Engager une politique offensive de mise en accessibilité des portails de bibliothèque

Marc Maisonneuve

Franck Letrouvé

Article publié dans le BBF n° 4 de janvier 2015


Depuis deux à trois ans, chaque site public doit avoir été mis en conformité avec les exigences d’accessibilité numérique. Les constats effectués dans l’étude de 602 sites publics 1 conduite par l’association BrailleNet montrent qu’il y a fort à faire, seuls 22 d’entre eux ayant attesté la mise en accessibilité de leur site internet. Les bibliothèques sont bien entendu soumises à ces mêmes exigences réglementaires mais ne semblent pas encore s’être approprié la démarche de mise en accessibilité. Plusieurs éléments, notamment l’étude d’accessibilité des portails de 133 bibliothèques que nous évoquons ci-dessous, laissent penser que les bibliothèques ont beaucoup à faire en la matière. Aussi nous a-t-il semblé souhaitable de proposer une démarche de mise en accessibilité numérique adaptée aux spécificités des bibliothèques et d’identifier quelques pistes d’actions collectives pour contourner les principaux obstacles que chacun pourrait rencontrer dans son projet d’accessibilité numérique.

L’accessibilité numérique : un concept formalisé dès 1997,
dont la mise en œuvre est également garante
de la qualité des portails

De notre point de vue, l’accessibilité d’un portail de bibliothèque peut se définir comme la capacité de celui-ci à être utilisé, facilement et sans limite ni restriction, par tout individu quelles que soient ses aptitudes physiques ou mentales. Si le concept s’énonce rapidement, les exigences techniques associées sont plus étoffées. Elles réunissent des recommandations, des standards et des règles d’usage. Formulées par le W3C (World Wide Web Consortium, organisme de standardisation des usages de l’internet dans le monde), dans le cadre de sa Web Accessibility Initiative (WAI), ces exigences ont fait l’objet d’une première formalisation dès 1997  2 et d’une seconde en 2008  3.

L’État français et l’Union européenne ont adopté ces recommandations. Le décret n° 2009-546 du 14 mai 2009 crée un référentiel d’accessibilité des services de communication publique en ligne  4, le RGAA, qui reprend les exigences des WCAG en les complétant, d’une part, de la formalisation des tests à effectuer pour contrôler la bonne application de ces exigences et, d’autre part, d’un dispositif organisationnel, la publication de l’attestation de conformité, permettant d’informer précisément les utilisateurs du niveau d’accessibilité offert par un site web et de ses éventuelles lacunes.

Dans son enquête « vie quotidienne et santé  5 » de 2007, l’INSEE indique qu’en France, une personne sur dix déclare avoir un handicap et qu’une sur cinq est limitée dans ses activités quotidiennes. Le vieillissement est bien entendu l’une des causes importantes de ces limitations aux côtés des déficiences. Ainsi, l’accessibilité d’un site web concerne très directement entre 10 % et 20 % de la population. Étant un facteur de qualité de la navigation  6, elle concerne aussi l’ensemble de la population, à qui elle garantit un meilleur confort d’utilisation du site. Vis-à-vis des élu(e)s, qu’un(e) responsable de bibliothèque devra probablement solliciter pour engager une démarche de mise en accessibilité, ces chiffres issus de l’étude INSEE sont tout à fait précieux. Aucun(e) élu(e) ne peut rester insensible à une question qui touche de 10 à 20 % des administrés.

Dispositif essentiel du droit à la culture :
les bibliothèques doivent être en pointe sur l’accessibilité

Selon le manifeste de l’Unesco sur la bibliothèque publique  7, « la liberté, la prospérité et le développement de la société et des individus sont des valeurs humaines fondamentales. Elles ne peuvent s’acquérir que dans la mesure où les citoyens sont en possession des informations qui leur permettent d’exercer leurs droits démocratiques et de jouer un rôle actif dans la société. Une participation créatrice et le développement de la démocratie dépendent aussi bien d’une éducation satisfaisante que d’un accès libre et illimité à la connaissance, la pensée, la culture et l’information ». Le manifeste précise, dans une formulation antérieure à la logique d’inclusion qui guide les derniers textes législatifs : « Les services de bibliothèque publique sont accessibles à tous, sans distinction d’âge, de race, de sexe, de religion, de nationalité, de langue ou de statut social. Des services et des documents spécifiques doivent être mis à la disposition des utilisateurs qui ne peuvent pas, pour quelque raison que ce soit, faire appel aux services ou documents courants, par exemple, les minorités linguistiques, les personnes handicapées, hospitalisées ou emprisonnées. Toute personne, quel que soit son âge, doit avoir accès à une documentation adaptée à ses besoins. Les collections et les services doivent faire appel à tous les types de supports et à toutes les technologies modernes. » Dispositif essentiel dans le champ du droit à la culture, à l’information et désormais de plus en plus à la formation tout au long de la vie, les bibliothèques doivent donc prendre les mesures pour répondre aux besoins des personnes en situation de handicap, notamment en leur offrant des collections adaptées.

