Perspectives pour l’évolution du métier de bibliothécaire

Une identité professionnelle questionnée

Florence Roche

Frédéric Saby

Article publié dans le BBF n° 2 de juin 2014


La question de l’avenir est aujourd’hui régulièrement posée par les bibliothécaires  1. Ces derniers, qui exercent un métier millénaire, qui sont habitués à vivre dans le temps long de l’histoire et à considérer l’échelle du temps en termes de siècles, se trouvent aujourd’hui conduits à s’interroger sur l’avenir. Non pas l’avenir lointain qu’ils avaient coutume de considérer, mais bien leur avenir à court terme, un horizon de cinq à dix ans. La question de l’avenir des collections est souvent première lorsque les bibliothécaires envisagent leur devenir ; elle conduit en réalité à poser celle de l’avenir des bibliothèques, tant les deux notions sont indissociables.

De l’avenir des bibliothèques

Pourquoi se pose-t-on aujourd’hui la question de l’avenir des bibliothèques ? Qui pose cette question ? Depuis quand se la pose-t-on ?

Essayons de comprendre les phénomènes qui sont à l’œuvre aujourd’hui à travers quelques jalons chronologiques.

Première étape, il y a vingt ans (1994)

La question de l’avenir de la bibliothèque ne se posait pas de manière ontologique, sous la forme d’une menace quant à son existence elle-même. On se posait bien sûr la question de son évolution, de son adaptation aux nouvelles technologies notamment (conversion des catalogues sur fiches, développement de la recherche documentaire informatisée – RDI), mais son avenir lui-même n’était pas remis en cause.

À cette période, il faut noter que l’évolution des bibliothèques universitaires et de lecture publique n’a pas été tout à fait identique. Les bibliothèques territoriales se sont alors beaucoup interrogées sur le développement de la lecture, la relation au public, l’investissement dans de nouveaux territoires de lecture. Elles ont mené en parallèle des actions offensives, par exemple dans la lutte contre l’illettrisme ou plus largement dans la lutte contre les exclusions ; mais elles ont aussi mené de vastes programmes de construction qui ont affecté toutes les tailles de collectivités et produit des exemples remarquables de nouveaux bâtiments dont l’existence même se justifiait surtout par cette relation au public. En revanche, elles se sont peu posé la question, du moins à cette époque, des évolutions techniques.

Parallèlement, au même moment, les bibliothèques universitaires étaient dans une évolution tout autre. On était encore, il y a vingt ou vingt-cinq ans, avant l’explosion démographique universitaire des années 1990, dans une relation au public facile. On y reviendra. On a donc consacré du temps au traitement des évolutions techniques, avec deux étapes majeures : la révolution informatique d’abord, la révolution numérique ensuite. L’étape informatique a touché dans les années 1980 la circulation des documents, puis les catalogues. La révolution numérique, à partir des années 1990, a profondément transformé, à l’université, la relation à la documentation. De manière plus ou moins rapide selon les disciplines mais toujours profonde.

Deuxième étape, il y a quinze ans (1998-1999)

Le développement de l’internet et de l’informatique documentaire amène certains décideurs à se poser la question du lieu (ex. : la remarque du président de l’université au moment de la pré-programmation d’une reconstruction de la BU de Grenoble). C’est à cette époque que la succession de ces deux évolutions majeures dont on vient de parler a occupé l’essentiel des temps de travail et s’est même appuyée sur un puissant accroissement des moyens, notamment en personnels, dévolus aux bibliothèques universitaires entre la fin de la décennie 1980 et le début de la décennie 2000. C’est aussi la période des grands travaux : constructions nouvelles et opérations de réhabilitation dans le cadre de plans successifs, « université 2000 » puis U3M. C’est finalement une période d’euphorie pour les bibliothèques universitaires (développement du libre accès, informatisation, créations de postes, sensible augmentation des budgets, etc.).

