Les bibliothèques d’écoles d’art et de design

Eymeric Manzinali

Actrices à part dans le monde des bibliothèques, les bibliothèques des écoles d’art et de design françaises et monégasques sont un réseau de bibliothèques spécialisées, majoritairement constitué de petites structures. Elles ont rapidement su se fédérer pour proposer des outils de recherche dans le vaste champ de l’art et du design, et exister comme des entités spécifiques dans les réseaux de l’art contemporain et des écoles d’art.

Les professionnels qui les animent, issus de cursus artistiques, des métiers du livre, de la documentation ou de formations en histoire de l’art, sont notamment chargés de constituer, de gérer et de mettre en valeur leurs ressources, en lien avec la pédagogie des écoles et l’actualité artistique locale, nationale et internationale. Ils soutiennent également les étudiants et l’équipe pédagogique dans leurs travaux de recherche, par un accompagnement qui va du renseignement ponctuel à des actions de formation ou à des modes de suivis personnalisés. Confrontées aux changements qui, depuis le début des années 2010, traversent les écoles d’art et de design, leurs bibliothèques se situent aujourd’hui dans une période charnière que nous avons tenté de préciser grâce notamment à une enquête 1

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L’enquête, qui s’est déroulée sur les mois d’octobre et novembre 2015, a constitué en l’envoi d’un questionnaire Google Forms aux 42 bibliothèques membres de l’association BEAR (Bibliothèques d’écoles d’art en réseau.) Les réponses ont permis de sonder au total 34 bibliothèques. Nous nous appuyons également sur une enquête interne à l’association réalisée en 2013 par Marie-Christine Linck, bibliothécaire à l’École supérieure des Beaux-arts de Tours.

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Vers un rapprochement des écoles d’art et de l’université

Introduit en 1999 par les accords de Bologne, le processus d’harmonisation européenne des enseignements supérieurs prévoit notamment une architecture des études en trois grades (licence-master-doctorat), une semestrialisation des études et la délivrance de crédits ECTS (European Credits Transfer System = système européen de transfert et d’accumulation de crédits), répartis par enseignements et transférables d’un établissement à l’autre, à l’échelle européenne, facilitant la circulation des étudiants, enseignants et chercheurs ainsi que la reconnaissance des diplômes à l’échelle européenne.

Pour que le DNSEP (Diplôme national supérieur d’expression plastique), délivré par les écoles d’art après cinq années d’études, soit reconnu au grade de master, les écoles d’art ont dû s’adapter aux préconisations d’une évaluation de l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) 2

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Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Rapport d’évaluation prescriptive de l’AERES relative au DNSEP. 2010. En ligne : https://www.aeres-evaluation.fr/Actualites/Communiques-dossiers-de-presse/Rapport-d-evaluation-prescriptive-de-l-AERES-relatif-au-DNSEP [consulté le 31 janvier 2016].

publiée en 2010 à partir d’un échantillon de sept établissements, à la demande des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Culture. Préconisations qui prévoyaient notamment l’introduction d’un travail de mémoire de la part des étudiants, calqué sur un modèle universitaire, un adossement de l’enseignement à la recherche, et une autonomie des établissements, devant s’organiser sur le modèle des établissements publics et des établissements publics de coopération culturelle 3
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L’établissement public de coopération culturelle est un établissement public constitué par une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pour gérer un service public culturel. Les activités de l’EPCC doivent présenter un intérêt pour chacune des personnes morales en cause et contribuer à la réalisation de la politique culturelle nationale. Les EPCC permettent d’associer plusieurs collectivités territoriales et éventuellement l’État dans l’organisation et le financement d’équipements culturels importants. Ils offrent un cadre souple mais stable pour gérer des institutions permanentes. (Source : Wikipédia)

ou EPCC (pour les écoles territoriales).

