À Clamart, la grande bibliothèque est encore ronde
Et si toutes les pièces de la maison de la lecture étaient rondes ?
Nous connaissons tous la grande bibliothèque François-Mitterrand, le site principal de la Bibliothèque nationale de France qui règne sur le bord de Seine à l’est de Paris. Elle est carrée, à angles droits de ses tours qui montent au ciel comme des livres géants qu’une petite créature observerait ouverts debout. Célébration du livre. Il y a aussi, loin de là, dans une cité HLM de la ville de Clamart, dans la banlieue sud de la capitale, une autre grande bibliothèque qu’on dit « petite ». Sans angles droits, ni aigus, elle est ronde et tourne merveilleusement bien depuis un demi-siècle.
La nuit du 14 puis du 15 mars 2014, la Petite Bibliothèque Ronde de Clamart est « vandalisée ». Un groupe de jeunes saute l’enceinte, entre dans le jardin puis dans la bibliothèque après avoir brisé ses vitres. Ils reviennent le lendemain, cassent d’autres portes, vident les extincteurs à incendie dans la salle principale, saccagent la banque de prêt, cassent les écrans d’ordinateurs qu’ils mettent par terre. Ils partent ensuite sans rien voler : l’action est symbolique. Une bonne partie des collections est rendue inutilisable par la poudre anti-incendie. Le choc est fort pour l’équipe et surtout pour les lecteurs et les habitants du quartier.
La jeune équipe de la Petite Bibliothèque Ronde arrive dès le lendemain matin. L’équipe est jeune parce que ses membres sont jeunes (presque tout le monde a entre 20 et 40 ans), et parce qu’une bonne partie d’entre eux a rejoint l’expérience de l’association il y a quelques mois à peine. La perplexité est à son comble, mais on ne tardera pas à disposer d’éléments d’interprétation. L’attaque de la bibliothèque est associée aux élections municipales du 23 mars 2014. Remise en cause avec un projet local qui ne parvient plus à convaincre, l’équipe socialiste qui gouverne alors la ville est débarquée. Jean-Didier Berger (UMP puis LR) l’emporte au premier tour avec 53 % des suffrages exprimés (et un taux d’abstention de 36 %). Les violences faites aux bibliothèques de quartier en lien avec des élections locales ou nationales, le plus souvent le soir des scrutins, sont plus fréquentes qu’on ne l’imagine. Lecteurs, électeurs et abstentionnistes se mêlent dans les espaces politiques de la bibliothèque et de la citoyenneté.
Nous avons enquêté et discuté avec les habitants de la cité. Pendant la campagne électorale, les quelques semaines qui ont précédé les faits, le bruit courait selon lequel si la droite gagnait les élections, la Petite Bibliothèque Ronde serait fermée. La rumeur a éveillé alors le souvenir de 2006 quand la municipalité a tenté de fermer la bibliothèque et que les habitants du quartier et le collectif « Pour que vivent nos cités ! » l’ont occupée pendant deux semaines jusqu’à obtenir sa réouverture et s’assurer qu’elle resterait une bibliothèque associative, de quartier, telle qu’elle fonctionne depuis octobre 1965 quand une équipe dirigée par Geneviève Patte initiait là une expérience unique, internationalement reconnue.
Dès sa prise de fonction, la nouvelle municipalité a confirmé les bruits qui couraient dans le quartier de la Plaine. Des problèmes de sécurité et de « vandalisme », la présence d’amiante, l’existence d’une bibliothèque municipale ouverte en 2007 à quelques centaines de mètres du quartier (nommée François-Mitterrand et bâtie à angles droits, elle aussi), tous les prétextes sont argués comme autant de motifs pour fermer la Petite Bibliothèque Ronde qui n’aurait ainsi plus de raison d’être. Cinquante ans après sa création, elle est menacée par le pouvoir politique. Le maire adjoint à la culture et la direction de la lecture publique locale ont manifesté leur volonté de fermer l’historique bibliothèque dès cet été, et à peine voilé leur intention de conquérir l’édifice. Pensent-ils confisquer le prestige de cette expérience en s'appropriant le bâtiment que la municipalité a reçu en donation en 1971 ? Récupérer un immeuble classé monument historique, internationalement admiré – c’est un joyau de l’architecture contemporaine – et le vider du projet et de l’association qui l’ont créé, qui lui ont donné vie, qui l’ont intégré à la vie de ce quartier populaire…
Qui viendra défendre ce projet toujours reconnu dans la recherche de pratiques innovantes de la lecture, comme le montre le fait qu’il soit cette année parmi les lauréats de Partir en livre, la fête nationale du livre jeunesse organisée par le Centre national du livre ? Le ministère de la Culture viendra-t-il à son aide ? La haute Bibliothèque nationale peut-elle tendre la main à sa petite consœur ronde ? La profession peut-elle protéger le travail des douze personnes qui composent son équipe ? Que feront les habitants du quartier de la Plaine ? Les bibliothèques associatives ont-elles encore une place sous le soleil ? Au moment où la lecture publique de proximité cherche à promouvoir la participation des habitants ou des usagers, on ne peut que s’étonner de voir ainsi menacée une expérience unanimement saluée.