Troisième étape, il y a dix ans (2004)

Le développement des ressources numériques s’est intensifié  2 avec les ressources payantes accessibles en ligne. Le discours professionnel s’est alors construit dans les bibliothèques universitaires autour de l’idée de médiation (bibliothécaire facilitateur de l’accès à l’information). C’est l’époque où apparaissent dans les organigrammes des bibliothèques universitaires des services au public, des départements du public. C’est également à cette période que s’est structurée véritablement, en lien avec la réforme du LMD, une offre de formation des étudiants à la méthodologie documentaire. Ce dernier point est le signe d’une double évolution : une difficulté croissante à se retrouver dans une abondance documentaire démesurée (à la fois en quantité et dans les formes) ; mais aussi une difficulté croissante du public étudiant à se retrouver dans des codes académiques qu’il ne possède pas ou qu’il ne possède plus. Or, l’accès à la documentation constitue l’un de ces codes.

Basculement : les années 2005-2010

La bascule véritable s’est faite après et très rapidement, entre 2005 et 2010. La part du budget consacrée aux collections numériques prend le pas sur les collections imprimées, avec pour première conséquence dans les BU scientifiques une désertion des chercheurs. Au même moment, l’équipement des citoyens en accès internet a progressé de manière fulgurante, suivi par le développement de l’internet mobile ; au même moment également, les ressources gratuites proposées sur le web augmentent en nombre et en qualité, les usages des publics potentiels se modifient. Cette bascule des usages, de l’offre d’information, entraîne sans doute une vraie rupture qui intervient au terme d’une vingtaine d’années d’évolutions techniques. Cette vraie rupture, cette bascule véritable, a évidemment à voir avec les accès nomades et mobiles à l’information, dont celle produite pour les bibliothèques.

Dans un processus qui s’est étendu à Grenoble de 2001 à 2007, nous avons mis en place progressivement les accès à distance à la documentation numérique. Cette chronologie est sensiblement la même dans toutes les bibliothèques universitaires. Force est aujourd’hui de constater que cet événement, même s’il n’est pas ponctuel, a été d’une importance majeure, parce qu’il a introduit la rupture entre la collection de la bibliothèque et le bâtiment de la bibliothèque. Cette rupture est profonde. L’étymologie du mot est là pour nous le rappeler. La bibliothèque, c’est d’abord le coffre dans lequel on range les livres. Avec cette rupture, le coffre vole en éclats. Les conséquences sont bien plus grandes et bien plus profondes que tous les autres points d’évolution depuis cinquante ans. Elles sont notamment bien plus grandes que tout ce qui a par exemple touché aux « nouveaux supports ». Les nouveaux supports n’ont jamais introduit de rupture aussi radicale, pour deux raisons. D’abord parce qu’il est abusif de leur donner une importance trop grande. Leur principale caractéristique est d’être autre chose que des livres, et c’est oublier un peu vite au passage que, depuis toujours, les bibliothèques ont dans leurs collections autre chose que des livres. Ensuite, et surtout, parce qu’ils n’ont à aucun moment remis en cause l’enveloppe charnelle, le cœur, qui constitue le lieu même où se noue la relation à la bibliothèque.

La rupture de la fin des années 2000, en revanche, est d’une tout autre radicalité. Car, en donnant accès à distance à des collections, dont on continue à dire qu’elles sont les collections de la bibliothèque, on introduit une rupture majeure de cette relation, parce que désormais on apporte la preuve active que l’enveloppe charnelle, le cœur d’origine, n’est plus forcément indispensable. C’est la vraie rupture sans doute.

Une évolution rapide des usages

Les enquêtes Insee et Crédoc récentes ont montré que le taux d’équipement des foyers en accès à internet est passé de 56 % en 2008 à 64 % en 2010, puis à 78 % en 2012, soit une augmentation de 22 points en quatre ans.

Le taux d’accès à l’internet mobile est passé de 20 % en 2008 à 38 % en 2010, puis à 40 % en 2012 (données Insee). En quatre ans, cela représente un doublement de la proportion d’accès à l’internet mobile.

80 % des internautes utilisent internet tous les jours et 30 % utilisent internet au moins une fois dans l’année pour acheter des livres, magazines, journaux ou matériel éducatif.

    La bibliothèque face aux nouveaux usages

    L’accès à l’information s’est diversifié et facilité et les usages sont en pleine mutation : baisse des prêts et des inscrits dans toutes les catégories de bibliothèques, universitaires ou territoriales ; augmentation de la fréquentation également dans toutes les catégories de bibliothèques ; signe que les points de repère traditionnels, notamment construits autour de l’usage des collections, sont bousculés.