Intégrer la logique d’inclusion des personnes
en situation de handicap

L’accès à une vie sociale et citoyenne complète pour les personnes en situation de handicap guide la loi no 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées  8. Cette loi arrête un principe d’action : « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus de tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. » Dans l’esprit de ce texte, les bibliothèques doivent rendre accessible l’intégralité de leurs collections et ne plus se contenter de proposer des fonds spécifiques à destination des personnes en situation de handicap. La majeure partie des collections demeurant sur support physique et sous forme imprimée, les difficultés pratiques, techniques et financières sont réelles. Chacun ne pourra, dans l’immédiat, rendre effectivement accessible l’intégralité de ses collections aux personnes en situation de handicap. En tout cas, l’objectif à viser est tout à fait clair. D’autres exigences découlent de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, notamment en ce qui concerne l’accessibilité numérique des sites web publics. Sur ce point, les bibliothèques ne peuvent invoquer les difficultés techniques ou les problèmes de moyens. Rendre le portail de la bibliothèque accessible est davantage le fruit d’une démarche rigoureuse que d’un investissement significatif.

Investir pleinement le champ du numérique

La situation actuelle est tout à fait paradoxale. De nombreuses bibliothèques proposent en effet des collections destinées aux personnes en situation de handicap (livres lus, ouvrages en gros caractères…) sans mettre en ligne un portail web adapté aux handicaps. Ainsi, lorsque le catalogue n’est pas accessible au sens des WCAG, une personne hémiplégique ou déficiente visuelle se voit contrainte de venir à la bibliothèque pour rechercher dans les collections ou a minima de passer un coup fil à la bibliothèque et de se trouver ainsi en situation de dépendance ! Il aurait été si simple de permettre la consultation du catalogue à domicile, dans une version accessible. Les bibliothèques ont fait une partie du chemin : elles prennent bien en compte le handicap notamment dans la sphère de l’offre documentaire, et de plus en plus souvent dans celle de l’accessibilité des lieux, mais pas dans la sphère numérique. Cette situation laisse penser que les bibliothèques ont aujourd’hui encore des difficultés à s’approprier le monde du numérique en général et leur site web en particulier. Le portail de la bibliothèque demeure un objet numérique qui n’est pas complètement investi par l’équipe de direction. Sa mise en accessibilité n’est pas identifiée comme une obligation forte ; elle semble relever de tous (DSI, communication) et de personne en particulier.

Outre le caractère choquant d’imposer de fait des déplacements aux personnes handicapées, cette situation est également dangereuse politiquement car le report de la mise en accessibilité physique risque fort d’accentuer la pression des associations sur la mise en accessibilité numérique. Les responsables de bibliothèques doivent pour cette raison alerter leur élu(e) à la culture et essayer de trouver avec lui (ou elle) les solutions de mise en accessibilité du portail internet de la bibliothèque.

L’accessibilité, c’est simple
si l’on série bien les difficultés
et si on les traite au bon moment

Les bibliothèques n’ont donc guère le choix. Tous les arguments – réglementaires, sociaux, culturels, politiques… – convergent pour imposer une mise en accessibilité rapide du portail de la bibliothèque. Pour de nombreux responsables, cette mise aux normes demeure probablement une notion technique assez éloignée des compétences bibliothéconomiques. En pratique, la mise en accessibilité du portail de la bibliothèque repose sur cinq conditions.

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Schéma 1. Les 5 conditions de l’accessibilité numérique d’un portail de bibliothèque

Condition 1.
Une charte graphique accessible

Chacun d’entre vous a probablement déjà pesté contre un site web quasi illisible sur un smartphone un peu trop exposé au soleil ou bien contre l’impression en noir et blanc de la capture d’un écran où l’information était uniquement donnée par la couleur. Disposer d’une charte graphique accessible, c’est faire en sorte que dans toutes situations les contenus demeurent lisibles, en veillant par exemple à respecter des exigences aisément mesurables comme le contraste entre un texte et le fond sur lequel il apparaît (mieux vaut éviter du jaune sur fond blanc pour tout un chacun ou du rouge sur fond vert pour les daltoniens). Ces recommandations concernent tous les utilisateurs d’un site web, qu’ils soient ou non en situation de handicap, même si elles concernent plus spécifiquement les daltoniens, les achromates, les malvoyants ou les publics vieillissants. Les règles d’accessibilité d’une charte graphique sont définies de manière très précise et peuvent en grande partie faire l’objet d’une évaluation automatisée.

