10 ans d’ORBi à l’ULiège
Liège (Belgique) – 20 novembre 2018
« De l’étincelle liégeoise de 2008 à aujourd’hui, comment l’Open Access et l’Open Science transforment en profondeur la manière dont on communique la science. » Voilà un titre accrocheur pour une journée qui n’a déçu aucun de ses participants. Ce 20 novembre 2018, près de 150 personnes ont rejoint le château de Colonster, sur les hauteurs de Liège (Belgique). Parmi les participants, des bibliothécaires mais aussi des chercheurs et des enseignants.
Pour fêter les 10 d’ORBi, répertoire institutionnel de l’université de Liège (ULiège), quelques orateurs prestigieux dont le recteur (président) récemment élu de l’université de Liège, Pierre Wolper, et son premier vice-recteur, Jean Winand, ainsi que le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Jean-Claude Marcourt. Étaient également présents Jean-Claude Guédon, pionnier de l’Open Access, et le recteur honoraire, Bernard Rentier 1, à l’origine de la création d’ORBi et président d’EOS (Enabling Open Scholarship).
La journée a aussi été l’occasion d’écouter et de rencontrer Marin Dacos (fondateur d’OpenEdition), Véronique Halloin (secrétaire générale du FNRS – Fonds de la recherche scientifique, belge francophone), Jean-Pierre Finance (président de COUPERIN et du groupe Open Access – Open Science de l’EUA – European University Association), Jean-Claude Burgelman (directeur de l’Unit Open Data Policies and Science Cloud, European Commission), Éric Laureys (BELSPO – Politique scientifique fédérale belge) ainsi que Marie-Pierre Pausch (responsable du service des bibliothèques de l’université du Luxembourg – UniLu).
La journée, animée par Paul Thirion, directeur de ULiège Library et maître d’œuvre principal d’ORBi, complice de la première heure de Bernard Rentier, a été consacrée, dans sa première partie, à ORBi – sa présentation, son histoire, son avenir – ainsi qu’à la situation belge en matière d’Open Access et d’Open Science. L’après-midi a été l’occasion de sortir de nos frontières et de nous pencher sur la situation internationale.
ORBI : historique et évolutions
Le lancement officiel d’ORBi a eu lieu le 26 novembre 2008 avec, dès le départ, le fameux « mandat liégeois » : à la fois bâton – les publications qui ne sont pas dans ORBi n’existent pas officiellement, et ne sont donc pas prises en compte pour les nominations, confirmations et autres demandes de budget – et carotte, avec une gamme étendue de services offerts et une visibilité sensiblement accrue. Dès le départ, ORBi a bénéficié d’un soutien fort de l’université de Liège, en la personne de Bernard Rentier, ardent défenseur de l’Open Access.
Dans l’université, ORBi n’a pas provoqué de révolution, tout au plus quelques oppositions. Il faut dire que l’équipe ORBi avait misé sur un accompagnement fort des chercheurs, qui connaissaient mal les enjeux de l’Open Access. À l’extérieur de l’université, par contre, il y a eu de nombreuses incompréhensions. Peu d’universités ont adopté un mandat similaire au mandat liégeois.
Un des objectifs poursuivis par la création d’ORBi était d’arriver rapidement à réduire la charge financière des abonnements. Cet objectif est loin d’avoir été atteint. Un autre objectif était de savoir ce qui était publié par les chercheurs et les enseignants. Sur ce point, l’équipe ORBi a eu une grosse surprise puisque le système a, dès la première année, comptabilisé 10 000 articles annuels, au lieu des 3 000 attendus. Le troisième objectif était d’accroître la visibilité des publications de l’université. À ce jour, ORBi comptabilise plus de 16 millions de téléchargements pour 168 000 références, dont 62 000 avec un document en Open Access. Ce troisième objectif est donc largement atteint. Les évaluations réalisées en 2011 et 2012 font apparaître que les références présentes dans ORBi sont en moyenne deux fois plus souvent citées que celles qui ne s’y trouvent pas.
Le taux de satisfaction mesuré il y a deux ans est de 90 %. Après dix années de fonctionnement, on remarque par ailleurs que les articles sont régulièrement déposés avant leur publication et que (seulement) 10 % des références sont manquantes (vérification faite avec Scopus). On remarque malheureusement aussi que de nombreux documents restent en accès restreint sans justification.
Le modèle liégeois est maintenant bien connu au-delà des frontières de la Belgique. ORBiLU, le répertoire institutionnel de l’université du Luxembourg, en est un exemple. ORBi a également inspiré le FNRS en 2013 avec l’obligation de dépôt de tous les dossiers ainsi que le récent décret de la fédération Wallonie-Bruxelles du 3 mai 2018 2, proche de la loi « République numérique » sur le libre accès aux publications scientifiques.