    La relation à la bibliothèque et à sa collection se modifie, à l’image de l’évolution du lien qu’entretient la société à l’égard de l’imprimé. On peut puiser dans notre quotidien de nombreux exemples de l’évolution du lien avec l’imprimé : tel collégien qui construit son exposé autour de ce qu’il va glaner sur internet plutôt que d’aller au CDI de son collège, monsieur Untel qui consulte Google News plutôt que le quotidien de sa bibliothèque de quartier, tel étudiant de licence qui préfère la synthèse trouvée sur Wikipedia à la consultation des sources. Il faut noter que le public étudiant qui fréquente aujourd’hui les universités ne dispose que de « peu de points de repère quant aux exigences scolaires dans une institution continuant à fonctionner pour des étudiants familiarisés avec les codes implicites de la culture légitime  3 ». Le hiatus est avéré entre les pratiques des étudiants et ce que l’université attend d’eux. Le taux d’échec en première année, de l’ordre de 60 % des effectifs inscrits, est malheureusement là pour le confirmer.

    La bibliothèque est l’objet de concurrences multiples au travers de deux de ses missions fondamentales : l’accès au savoir et la démocratisation de cet accès. Aujourd’hui, même dans les bibliothèques universitaires, qui ont longtemps considéré leur public comme un public captif, la fréquentation de la bibliothèque par les étudiants n’est plus une évidence, en tout cas pour les usages fondés sur les collections.

    Il en découle des interrogations pour les tutelles (universités comme collectivités territoriales), qui, en tant que gestionnaires de l’argent public, s’interrogent légitimement sur l’évolution de nos établissements.

    Et si on ne se posait pas la question de l’avenir des bibliothèques ?

    Rappelons que la vraie rupture, celle provoquée par les accès distants, remonte à moins de dix ans. La rapidité du phénomène a certes surpris, voire désemparé, les bibliothécaires eux-mêmes, bousculés dans la représentation de leur métier. Certains ont pu se réfugier derrière deux tentations :

    • Le discours de la déploration face à ce qui peut être perçu comme une évolution négative de la société.
    • La volonté de ne rien changer ; c’est une façon d’exprimer l’attachement à son cœur de métier.

    Il est impératif que les bibliothécaires se posent cette question avant que d’autres ne la posent à leur place. Car ne pas s’adapter, c’est :

    • Courir le risque d’une rupture avec le public, donc courir le risque de la perte de ce public (il faut noter d’ailleurs qu’un effet pervers ou indésirable de l’accès distant aux ressources, pourtant voulu par les bibliothécaires, a entraîné un éloignement des chercheurs, qui ne fréquentent plus les bibliothèques et en viennent à oublier que les ressources numériques qu’ils consultent sont acquises par les bibliothèques. C’est le phénomène que Daniel Renoult a qualifié de désintermédiation ; c’est aussi finalement une preuve que le lien entre collections et bibliothèque n’est plus aussi effectif).
    • Courir le risque de perdre en légitimité ; cette légitimité est pourtant le meilleur garant de notre avenir.

    Quelle est la légitimité du bibliothécaire ?

    Sa légitimité première et séculaire (la question du choix et du bon choix  4) est questionnée. Comme l’écrivait Michel Melot en 2004, dans La sagesse du bibliothécaire 5, « la tâche ordinaire du bibliothécaire n’est pas d’accumuler les livres mais de les choisir et d’assumer ce choix ». C’est bien parce que cet édifice est aujourd’hui remis en question, que cette question du choix est battue en brèche, que vient ce malaise qui n’épargne personne dans notre profession.

    Dans les bibliothèques universitaires, la question du choix s’est longtemps incarnée dans les acquisitions de documents. Aujourd’hui, elles ne sont plus considérées comme une activité scientifique ; le choix, ce sont les enseignants qui l’exercent. Or, à bien y regarder, cette question n’est pas nouvelle. Chacun – enseignant, d’une part, bibliothécaire, d’autre part – a revendiqué cette scientificité. Le changement vient aujourd’hui d’une convergence obligée de ces deux protagonistes qui, au travers des réformes de l’université, sont contraints de travailler plus étroitement ensemble. Mais c’est clairement maintenant l’enseignant qui détient la légitimité scientifique du choix.

