’article, cette option a bénéficié d’un accueil favorable au sein des laboratoires et, par conséquent, d’une collaboration facilitée. Là encore, il a été montré à quel point les moyens humains doivent être mis en rapport avec les ambitions d’un projet d’établissement.

Politiques incitatives au dépôt : la carotte ou le bâton ?

La dernière table ronde de la journée était l’occasion de reposer l’objectif premier des archives ouvertes : l’accès au plein texte. Françoise Gouzi (chargée IST, Direction en appui à la recherche – DAR, université Toulouse Jean Jaurès) a précisé que son établissement s’est engagé en faveur des archives ouvertes depuis une dizaine d’années. Le portail HAL UT2J, point de départ du processus, a été le fer de lance de la politique de promotion de la science ouverte et bénéficie d’un soutien politique fort. La signature d’un protocole entre un laboratoire et la DAR permet un véritable travail de fond car il contractualise un engagement réciproque des deux parties. À ce levier d’action s’ajoute un maillage serré des référents HAL dans les laboratoires, un accompagnement pédagogique continu et transverse, ainsi qu’un connecteur HAL/CMS de l’établissement à même d’offrir un service au plus près des enseignants-chercheurs. À l’UT2J, ni carotte, ni bâton, c’est la « méthode Monnet-Schuman » (i.e. celle des petits pas) qui est privilégiée. Elle porte ses fruits puisque la moitié des références du portail HAL de l’université donne accès au plein texte 3.

L’intervention suivante portait sur l’archive ouverte SAM (basée sur une plateforme Dspace qui reverse dans HAL) de l’École nationale supérieure des arts et métiers. Christine Ollendorff (directrice de la documentation et de la prospective, ENSAM) a exposé les politiques d’incitation et d’obligation à déposer. Entre 2013 et 2015, les allocations de crédits étaient liées aux dépôts. En deçà de 75 % d’articles déposés (sur la base de ceux référencés sur Scopus), les laboratoires devaient se justifier. En contrepartie, l’ENSAM s’attachait à répondre aux demandes d’évolution de la plateforme pour les besoins des chercheurs. Si les effets de cette politique du bâton et de la carotte se sont fait sentir entre 2013 et 2015 par un nombre de dépôts croissant, la courbe s’est infléchie par la suite. Christine Ollendorf a souligné la nécessaire régularité du travail de vérification des dépôts, de communication et d’accompagnement des chercheurs.

Il revenait à Alain Monteil (coordinateur pôle Archive Ouverte, Institut national de recherche en informatique et en automatique) de décrire le processus d’acculturation au libre accès et à la science ouverte dans son établissement. Le temps de la construction (2003-2009) a vu l’ouverture du portail HAL-Inria avec un travail préalable de reprise de la base PubliLoria. Le second temps a été celui de l’adhésion des chercheurs avec une reprise des bases de chaque équipe. Le troisième temps, depuis 2013, est celui du mandat (dépôt de la version auteur sans embargo). Parallèlement, le développement d’outils a permis de faciliter les imports, l’extraction de listes ou encore l’édition de tableaux de bord. Fort de quinze ans d’investissement dans le libre accès, l’Inria a fait de son portail HAL la source et l’indicateur officiel de la production scientifique de l’établissement et travaille aujourd’hui à l’intégration des données de la recherche.

CasuHAL… casual

Le 20 sept 2016, Nicolas Alarcon écrivait sur son blog assessmentlibrarian.fr : « Pour moi, CasuHAL est une association décontractée […] qui travaille sérieusement sans se prendre au sérieux. » Moins de deux ans après, la formule ne se dément pas. Grâce à l’investissement de ses membres, CasuHAL est devenu un acteur incontournable dans le paysage français des archives ouvertes en faisant bouger les lignes en tant qu’interlocuteur privilégié du CCSD.