Cette réforme a amené les bibliothèques d’écoles d’art, alors majoritairement municipales, à changer de statut. En accordant plus de place à l’écrit dans la formation des étudiants 4

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Emmanuelle LEQUEUX. « Révolution dans les écoles d’art : les étudiants devront écrire plus qu’avant », Le Monde, 9 avril 2010. En ligne : http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/04/09/revolution-dans-les-ecoles-d-art-les-etudiants-devront-ecrire-plus-qu-avant_1331309_3246.html [consulté le 31 janvier 2016].

et à la recherche, elle a amené également les bibliothécaires à s’interroger sur l’évolution de leurs missions, en s’impliquant par exemple davantage dans la formation des étudiants, mais également dans la recherche en art et en design et dans la visibilité de la production écrite et éditoriale des écoles. Les dernières évolutions de la Base spécialisée art & design, gérée par l’association Bibliothèques d’école d’art en réseau (BEAR) 5
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Annuaire des écoles et présentation de l’association BEAR disponibles sur la Base spécialisée art & design : http://www.bsad.eu/opac/index.php

et dont nous proposerons un aperçu historique, traduisent cette volonté tout comme la nécessité des bibliothèques d’écoles d’art et de design d’exister au sein d’un réseau autonome.

Un réseau de bibliothèques spécialisées

Les bibliothèques d’écoles d’art appartiennent aux bibliothèques spécialisées, et en possèdent toutes les caractéristiques : des structures de petite taille, un personnel spécialisé et des collections couvrant un champ précis de la connaissance. Dans leur « écosystème », les revues tiennent une place centrale, documentant un domaine en mutation constante.

Des structures de petite taille

Les bibliothèques d’écoles d’art forment un réseau constitué majoritairement de petites structures : 19 bibliothèques, parmi les répondants à l’enquête comptent moins de 2 professionnels ; 9 bibliothèques comptent entre 2 et 5 salariés, et seule la bibliothèque de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA) compte plus de 10 salariés. Malgré leur faible masse salariale, les bibliothèques offrent des plages d’ouvertures importantes qui les rapprochent plus des bibliothèques universitaires que des bibliothèques municipales 6

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Rapport 2013 de l’Observatoire de la lecture publique. En ligne : http://www.observatoirelecturepublique.fr/observatoire_de_la_lecture_publique_web/docs/Rapport%20national%20BM%202013.pdf [consulté le 31 janvier 2016]. Les statistiques concernant les bibliothèques universitaires n’étant plus publiques, nous n’avons pas pu réaliser un comparatif avec ces dernières.

, par exemple : une enquête interne réalisée en 2012 auprès du réseau décompte une moyenne de 38 heures d’ouverture hebdomadaire, avec des différences, à quelques exceptions près, peu significatives suivant les bibliothèques. Cette large amplitude horaire implique une organisation du travail différente : dans une bibliothèque ne comptant qu’un seul professionnel, les tâches dites internes de catalogage, de gestion des commandes, etc., doivent en grande partie être réalisées sur le temps dévolu à l’accueil du public.

Des professionnels spécialisés

Les répondants à l’enquête, dont on peut penser qu’il s’agit principalement des responsables des bibliothèques interrogées, sont largement issus de cursus universitaires. Travaillant dans des bibliothèques spécialisées, les bibliothécaires d’écoles d’art ne viennent pas uniformément des filières métiers du livre, même s’ils sont une majorité à avoir suivi ces cursus : 13 professionnels viennent de l’art – école d’art, filière universitaire en art, École du Louvre –, 6 professionnels ont suivi un cursus double – art et métiers du livre –, quand seulement 13 autres professionnels viennent uniquement des filières métiers du livre/documentation/bibliothèque. On observe donc, parmi les répondants à l’enquête, une répartition équilibrée entre filières artistiques et métiers du livre.

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Figure 1. Formation initiale des répondants à l’enquête

Une large présence dans les réseaux municipaux et universitaires

Avant de former des EPCC, les écoles d’art étaient majoritairement des structures municipales. Leurs bibliothèques faisaient alors partie du réseau des bibliothèques municipales. Si des bibliothèques ont quitté ce réseau une fois leur école devenue EPCC, elles sont encore nombreuses aujourd’hui (50 %) à être intégrées dans le catalogue des bibliothèques municipales de leur territoire. Cette présence, malgré le changement de statut des écoles d’art, garde une pertinence en termes de recherche de documents et de circulation des publics sur un territoire donné, certaines villes proposant un catalogue interrogeant à la fois les fonds des bibliothèques généralistes et spécialisées (bibliothèques des archives, centres de documentation de FRAC…).