    La collection, cœur de la bibliothèque, est en pleine révolution. Et nous sommes donc en face de deux contradictions à résoudre :

    • La première avec, d’un côté, une appropriation différente de la collection ; de l’autre, la conviction que les fonctions traditionnelles liées aux collections persistent, peut-être sous d’autres formes que celles qu’on a connues jusqu’à présent, mais qui persistent tout de même.
    • La deuxième avec, d’un côté, l’inquiétude liée à la disparition du modèle séculaire de la collection ; de l’autre, un regard rassurant porté sur l’avenir, ou plus exactement la pérennité, des fonctions des bibliothécaires.

    La baisse des emprunts est un phénomène qui illustre parfaitement ces contradictions. Cette baisse est une tendance uniforme aujourd’hui, preuve que la collection n’est plus au centre véritable de l’action bibliothécaire. L’éventuelle compensation par les ressources numériques acquises par la bibliothèque reste à démontrer. Le cœur vole en éclat mais les fonctions qui y sont associées demeurent ; elles ne sont cependant pas forcément associées à la bibliothèque comme lieu (par ex. le catalogage mutualisé ou externalisé, ou la mise à disposition des collections numériques, dont on a vu à l’instant que leur accès distant constituait une rupture fondamentale).

    Il en découle une série de paradoxes :

    • On dit que la collection n’est plus centrale, mais on dit aussi que sans collection il n’y a plus de bibliothèque.
    • On dit qu’on a perdu la légitimité sur le choix des collections, et en même temps on dit que les ressources numériques proposées par les bibliothèques sont une alternative de choix à l’internet libre ; en cela, les bibliothécaires continuent à revendiquer la qualité fondée sur le choix.

    Il en découle également quelques certitudes :

    • les bibliothèques continuent à attirer du public ;
    • le lieu bibliothèque répond par conséquent à une attente ;
    • cette attente n’est plus centrée uniquement sur l’usage des collections.

    Il en découle enfin une nécessaire évolution des métiers. On reviendra ensuite sur le futur possible de nos établissements.

    Une nécessaire évolution des métiers

    Comment peut-on envisager l’avenir des catégories A ?

    Cet avenir ne réside assurément pas dans les acquisitions (même à l’université). On a longtemps évoqué (et mis en application) l’idée que l’avenir des conservateurs et des bibliothécaires se situait dans les fonctions de management, pris dans une acception un peu large : gestion de projet, management d’équipe, négociation avec les tutelles. Sans aucun doute, cette dimension existe, et depuis déjà longtemps, renforcée depuis quinze à vingt ans par la complexité croissante de la gestion des bibliothèques au sein des collectivités territoriales ou des universités. Dans ce dernier cas, la loi LRU (2007) et ses conséquences sous la forme des responsabilités et compétences élargies (RCE) ont assurément renforcé cette tendance managériale, en accentuant les exigences « administratives » locales.

    La dérive ultime, qui consiste à remplacer les conservateurs par des managers ou des administratifs (administrateurs), est aujourd’hui une vraie tentation pour les gouvernances. Les collectivités territoriales en ont donné des exemples ces dernières années. Les universités n’ont pas franchi le pas, mais rien ne les empêcherait d’y penser  6.

    Et pourtant, un conservateur n’est pas remplaçable par un administrateur pour trois séries de raisons :