ORBi va évoluer avec un ORBi2 dans les cartons, proposant une toute nouvelle interface, une intégration d’ORCID et bien d’autres évolutions. Dans ces changements, l’auteur sera toujours au centre du processus et c’est probablement le plus important. ORBiLU, de son côté, a déjà cinq ans. Comme ORBi, il est associé à un mandat et à une volonté politique forte. Il aura été une source d’évolution importante pour la bibliothèque de l’université du Luxembourg.
Au-dela d’ORBi : évaluation, plan S, Open Data
Le riche programme de la journée s’est poursuivi l’après-midi par une rapide présentation d’ORCID, de DMP Online (pour la gestion de plans de données) et des licences Creative Commons. La suite a été l’occasion de sortir de nos frontières.
Les big deals et les éditeurs, l’Open Science et le plan S, le facteur d’impact et l’évaluation de la recherche ainsi que les pistes pour l’avenir sont les sujets qui ont été les plus régulièrement évoqués lors des exposés et des échanges.
Plusieurs orateurs sont revenus sur le problème de l’évaluation. Avec la création du facteur d’impact, depuis les années 1970, les éditeurs ont créé et entretenu la confusion entre qualité et excellence. Le prestige est devenu un critère d’évaluation. Mais, comme chacun le sait, le prestige est hautement manipulable. Le chercheur est aussi manipulé et ce n’est pas lui qui paye les abonnements. Pour l’évaluation des chercheurs, Bernard Rentier parle avec verve de «supercherie du facteur d’impact». L’utilisation du facteur d’impact, une moyenne, pour qualifier un article ou le travail d’un chercheur est effectivement une aberration. Pour lui, il faudrait peut-être aller jusqu’à imposer aux jurys d’évaluer des chercheurs sans connaître leur affiliation et le nom des revues où ils ont publié, créer des grilles d’évaluation portant sur d’autres aspects que la publication et tenir compte de leur investissement «open». Véronique Halloin a, à ce propos, rappelé que le FNRS n’avait plus de règles bibliométriques pour l’évaluation des dossiers. S’il reste des règles dans certaines évaluations, elles sont imposées par les jurys, constitués d’enseignants et de chercheurs.
Le plan S, qui suppose un Open Access total pour 2020, a également fait l’objet de nombreux échanges. Le rejet du modèle hybride fait l’unanimité. La vision des éditeurs, qui est de transférer tous les abonnements vers une publication avec APC (Article Processing Charge), est une grosse source d’incertitudes. Faut-il en limiter le montant ? Assurément. Mais qui va trancher ? Sur cet aspect, il y a des divergences de vues entre intervenants français et belges. Pour Marin Dacos, le plan S, et plus spécifiquement le problème des APC, sera ce que nous en ferons (le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation français a déjà signé). Il faut impérativement se coordonner au niveau international. Les intervenants belges préfèrent attendre avant d’y adhérer.
En définitive, l’Open Access est bénéfique pour les administrations. Source d’économies, il permet un meilleur monitoring et améliore le rendement des investissements. Avec une science qui devient plus transparente, il est source d’accélération de l’innovation. Les freins perdurent chez certains éditeurs mais surtout chez des chercheurs qui résistent par manque de connaissances.
Dans l’Open Science, l’étape suivante est l’Open Data, qui doit améliorer et garantir la transparence des résultats. Ici aussi, malgré le caractère progressivement obligatoire, la résistance principale vient des auteurs, plutôt que des éditeurs. Malgré les complexités techniques relevées, l’attraction doit devenir supérieure aux craintes et aux obstacles.
Perspectives et enjeux
Plusieurs pistes d’avenir ont été évoquées. La principale est la création de plateformes, de méta-portails, qui seraient constitués du regroupement de répertoires institutionnels. Ces structures doivent être financées par les pouvoir publics et être indépendantes des pouvoirs financiers. Il faut aussi récupérer la maîtrise des APC, privilégier les pré-publications et l’évaluation ouverte, aller jusqu’à se passer du concept de revue. Les répertoires institutionnels pourraient inclure l’étape d’évaluation et de validation dans leur processus.
Nous devons éviter à tout prix de brader la qualité de la publication scientifique. Nous devons aussi la rendre accessible à un public le plus large possible. De nouvelles compétences sont attendues, entre autres, de la part des bibliothèques. Les écoles de formation des futurs bibliothécaires doivent en tenir compte.
Pour clôturer la journée et y mettre un superbe point final, Pierre Wolper a osé poser la question : a-t-on encore besoin des éditeurs ?
Les vidéos et les PDF de la journée ont été mis en ligne : https://lib.uliege.be/fr/content/orbi-day