Le rapprochement des écoles d’art avec les universités les a, par ailleurs, encouragé à intégrer le Sudoc, catalogue fédérant les bibliothèques d’enseignement supérieur. 32 % des bibliothèques référencent leurs collections dans le Sudoc. Chiffre auquel il faut ajouter les 8,8 % de bibliothèques qui référencent leurs périodiques dans ce même catalogue. 12 % des bibliothèques font, enfin, partie d’un catalogue constitué de bibliothèques d’établissements d’enseignement supérieur locales.

Classification universelle ou spécifique ? Logique de réseau local ou adaptation aux collections ?

Les bibliothèques municipales et universitaires françaises utilisent en majorité la classification décimale de Dewey (CDD), ou son dérivé, plus précis dans les indices et adapté au monde universitaire, la classification décimale universelle (CDU). Ces deux classifications sont adaptées aux fonds généralistes et encyclopédiques de ces deux types de bibliothèques. Elles présentent en sus l’avantage d’être universelles et standardisées, comme peut l’être le format UNIMARC des notices de catalogues, ou l’utilisation de RAMEAU pour les vedettes-matière, facilitant à la fois logique de réseau et cadre de travail commun à tous les bibliothécaires.

Les bibliothèques d’écoles d’art utilisent en partie (44 %) la classification Dewey. Ce chiffre monte à 60 % des bibliothèques faisant partie du catalogue des bibliothèques municipales de leur territoire, pour les bibliothèques ayant choisi cette classification universelle. Ce chiffre renforce l’idée d’une utilité de la classification Dewey dans le cadre d’un réseau où figurent des bibliothèques municipales à vocation généraliste.

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Figure 2. Présence des bibliothèques dans des catalogues communs par type de classification

Mais il est intéressant de constater que 56 % des bibliothèques interrogées passent par une classification « maison » 7

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Nous avons intégré, à ce chiffre, les deux bibliothèques ayant répondu « Autre classification » et qui, après vérification, utilisent effectivement une classification « maison ».

pour organiser leurs collections et que ces bibliothèques sont, en règle générale, moins imbriquées dans les réseaux municipaux ou intercommunaux : 42 % d’entre elles font partie du catalogue des bibliothèques municipales de leur territoire. Elles sont, en revanche, plus présentes dans le Sudoc que les bibliothèques utilisant la classification Dewey : 42 % d’entre elles font partie de ce catalogue qui regroupe les bibliothèques d’enseignement supérieur.

Si la Dewey offre tous les avantages liés à la standardisation, elle reste mal adaptée à un fonds spécialisé en art, à moins de procéder à des adaptations. Son découpage, d’abord, en grandes disciplines (peinture, sculpture, photographie et cinéma…), ne correspond plus à l’actualité de l’art contemporain, où prime aujourd’hui la transdisciplinarité. Les fonds des bibliothèques spécialisées en art contemporain restent, par ailleurs, partiellement organisés par types de documents : monographie, catalogue d’exposition, essai, etc. Ce qui conduit également certaines bibliothèques à adopter une classification mixte – « maison » pour les monographies et Dewey pour le reste du fonds par exemple – ou à procéder à des adaptations de la classification Dewey.

Des acquisitions concertées avec l’équipe pédagogique

Les suggestions de l’équipe pédagogique sont recueillies par toutes les bibliothèques. Afin de documenter au mieux les enseignements des écoles, leur actualité propre, mais aussi solliciter les domaines d’expertises des enseignants, l’équipe pédagogique, pour certaines demandes précises, est fréquemment consultée. Les bibliothèques du réseau utilisent majoritairement un mode de communication informel (échanges d’e-mails, de vive voix, demandes postées sur le site de la bibliothèque) ou la bibliographie (d’un cours, sur un sujet, à partir d’un projet) pour recueillir les suggestions.

Ces suggestions peuvent être une source d’information évaluée au regard de la politique documentaire, de la vision globale du fonds que, dans la plupart des cas, seul le bibliothécaire détient. Mais dans certaines bibliothèques, le choix est d’accepter toutes les suggestions de l’équipe pédagogique, en ce qu’elles émanent des principaux prescripteurs de lecture auprès des étudiants : les professeurs.