    • La toute première est qu’il a la connaissance des publics. Michel Melot le disait déjà en 2004 : « La connaissance des lecteurs n’est pas moins nécessaire que celle des livres. C’est dans la correspondance de ces deux savoirs que repose le métier de bibliothécaire  7. » On ne peut pas mieux dire. On peut même aller plus loin en disant que la première vraie différence entre un administrateur et un conservateur se situe précisément dans cette connaissance des publics. On pourra toujours dire qu’un administrateur connaît mieux l’administration, connaît mieux la gestion, voire connaît mieux les ressources humaines. On ne pourra jamais dire qu’il connaît mieux le public. Soyons rigoureux : il s’agit bien d’avoir une connaissance fine et précise du public, de ses attentes, de ses besoins et de ses réactions, dans la lignée des études conduites depuis maintenant quelque trente ans par la BPI, et qui se sont étendues aux autres types de bibliothèques, notamment les BU (soit grâce aux enquêtes locales que la plupart d’entre elles mènent désormais régulièrement, soit grâce au dispositif LibQual dans lequel en 2014 près de la moitié des bibliothèques universitaires se sont engagées).
    • La connaissance des enjeux documentaires est la deuxième grande différence. C’est d’ailleurs une des raisons qui font que la gestion des bibliothèques est aujourd’hui plus complexe qu’il y a vingt ans. Ces enjeux, aujourd’hui d’ampleur mondiale, viennent considérablement modifier le fonctionnement des bibliothèques : conséquences de la généralisation des collections numériques, gestion des données de la recherche, etc.
    • La troisième grande raison tient à la persistance de la mission patrimoniale. Il ne faut en effet pas perdre de vue qu’une bibliothèque, quelle qu’elle soit, a à faire, de près ou de loin, avec la mission patrimoniale. « Lieu de la décantation » (Michel Melot en 2004  8), la bibliothèque, plus que jamais, est là pour permettre la sédimentation qui conduit à la constitution du patrimoine à venir ; plus que jamais, parce que l’évolution des techniques (abondance de la forme numérique de la documentation) tendrait à faire croire, faussement, que les bibliothèques n’ont plus d’autre rôle que de s’inscrire exclusivement dans cette « gestion du flux ». Non, les bibliothèques, plus que jamais, ont aussi à maintenir leur rôle de lieu de sédimentation et de décantation.

    Comment peut-on envisager l’avenir des catégories B ?

    Cet avenir ne se situe assurément pas sur un plan technique. Ce serait condamner à court terme cette catégorie de personnel, si on devait artificiellement la maintenir dans ce rôle purement technique, malgré la facilité que représenterait ce maintien ; facilité pour les dirigeants des bibliothèques, facilité pour ces personnels eux-mêmes. N’oublions pas que certaines fonctions techniques sont mutualisables ou externalisables, comme le catalogage. Dans un avenir proche, ces mises en commun, voire cette externalisation de fonctions vont s’étendre.

    L’avenir, pour cette catégorie de personnels, se situe sans doute dans une fonction de médiation : formation, renseignement du public. Dans les bibliothèques universitaires, cette évolution est à l’œuvre, notamment par le développement depuis une quinzaine d’années des actions de formation à destination des étudiants. Dans les bibliothèques territoriales, le mouvement est de même nature, même s’il ne s’applique pas exactement de la même manière (la formation à la recherche documentaire, fondamentale à l’université, n’a pas la même importance en bibliothèque municipale, qui privilégie en revanche, et depuis longtemps, d’autres formes de médiation).

    Comment peut-on envisager l’avenir des catégories C ?

    À l’université, cet avenir est à regarder avec beaucoup d’attention. Si ces personnels restent cantonnés à des tâches classiques et traditionnelles, même sans rapport direct avec le « magasinage » au sens strict, l’avenir est compromis, et ce, à court terme. Entendons, par tâches classiques, tout ce qui touche à la circulation des documents, ainsi que le rangement. Aujourd’hui, à l’université, la concurrence devient féroce avec les étudiants, qui travaillent en masse comme salariés dans les bibliothèques – et c’est heureux – dans des conditions très favorables grâce aux contrats étudiants qui existent depuis quelques années – et c’est également heureux. Il est très difficile de convaincre un président d’université qu’un magasinier sait « mieux » ranger qu’un étudiant ; ou qu’il sait « mieux » faire un prêt ou un retour qu’un étudiant (voire qu’un automate…). L’étudiant, pour un président, présente deux avantages importants : il coûte moins cher qu’un magasinier (aujourd’hui, un président a les yeux en permanence sur le tableau de bord de la masse salariale…), et il permet au président de tenir un discours politique efficace sur l’attention qu’il porte aux conditions matérielles d’existence de sa communauté étudiante. Il y a donc un danger objectif pour les magasiniers, qu’il faut impérativement prendre en compte, d’autant que le risque est accru par leur absence de formation initiale.