Condition 2.
Des contributeurs respectant les règles d’usage garantissant l’accessibilité des sites

Les WCAG stipulent qu’il est indispensable de « proposer des équivalents textuels à tout contenu non textuel qui pourra alors être présenté sous d’autres formes selon les besoins de l’utilisateur : grands caractères, braille, synthèse vocale, symboles ou langage simplifié. » Le respect de cette exigence est l’affaire principalement des contributeurs qui rédigent les contenus proposés sur le site de la bibliothèque ; ils doivent ainsi s’astreindre à produire les équivalents textuels d’une image (par exemple) en veillant tant à leur précision qu’à leur pertinence. La formation des équipes est de ce point de vue essentielle, chacun devant connaître parfaitement les quelques règles d’usage garantissant l’accessibilité des sites  9.

Condition 3.
Des logiciels générant des pages web conformes aux exigences des WCAG

Les bibliothèques utilisent généralement plusieurs outils pour réaliser leur site web : un CMS pour la publication des pages de contenu (horaires, actualités, agenda…), un opac pour la consultation du catalogue, un système de gestion de bibliothèque pour l’offre de services en ligne (prolongation de prêt, réservation, consultation du compte de l’usager…). Chacun de ces outils doit respecter les exigences d’accessibilité numérique. Ce point est particulièrement important car, avec un mauvais logiciel, quels que soient les efforts consentis, il ne sera pas possible d’obtenir un site offrant un niveau d’accessibilité satisfaisant. Les cahiers des charges doivent à cette fin mentionner clairement le niveau d’accessibilité que le logiciel doit permettre d’offrir aux usagers. L’expérience montre toutefois que les commerciaux s’engagent allègrement sur le respect de ces exigences que les produits livrés et installés ne sont finalement pas aptes à satisfaire. Chaque logiciel doit donc faire l’objet d’un contrôle précis avant sa mise en service. En pratique, ce contrôle doit être effectué au plus tard dans le cadre des procédures d’admission provisoire, plus particulièrement lors des pointages de la vérification d’aptitude. Chaque version majeure du logiciel devra également faire l’objet d’un contrôle. Si la DSI ne dispose pas des compétences nécessaires à ces contrôles, il faut en sous-traiter l’exécution en la confiant à un tiers dont les compétences sont reconnues (en vérifiant par exemple qu’il a bien reçu la formation nécessaire à ce type de contrôle) 10. Admettre un logiciel non accessible, c’est renoncer à déployer un site web accessible, et cela probablement de manière définitive tant que le logiciel n’aura pas été remplacé. Nul besoin d’insister sur l’inconfort d’une telle situation.

Condition 4.
Des ressources numériques accessibles car s’appuyant sur des logiciels générant des pages web conformes aux exigences des WCAG

En complément de l’offre de contenus supportée par le CMS, de la consultation du catalogue supportée par l’opac et de l’offre de services en ligne supportée le système de gestion de bibliothèque, la bibliothèque peut proposer des ressources numériques sur abonnement : site d’autoformation, presse en ligne, livres numériques, documents sonores, vidéos… Le niveau d’intégration de ces ressources numériques dans le site de la bibliothèque est très variable. Parfois, l’usager aura le sentiment de consulter ces ressources numériques sur le site même de la bibliothèque, et parfois il sera renvoyé vers le site de l’éditeur de la ressource numérique. Dans un cas comme dans l’autre, c’est à la bibliothèque proposant ces ressources numériques de vérifier leur accessibilité. La nature des contrôles – charte graphique accessible, respect des règles d’usage, logiciel conforme aux exigences d’accessibilité – est en tout point identique à ce qui a été présenté ci-dessus pour les autres parties du site web de la bibliothèque. Généralement structure de droit privé, l’éditeur n’a pas d’obligation réglementaire de déployer un site accessible ou de proposer des ressources numériques accessibles, il est donc indispensable d’inclure une clause précise dans le marché d’acquisition de ces ressources numériques engageant l’éditeur à respecter au moins le niveau d’accessibilité prévu par le RGAA. Là encore, il ne faut pas se contenter de l’engagement contractuel, il faut impérativement vérifier qu’il est bien satisfait. Les consortiums d’acquisition ou de négociation des ressources numériques, type Couperin et réseau Carel, sont tout à fait bien placés pour engager de tels contrôles et en publier les résultats, cela tant pour faire pression sur les éditeurs de ces ressources numériques que pour alléger les contrôles d’accessibilité que doivent prendre en charge les bibliothèques s’abonnant à ces ressources.