Dans trois bibliothèques du réseau, les acquisitions se font, pour tout ou en partie, de manière concertée avec l’équipe pédagogique par l’intermédiaire d’un comité de lecture. Les professeurs interviennent alors directement dans la mise en pratique de la politique d’acquisition avec le bibliothécaire. Un choix intéressant pour des structures de petite taille où il n’y a, souvent, qu’un bibliothécaire acquéreur : la multiplicité des voix, la mise en débat des acquisitions, permettant plus de diversité dans les choix.

Revues et veille documentaire

Dans un domaine où l’on demande au bibliothécaire de suivre à la fois une certaine actualité liée à l’événement (expositions, biennales…), et de détecter ou suivre des artistes émergents, d’orienter sa politique documentaire dans le champ du contemporain, la revue tient une place importante dans le travail de veille documentaire qui précède les acquisitions, dont elle est une des sources ; la source principale avant l’existence d’Internet.

Elle documente également une certaine histoire de l’art contemporain et est une source importante de la recherche documentaire. Sa périodicité permettant d’approcher « l’art en train de se faire » 8

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« La diffusion de l’art à travers les revues ». Dossier pédagogique de la bibliothèque Kandinsky. En ligne : http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-revues/ENS-revues.html [consulté le 31 janvier 2016].

, plus qu’aucune autre source documentaire : entretiens d’artistes en cours de création, polémiques, contexte d’actualité proche ou lointaine… La revue permet également de découvrir des « auteurs qui, faute d’avoir publié des livres ou enseigné dans de célèbres écoles, sont aujourd’hui oubliés, alors que leurs analyses ont eu une influence sur la création de leur époque ». Elle était aussi, au XXe siècle, d’après Didier Schulmann, conservateur au Musée national d’art moderne, « un espace de rencontre, de confrontations, de discussions, et de construction : un espace où se préparaient des initiatives collectives, que ce soit pour des lancements de manifestes, des expositions, des diffusions d’une œuvre, de ce qu’on appellerait aujourd’hui une performance qui pouvait être une soirée à l’initiative de Dada ou autre… » 9
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Ibid.

La nécessité d’élaborer un outil permettant d’interroger cette source de manière large – compte tenu du nombre important de titres édités –, actualisée et fine – par artiste, critique, lieu, etc. – s’est donc fait sentir de manière précoce, avant même l’avènement d’Internet, parmi les bibliothécaires d’écoles d’art.

Des bibliothèques qui travaillent depuis longtemps en réseau : l’association BEAR et la Base spécialisée art & design

La capacité des bibliothèques à s’associer sous forme de réseaux, afin d’élaborer des outils de travail, des catalogues, des espaces de réflexion communs, leur permettra de garder une pertinence à l’heure de l’information globalisée et de la mobilité. Les bibliothèques d’écoles d’art, par l’intermédiaire de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris puis de l’association BEAR, ont, dès les années 1970, réussi à se fédérer autour d’un outil commun de dépouillement des revues à destination des professionnels, des chercheurs et du grand public, mais également autour d’un réseau d’échange, de travail, de rencontres inter-écoles d’art.

Une initiative ancienne : le Bulletin signalétique des arts plastiques

Le réseau BEAR, dont l’acte fondateur remonte à 2011, est l’héritier d’une initiative ancienne : le BSAP (Bulletin signalétique des arts plastiques). En 1969, le ministre des Affaires culturelles, André Malraux, crée l’Institut de l’environnement 10

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« Environnement et design », Rosa B, 5e numéro. École d’enseignement supérieur d’art de Bordeaux. En ligne : http://www.rosab.net/fr/la-situation-francaise-les/ [consulté le 31 janvier 2016].

, qui tente de développer la recherche et d’élaborer un enseignement pluridisciplinaire de l’architecture et des arts plastiques. Dès 1971, l’Institut de l’environnement en tant que lieu d’enseignement disparaît, mais la recherche – fortement centrée sur l’architecture –, le centre de documentation – qui tient une place centrale –, et l’activité intellectuelle et éditoriale de l’institut subsistent. Le centre de documentation est animé par une équipe de documentalistes qui crée un dépouillement en réseau des périodiques dès 1974 11
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Annie CHÈVREFILS-DESBIOLLES. L’amateur dans le domaine des arts plastiques : nouvelles pratiques à l’heure du web 2.0. Ministère de la Culture et de la Communication ; Direction générale de la création artistique ; Département des publics et de la diffusion. 2012, p. 201. En ligne : https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/L-amateur-dans-le-domaine-des-arts-plastiques-nouvelles-pratiques-a-l-heure-du-web-2.0-2012 [consulté le 31 janvier 2016].