    Les solutions sont de deux ordres :

    • Engager les magasiniers dans des tâches techniques précises, qui nécessitent un professionnalisme plus important que la gestion des prêts ou le rangement. Les évolutions récentes offrent des solutions nombreuses, comme par exemple tout ce qui est en lien avec la numérisation des collections ; ou encore, comme le font aujourd’hui de nombreuses bibliothèques, ce qui a trait au catalogage par récupération de notices et exemplarisation.
    • Impliquer de manière résolue les magasiniers dans la médiation. En bibliothèque universitaire, cette médiation peut prendre deux aspects, faciles à mettre en œuvre, pour peu que les formations d’accompagnement soient proposées. Il s’agit, d’une part, de la participation au service public en salle de lecture, avec implication dans le renseignement bibliographique de premier niveau. Ce n’est pas forcément une nouveauté ; encore faut-il le mettre en valeur, notamment auprès des tutelles. Il s’agit, d’autre part, de l’implication dans la formation des lecteurs à la recherche documentaire, dans ce qu’on pourrait là aussi appeler la formation de premier niveau. Les magasiniers sont notamment très bien placés pour prendre en charge avec efficacité les visites approfondies de la bibliothèque, qui sont souvent la première étape d’une formation à la recherche documentaire.

    La place de la collection : un modèle à trouver ?

    On l’a vu, les dix dernières années ont mis à mal le lien facile entre les collections et leur public. Cette question en tout cas est essentielle parce que l’existence de la collection est liée à l’identité même de la bibliothèque.

    Plus que jamais l’avenir des bibliothécaires se situe dans la médiation. La collection ne vaut que parce que c’est l’usager qui en est le cœur. La rupture de ces dix dernières années a mis en avant le rôle de l’usager autant que celui du bibliothécaire dans la question du choix. D’une certaine manière, on a rééquilibré la balance entre l’offre et la demande. Les bibliothécaires ont peur que ce soit grave. Ils n’ont pas à avoir peur parce que l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est de continuer à faire en sorte que la bibliothèque réunisse encore les conditions d’émergence du savoir. Car le bibliothécaire n’a jamais fait, depuis la nuit des temps, autre chose que de créer des horizons d’attente.

    C’est bien là l’atout majeur de la bibliothèque. Elle est lieu de la synthèse et, de ce fait, elle est la seule à réunir toutes les conditions d’émergence du savoir. Il y a donc une identité professionnelle à recréer au-delà de l’idée que la collection physique est le cœur de la bibliothèque : les fonctions bibliothéconomiques perdurent et avec elles les attentes du public. C’est autour de ces attentes du public qu’il y a une identité du lieu à recréer, au-delà de la présence physique de la collection.

    1. (retour)↑  Cet article est le fruit d’une communication faite par les auteurs au colloque « Quel avenir pour les collections ? », organisé par la BPI le 21 janvier 2014. Voir le compte rendu sur le site du BBF : http://bbf.enssib.fr/tour-d-horizon/quel-avenir-pour-les-collections_64224
    2. (retour)↑  En 2000, à la BU droit-lettres de Grenoble, aucune ressource en ligne n’est disponible ; on acquiert, en 2001, le premier bouquet de revues numériques.
    3. (retour)↑  Aziz Jellab, « Une autre pédagogie s’impose face à la montée de la précarité étudiante », Le Monde, 20 janvier 2012.
    4. (retour)↑  Érasme l’avait déjà clairement exposé au XVIe siècle, en affirmant que la question n’est pas tant d’avoir, dans la bibliothèque, beaucoup de livres, mais des livres choisis (sed exquisitis libris).
    5. (retour)↑  Michel Melot, La sagesse du bibliothécaire, L’œil neuf éditions, 2004.
    6. (retour)↑  La décision récente (fin 2013) du conseil d’administration du CNFPT de dénoncer la convention qui le liait à l’Enssib pour la formation des conservateurs territoriaux illustre bien cette dérive : il s’agit de privilégier l’aptitude à diriger une structure quelle qu’elle soit, au détriment de la connaissance des particularités des bibliothèques.
    7. (retour)↑  La sagesse du bibliothécaire, op. cit.
    8. (retour)↑  Op. cit.