Condition 5.
Un dispositif de contrôle transparent, permettant d’informer l’utilisateur des limites du site en matière d’accessibilité

La satisfaction des quatre conditions précédentes permet d’obtenir un site conforme aux exigences d’accessibilité numérique. Le RGAA fait de plus l’obligation à la personne publique d’indiquer sur le site web de la bibliothèque qu’un contrôle de l’accessibilité a été effectué et d’en communiquer le résultat. En pratique, il s’agit de délivrer une attestation d’accessibilité  11, consultable par l’internaute, en lui indiquant le cas échéant les parties du site non accessibles. Simple engagement sur l’honneur du responsable du site, l’attestation de conformité doit être publiée dès la mise en ligne du site.

Aucune des cinq conditions d’accessibilité d’un portail de bibliothèque n’est très compliquée à satisfaire si l’on s’en préoccupe au bon moment et de la bonne manière. En pratique, trois moyens d’actions doivent être mis en œuvre :

  • former les équipes ;
  • inscrire les obligations de conformité aux exigences d’accessibilité dans les marchés d’acquisition de logiciel ou de ressources numériques ;
  • contrôler le respect de ces exigences lors de la mise en œuvre du logiciel ou des ressources numériques.

Pour simplifier la réalisation des contrôles et faire pression sur les éditeurs en les incitant très fortement à intégrer les exigences d’accessibilité, il semble souhaitable d’engager quelques démarches collectives que nous exposons ci-dessous.

Agir collectivement pour avancer plus vite
car tout reste à faire

Dans le courant de l’été 2014, le ministère de la Culture et de la Communication a participé à une étude de l’accessibilité des portails de 133 bibliothèques  12. Conçue comme une première édition d’un baromètre de l’accessibilité des portails de bibliothèque, cette étude montre l’étendue du chemin à parcourir : aucune bibliothèque de l’échantillon n’a engagé l’application du RGAA ! Si un plan d’action ambitieux n’est pas arrêté, nous ferons le même constat l’an prochain… L’analyse des cinq conditions d’accessibilité d’un portail de bibliothèque aboutit à identifier des cibles d’action plus urgentes car échappant tout de même à l’initiative individuelle des bibliothèques. Ainsi, s’il incombe à la bibliothèque de bâtir une charte graphique accessible et de former les contributeurs (conditions 1 et 2) et si le dispositif RGAA est bien apte à garantir la transparence des contrôles (condition 5), les deux autres conditions relèvent davantage d’une démarche collective impulsée par les tutelles et relayée par les organisations professionnelles. Il paraît en effet tout à fait illusoire de penser qu’un établissement isolé arrivera à faire plier l’éditeur récalcitrant qui refuse d’engager l’adaptation de son logiciel ou des ressources numériques qu’il propose.

Outre l’action engagée en 2014 – publication d’une première édition d’un baromètre de l’accessibilité des portails de bibliothèque –, nous identifions trois autres pistes d’action à engager dès 2015 :

  • évaluer et parfaire le dispositif de formation ;
  • publier un baromètre de l’accessibilité des opacs ;
  • publier un baromètre de l’accessibilité des ressources numériques proposées en bibliothèque.

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Schéma 2. Un plan d’action pour accélérer et simplifier la mise en accessibilité numérique

Action 1.
Évaluer et parfaire le dispositif de formation

Après un rapide recensement des actions de formation conduites en 2014 dans le domaine de l’accessibilité numérique, de notre point de vue, les tutelles des bibliothèques devraient faire inscrire les mesures de sensibilisation et de formation aux catalogues de l’Enssib, du CNFPT et des autres organismes intervenant auprès des bibliothèques (centres régionaux de formation au métier du livre et aux carrières de bibliothèque, Urfist). Dans cette démarche, une attention particulière doit être portée à la formation des cadres en la centrant, d’une part, sur la sensibilisation au handicap et aux enjeux sociaux, culturels et techniques de l’accessibilité numérique et, d’autre part, sur les démarches à engager en ce sens. Les contributeurs doivent quant à eux être formés aux bonnes pratiques de l’accessibilité dans un langage clair et adapté au métier, sans les encombrer des multiples exigences techniques des WCAG reprises par le RGAA qui ne sont adaptées qu’aux spécialistes du web (développeurs notamment…). Très importante, cette première action est à lancer rapidement car elle ne porte ses fruits qu’à moyen terme, les cycles de décision et de programmation étant relativement longs.