. Intégrées à l’ENSBA, avec Mathilde Ferrer à leur tête, ces documentalistes créent une salle d’actualité, transforment la bibliothèque en médiathèque, et créent également les éditions de l’ENSBA.

Ce travail de dépouillement en réseau, qui associe les bibliothécaires de ENSBA et des écoles régionales, sera publié sous format papier jusqu’en 1999, puis sous la forme d’une base accessible en ligne sur le site de l’ENSBA. Une liste de diffusion, qui existe toujours aujourd’hui, est créée et le réseau se rencontre à l’occasion de réunions de travail, de séminaires, et organise également des formations à destination de ses membres.

Un changement de l’équipe de la médiathèque de l’ENSBA sonne la fin de l’alimentation du Bulletin signalétique des arts plastiques en 2009, malgré un maintien de sa consultation sur le site de l’école. Ce changement amènera le réseau, après une interruption de son activité, à revoir son mode d’organisation.

Bibliothèques d’écoles d’art en réseau (BEAR)

Après quelques années d’inactivité, le réseau des bibliothèques d’écoles d’art, fédéré jusque-là de manière informelle autour du BSAP, est confronté en 2011 à la réforme visant à intégrer les écoles d’art dans le système européen LMD 12

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Voir plus loin le paragraphe « Vers une place renforcée des bibliothèques en écoles d’art ? ».

. Réforme qui entraîne un changement de statut pour les bibliothécaires, qui quittent leurs municipalités pour intégrer des EPCC, établissements associant une ou plusieurs collectivités, et éventuellement l’État, dans la gestion de structures culturelles.

Sous l’impulsion de la bibliothèque de l’école d’art de Nîmes, les bibliothécaires d’écoles d’art se réunissent et décident de s’unir au sein d’une association. Ils souhaitent notamment relancer le BSAP et créer ce qui deviendra la Base spécialisée art & design. Des statuts sont rédigés et le réseau reçoit le soutien de l’AndÉA (Association nationale des écoles supérieures d’art) 13

, association qui fédère les écoles d’art et organise les Assises des écoles d’art, puis celui du ministère de la Culture. Ils reprennent également contact avec la médiathèque de l’École des Beaux-arts de Paris qui accepte la migration des données du BSAP dans une nouvelle base. Le réseau BEAR, pour Bibliothèques d’écoles d’art en réseau, est né.

Outre la gestion de la BSAD (Base spécialisée art & design), qui constitue une part importante de l’activité de l’association BEAR, le réseau organise des rencontres professionnelles annuelles, moments de formation, de rencontre, de débat et de visite de l’école organisatrice – différente à chaque rencontre – et de son territoire culturel.

Dans un contexte où de nombreux bibliothécaires assument seuls la gestion de leur bibliothèque, face à des interlocuteurs qui n’ont pas forcément connaissance des conditions de gestion d’une bibliothèque, le réseau BEAR est un important espace d’échanges. Il permet de partager des difficultés rencontrées, de recueillir l’avis d’autres professionnels sur les projets de la bibliothèque et de comparer les pratiques.

Membre du CIPAC (Fédération des professionnels de l’art contemporain) et du comité consultatif de la bibliothèque de l’INHA (Institut national d’histoire de l’art), le réseau accueille aujourd’hui des partenaires extérieurs comme le MAC VAL (Musée d’art contemporain du Val-de-Marne), le Carré d’art de Nîmes, et plus récemment le Lam (Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole) dans une démarche de soutien. Il permet également aux bibliothèques d’écoles d’art d’être identifiées comme des entités à part entière dans le paysage de l’art contemporain et des écoles d’art. Elles ont disposé, par exemple, d’un stand aux dernières assises des écoles d’art à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Lyon 14

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Programme des Assises nationales des écoles supérieures d’art des 29 et 30 octobre 2015 : http://www.demainlecoledart.fr/upload/document/demainlecoledart_programme.pdf [consulté le 31 janvier 2016].

