Un siècle de littératures et de lectures populaires
Un siècle de littératures et de lectures populaires, 1830-1930, à travers les collections de la bibliothèque municipale de Chambéry
Préface de Sylvain Milbach
Milan, Silvana editoriale, 2021
ISBN 978-88-366-4916-7
Cet ouvrage a paru à l’occasion de l’exposition Pop’ : un siècle de littératures & lectures populaires (1830-1930) qui s’est tenue à la médiathèque Jean-Jacques Rousseau de Chambéry entre septembre 2021 et janvier 2022. Le service patrimoine de la médiathèque, qui se compose d’Émilie Dreyfus et de Sophie Manavella, à la fois commissaires de l’exposition et auteures principales de la publication, a fait le choix de reproduire le fil conducteur de l’exposition tout en y développant certains points à partir des collections patrimoniales de la médiathèque. Il ne s’agit donc pas à proprement parler du catalogue d’exposition – d’où la légère différence de titre entre le livre et l’exposition – mais d’un ouvrage de vulgarisation historique autour de l’essor des littératures dites « populaires » et des pratiques de lecture qui en découlent.
Les premières pages sont décevantes. La courte introduction (p. 19-21), centrée uniquement sur le XIXe siècle, est assez pauvre. Pourquoi la trame chronologique annoncée s’étend-elle jusqu’en 1930 ? Ce choix est d’autant plus étonnant que le propos du livre s’aventure jusque dans les années 1960, voire, par bribes, au-delà. Si l’on comprend que les auteures se sont heurtées au difficile bornage chronologique – nécessairement arbitraire et répondant sans doute à une volonté de ne pas allonger un propos déjà bien fourni –, on aurait aimé que la question soit abordée frontalement. Les contextes historiques nationaux et locaux y sont également mal articulés, ce qu’illustre aussi la frise chronologique (p. 22-23). Cette maladresse donne l’impression d’une tension non résolue entre les deux échelles, heureusement vite dissipée dans les chapitres suivants. La véritable introduction de ce livre est tenue par la préface de Sylvain Milbach, maître de conférences HDR en histoire contemporaine à l’université Savoie Mont Blanc (p. 11-16). Après avoir dépeint les facteurs de l’essor de l’imprimé au XIXe siècle, il interroge les limites du concept « populaire », du phénomène de la littérature à succès et de ses procédés narratifs avant d’aborder le rôle des élites et le développement des bibliothèques populaires. Enfin, le chapitre « Les collections populaires à la bibliothèque municipale de Chambéry : patrimonialisation d’un objet littéraire » (p. 25-29) nous a paru inabouti. Ces dernières années, la médiathèque a accueilli au sein de ses collections patrimoniales l’ancienne bibliothèque populaire de la ville ainsi que des fonds de livres populaires constitués par des particuliers (les fonds Jacqueline Brisgand et Reynaud-Forray). Ces nouvelles acquisitions patrimoniales indiquent que les collections « populaires », autrefois décriées, ont changé de statut et qu’elles méritent d’être conservées de façon pérenne au même titre que des documents plus anciens ou manuscrits. Il aurait été intéressant d’approfondir ce point en adoptant une approche à la fois comparative et réflexive, de façon à souligner l’originalité du cas chambérien. Ainsi, les livres « populaires » forment-ils encore des ensembles « semi-patrimoniaux » au sein de nombreuses bibliothèques territoriales, ce qui n’est plus le cas à Chambéry où une double démarche de conservation et de valorisation a été adoptée. En outre, l’exposition et sa publication participent elles-mêmes du processus de patrimonialisation des littératures populaires.
Les pages suivantes sont pertinentes et plaisantes à lire. La première qualité réside dans les quatre chapitres thématiques qui structurent efficacement le propos : l’éditeur (p. 31-57), les auteurs populaires (p. 49-71), l’offre de lecture (p. 72-89) et les lecteurs (p. 90-117). Tour à tour, y sont rappelés l’évolution du métier de libraire-imprimeur vers celui d’éditeur, la disparition du colportage et l’essor des librairies, la volonté des élites à encadrer les pratiques de lecture du peuple en décriant aussi bien le roman populaire que les ouvrages de vulgarisation scientifique, ou encore la manière dont l’Église et les institutions laïques utilisèrent la littérature comme terrain d’affrontement. Les trois premiers chapitres disposent d’un focus sur l’histoire locale (le feuilleton Cyclamen, le roman populaire savoyard, l’histoire de la bibliothèque populaire de Chambéry). Le quatrième chapitre contient deux approfondissements sur la bibliothèque populaire de Chambéry : une étude du lectorat qui la fréquentait entre 1950 et 1986, ce qui amène à démontrer en quoi la populaire fut complémentaire de la municipale, et une belle description de l’offre de lecture proposée par cette bibliothèque (p. 115-116). Ces passages permettent d’observer de plus près le fonctionnement et la vie de l’établissement. Il faut enfin souligner l’appel des auteures aux chercheurs qu’elles invitent à poursuivre des études en histoire locale (p. 70).
La seconde qualité tient au choix des illustrations. Les documents sélectionnés apportent réellement « des éclairages spécifiques » (p. 21) à la fois sur les littératures populaires et les fonds de la médiathèque. Ils offrent des développements intéressants notamment sur la thématique de l’éditeur – la maison Mame (fig. 8 et 9) et Édouard Charton, directeur de publication du Magasin pittoresque (fig. 37) –, sur les auteurs à succès – Eugène Sue (fig. 28) et Georges Ohnet (fig. 64) –, sur l’imagerie populaire locale – la représentation du « Petit Savoyard » (fig. 40) –, ou encore sur les sujets subversifs – parfois identifiés par l’estampille « réservé » sur des livres de la bibliothèque populaire de Chambéry (fig. 47). Les commentaires qui accompagnent les illustrations démontrent un vrai effort de documentation et de mise en contexte de chaque document.
Finalement, ce livre répond à l’objectif qui lui a été assigné par ses auteures : faire (re)découvrir une histoire des littératures et des lectures populaires, dont l’héritage se perçoit nettement dans la culture populaire actuelle et les pratiques de lecture publique d’aujourd’hui. Il peut servir de première approche aux jeunes chercheurs ou aux professionnels du patrimoine écrit qui souhaiteraient mener une entreprise de valorisation autour de ces thématiques.