D’autres actions, conçues dans un esprit d’activisme, visent à faire pression tant sur les éditeurs de logiciels que sur les éditeurs de ressources numériques. Elles doivent permettre non seulement de faire bouger les choses (des logiciels et des ressources numériques de meilleure qualité) mais également de réduire la charge des contrôles incombant à chaque bibliothèque mettant en œuvre ces logiciels ou ces ressources. Ces actions doivent aboutir à une réelle mutualisation des contrôles en amont des projets afin d’en répartir la charge. D’une certaine manière, l’absence d’obligation réglementaire pesant sur les éditeurs conduit à engager des actions vigoureuses pour les contraindre à prendre en compte les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap.

Action 2.
Mettre en place un baromètre de l’accessibilité des opacs

Tous les contrôles que nous avons pu effectuer aboutissent aux mêmes constats déprimants. Les logiciels métier ne génèrent pas aujourd’hui de pages web accessibles. Les éditeurs de ces logiciels n’ont qu’une connaissance partielle des exigences des WCAG et n’ont pas engagé la conduite du changement en ce sens. Pour l’instant, l’accessibilité n’est pas perçue par ces éditeurs comme un enjeu commercial réel. Pour sortir de cette situation peu satisfaisante, il faut frapper fort et créer une rapide dynamique d’émulation parmi les éditeurs, en mettant à profit la situation de concurrence. Aussi proposons-nous aux tutelles des bibliothèques de mettre en place un baromètre de l’accessibilité des opacs. En pratique, il s’agira d’évaluer le respect des règles d’accessibilité essentielles de chaque opac étudié et de publier le résultat de ce contrôle avec les rapports d’évaluation garantissant la transparence et la réfutabilité des travaux. La publication prendra la forme d’un classement, en fonction de la note attribuée, sur un site dédié à ce baromètre. La reprise des résultats par la presse professionnelle et par la presse destinée aux cadres des collectivités est un facteur majeur de réussite de cette action qui vise à mobiliser les investissements privés nécessaires à l’adaptation des outils.

Action 3.
Mettre en place un baromètre de l’accessibilité des ressources numériques
en appui sur le réseau Carel et sur Couperin

Établi sur une logique tout à fait comparable à celle du baromètre d’accessibilité des opacs, le baromètre de l’accessibilité des ressources numériques doit permettre de faire évoluer les sites des éditeurs de ressources numériques, du point de vue de l’accessibilité tant des logiciels que des contenus proposés. Pour des raisons pratiques, l’accès à chaque site étudié nécessitant un abonnement, il est indispensable que ces travaux s’inscrivent dans le cadre des consortiums de négociation ou d’acquisition des ressources numériques, le réseau Carel et Couperin. Cette collaboration permettra également de faciliter la prise en compte des exigences d’accessibilité par les équipes de ces deux structures qui portent habituellement les négociations avec les éditeurs. Comme dans le cas du baromètre précédent, chaque ressource numérique ferait l’objet d’une évaluation de son niveau d’accessibilité avec publication des rapports d’évaluation et d’un classement par ordre décroissant du niveau d’accessibilité. Les enjeux commerciaux sont tels qu’il semble tout à fait indispensable de sécuriser un tel dispositif en l’installant clairement dans la sphère publique avec une implication forte des tutelles.

Mobiliser un comité stratégique

Tout laisse penser que les tutelles, pleinement conscientes des enjeux de l’accessibilité numérique, sont aujourd’hui pleinement convaincues de l’intérêt de lancer un plan d’actions vigoureux. S’il ne faut pas douter que les résultats suivront rapidement la publication des premières éditions des baromètres, il faut tout de même bien identifier que ce plan d’action s’inscrit dans une démarche continue, dont le succès repose, d’une part, sur un portage politique et, d’autre part, sur la régularité de la publication des résultats des trois baromètres (accessibilité des portails de bibliothèque pour mesurer et sensibiliser ; accessibilité des opacs et accessibilité des ressources numériques pour faire pression sur les éditeurs). Ainsi la mise en œuvre d’une structure de pilotage – type comité stratégique de l’accessibilité numérique des bibliothèques – présenterait de notre point de vue de multiples intérêts, ne serait-ce que la pression accrue sur les éditeurs. Réunissant les principaux acteurs (ministère de la Culture et de la Communication, ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, réseau Carel, Couperin, Enssib, ABF, CNFPT, Fulbi…), ce comité stratégique devrait prendre en charge le suivi du dispositif, la validation scientifique et la valorisation des baromètres, l’évaluation périodique du chemin parcouru et la publication annuelle d’un plan d’action défini au vu du chemin restant à parcourir.