, dans le but de promouvoir la Base spécialisée art & design et l’activité éditoriale des écoles d’art.

La Base spécialisée art & design

Successeure du Bulletin signalétique des arts plastiques, la Base spécialisée art & design est une plate-forme reposant sur le système intégré de gestion de bibliothèque PMB. Elle vise, à l’origine, à proposer un dépouillement, article par article, d’un ensemble de revues d’art et de design, offrant un outil gratuit et unique à destination des professionnels, des chercheurs et du grand public. Reprenant les données du Bulletin signalétique d’art plastiques, elle couvre aujourd’hui 200 titres de revues, parmi lesquels Art Press, Beaux Arts Magazine, Frieze, Parkett, Sciences du Design, etc., pour 40 000 notices d’articles créées depuis 1987. Le dépouillement s’effectue de manière décentralisée : chaque membre du réseau dépouille un nombre déterminé de revues dans la base.

Elle est un outil important pour la recherche documentaire en art et en design, et permet de rechercher dans cet ensemble de revues des articles par nom d’artiste, nom d’auteur, mots-clés, etc., ainsi que de les localiser dans les collections des bibliothèques membres du réseau pour les obtenir sur simple demande. Elle est, par ailleurs, devenue aujourd’hui une base globale qui intègre les mémoires des étudiants d’écoles d’art, et met en valeur toute l’activité éditoriale des écoles.

Vers une place renforcée des bibliothèques en école d’art ?

Le travail de mémoire désormais exigé en cinquième année a renforcé la place accordée aux enseignements théoriques, et s’accompagne d’un développement des pratiques d’écriture, de recherche documentaire, tout au long des cursus des écoles d’art. Les bibliothèques ont dû s’adapter à la fois à cette nouvelle donne et s’interroger sur la conservation et la mise en valeur des mémoires, parmi les publications, travaux de recherches, revues, qui constituent la production écrite des écoles. En tant que professionnels de l’écrit, les bibliothécaires voient leur rôle renforcé, en même temps que cette réforme de l’enseignement en art fait naître de nouvelles missions, qui sont encore à définir.

Quels mémoires en école d’art ?

Le mémoire constitue, pour l’étudiant à l’université, une première initiation à la recherche. Il est suivi par un directeur de recherche, porte sur un sujet pointu et est évalué en interne par un jury. Il repose sur un travail de recherche et sur une indispensable bibliographie. Il représente une composante pédagogique importante dans le programme de master, à la fois en termes de notation et de temps dégagé pour les étudiants. Il est, enfin, et c’est important de le souligner, un travail écrit et très formalisé, à la différence de celui exigé en école d’art.

Pour l’universitaire, habitué aux travaux imprimés en A4, le mémoire d’école d’art peut, de prime abord, surprendre par sa forme très libre, et le soin apporté à la mise en page, à la reliure, à la réflexion qu’il porte parfois sur l’objet-livre… quand il ne s’agit pas de présenter ce travail de réflexion sous forme de plan, performance, etc. Objet gravitant autour du travail plastique de l’étudiant, il n’est ni un commentaire de ce travail, ni dénué de rapport avec lui 15

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Voir : « L’exercice du mémoire », Étapes :, décembre 2013, n° 216, p. 155-157.

. Il peut précéder le passage de l’étudiant à l’acte pratique, ou l’aider à mieux le conceptualiser.

Si la forme est libre, les genres, les formes d’écriture sollicités, le sont tout autant : certains étudiants mettent, par exemple, à profit un semestre à l’étranger pour écrire un récit de voyage où se lit, en filigrane, la maturation d’une pensée et d’une œuvre artistique, l’importance d’une telle expérience en termes d’éveil artistique. D’autres optent pour la création d’un livre d’artiste, d’une œuvre venant, par les liens qu’elle construit avec celle présentée au diplôme, en apporter une lecture, par un effet de miroir, sans que l’on soit dans un discours explicatif ; ou d’un roman, d’une œuvre poétique. D’autres, enfin, dessinent leur constellation personnelle : parcours libre dans l’œuvre des artistes dont ils reconnaissent l’influence, sous des formes extrêmement variées.

Son contenu, sa forme, sont laissés à l’appréciation du jury qui est, à l’inverse du jury de mémoire universitaire, ouvert sur l’extérieur, étant composé d’un enseignant de l’école, d’un doctorant et de trois personnalités du milieu artistique. Dans les faits, son évaluation pèse peu dans la note attribuée à l’étudiant de DNSEP, il peut cependant être remarqué et justifier une mention ; et permet aux diplômes d’être soutenus par « des références plus solides et des réflexions mieux étayées ». Il est en tout cas un objet dont les écoles d’art se sont saisies pour lui donner une nouvelle vie.

Des bibliothèques déjà très engagées dans l’accompagnement des étudiants

Les bibliothèques du réseau sont, majoritairement, très engagées dans l’accompagnement des étudiants, dans le cadre de leurs travaux de recherche et de rédaction du mémoire de DNSEP, généralement à plusieurs niveaux : réponse aux demandes de recherche des étudiants, rendez-vous individuels et suivi personnalisé de leur travail de recherche, participation et/ou proposition de modules de formation à la recherche documentaire.

Seules cinq bibliothèques (sur 34 bibliothèques répondantes) déclarent ne jamais consacrer de rendez-vous individuels aux étudiants, les autres bibliothèques étant engagées de manières très diverses dans ce type de suivi individualisé : documentaliste chargée de recevoir les étudiants en rendez-vous individuels et d’appuyer, pour son domaine d’expertise, la recherche ; accompagnement des étudiants défini comme une tâche prioritaire sur toutes les autres, etc. Trois bibliothèques centrent ces rendez-vous individuels sur les années « charnières » de passation des diplômes de DNAP (Diplôme national d’arts plastiques, de niveau licence) et DNSEP. Pour une majorité des bibliothèques du réseau, ces rendez-vous se font à la demande et de manière non formalisée.

Les bibliothèques sont également très engagées dans les modules de formation à la recherche documentaire, pour 27 bibliothèques sur 34. Il est à noter que l’AERES, dans son évaluation de 2010, suggérait déjà d’intégrer au cursus des étudiants des cours de méthodologie de la recherche documentaire, domaine où l’expertise du bibliothécaire prend tout son sens, et que ce type de cours existe à l’université, généralement assuré par les enseignants et les bibliothécaires. Ces modules, dans lesquels les bibliothèques sont engagées, sont majoritairement à destination des étudiants de première et deuxième années. Dix bibliothèques proposent ainsi ces modules à destination exclusive des élèves de première et deuxième années.

Ce fort engagement des bibliothèques est à mettre en relation avec la faible taille des équipes et la forte amplitude horaire de ces dernières. Ce travail d’accompagnement semble, pour beaucoup de bibliothèques, central, s’il n’est prioritaire sur d’autres tâches. Les bibliothécaires qui ne peuvent l’assurer mettent, par ailleurs, en avant un manque de moyens humains.

Le mémoire d’étudiant : une nouvelle ressource documentaire

À l’instar du mémoire universitaire, le mémoire d’école d’art est devenu, aujourd’hui, une ressource documentaire conservée, référencée, mise en valeur, par les écoles d’art et leurs bibliothèques. Ressource qui fait partie de la mémoire de l’école et qui peut servir d’« exemple » aux étudiants qui conçoivent le leur, certes, mais dont le contenu doit pouvoir être interrogeable dans le cadre d’une recherche, au même titre que d’autres ressources documentaires que la bibliothèque est chargée de conserver, décrire, mettre en valeur.

Les mémoires sont, en grande majorité, référencés dans les catalogues informatiques des bibliothèques : pour 15 d’entre elles, le catalogage est effectué de manière détaillée, intégrant par exemple des mots-clés, et 11 bibliothèques cataloguent les mémoires de façon simplifiée (au titre et à l’auteur) ; 11 bibliothèques ne cataloguent pas les mémoires d’étudiants mais pour 5 d’entre elles, cela est envisagé ; 12 bibliothèques numérisent, par ailleurs, leurs mémoires et les proposent en consultation sur place ou directement en ligne ; 14 bibliothèques envisagent d’en faire de même.

Dans le cadre du projet commun aux bibliothèques d’écoles d’art – la Base spécialisée art & design –, le référencement des mémoires est par ailleurs un chantier en cours et devrait précéder la mise en ligne d’une sélection de mémoires d’étudiants, sur des critères qui restent à déterminer, au même titre que le référencement des publications des écoles d’art.

Des bibliothèques encore rarement à la source d’une programmation d’événements

Si les bibliothèques municipales et universitaires sont maintenant acquises au développement de l’action culturelle, et si le rôle croissant de l’écrit dans les écoles d’art concourt à un rôle renforcé de leurs bibliothèques en tant qu’acteur – et pas seulement de service – dans la proposition pédagogique des écoles, les bibliothèques d’écoles d’art sont encore nombreuses (18 sur les 34 répondants à l’enquête) à ne pas proposer de programmation d’événements.

Seize bibliothèques proposent des événements initiés par la bibliothèque ou coorganisés avec d’autres acteurs de l’école (pédagogie…). Rencontres littéraires, ateliers, expositions, lectures, interventions d’artistes… figurent au programme. Ces événements ne font, cependant, pas l’objet d’une programmation pensée, établie sur un cycle long, sauf pour deux d’entre elles. De plus, seules trois bibliothèques disposent d’un budget alloué à la programmation, ce qui peut limiter les propositions.

Le manque de moyens humains explique, là encore, cette situation : la programmation d’événements est une activité chronophage et qui implique de disposer de temps de travail interne, ce qui n’est pas une évidence pour le grand nombre de bibliothèques où seul un agent est affecté. L’activité des bibliothèques se centre alors sur l’essentiel : l’accompagnement des étudiants et la gestion des collections notamment.

Le rôle des bibliothèques d’écoles d’art se trouve renforcé par les nouvelles exigences en termes de production écrite et de recherche. Les professionnels qui les animent s’y sont adaptés en développant un accompagnement plus personnalisé des étudiants, en se rapprochant de l’équipe pédagogique qui se trouve à la fois associée à l’activité de la bibliothèque et qui intègre les bibliothécaires comme source d’enseignement dans leur domaine de compétence : la recherche documentaire. Ils rendent également visible l’activité éditoriale des écoles et les mémoires d’étudiants, qui constituent un enjeu actuel dans le développement de la Base spécialisée art et design. Base qui est, par ailleurs, et depuis la création du Bulletin signalétique des arts plastiques, un outil important dans la recherche en art et en design.

Malgré ce rôle renforcé, les bibliothécaires, à l’instar de leurs confrères travaillant dans les bibliothèques municipales et universitaires, souffrent d’un manque de reconnaissance, de définition, voire de protection de leurs missions. On note fréquemment le déficit de textes venant définir les activités et l’importance dans l’espace démocratique des bibliothèques 16

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La mission des bibliothèques publiques n’est définie par aucune loi. Une charte, adoptée par le Conseil supérieur des bibliothèques, a été établie en 1991 (http://www.andea.fr/ [consulté le 1er février 2016]), et elles s’appuient fréquemment sur le manifeste de l’Unesco sur la bibliothèque publique (http://www.unesco.org/webworld/libraries/manifestos/libraman_fr.html [consulté le 1er février 2016]).

, qu’elles soient généralistes ou spécialisées. Aucun texte ne garantit le rôle et les missions des bibliothèques d’écoles d’art, et la nécessité de disposer d’un personnel suffisamment nombreux et formé pour les exercer.

En outre, au regard de l’élargissement considérable des missions du bibliothécaire d’école d’art, une restructuration du métier doit être engagée. Le bibliothécaire n’est plus, aujourd’hui, un simple « gestionnaire » des collections, et ses missions ne se limitent plus à la bibliothéconomie pure (catalogage, indexation, désherbage…). Il est aussi formateur, est mobilisé dans la recherche, la pédagogie, la programmation des écoles. Le savoir bibliothéconomique ne disparaît pas pour autant, il est mobilisé sur des fonds qui n’existaient pas auparavant, notamment les mémoires d’étudiants. La bibliothèque n’est plus seulement un « équipement » ou un « service », pour reprendre une terminologie usitée, mais une actrice force de proposition, pour son domaine de compétence, dans le microcosme des écoles d’art.