Topographie d’une bibliothèque. Le portrait par ses livres d’un juriste dans la société parisienne du XVIIe siècle
Topographie d’une bibliothèque. Le portrait par ses livres d’un juriste dans la société parisienne du XVIIe siècle
Préface de Robert Descimon
Droz, 2020
Collection « École Pratique des Hautes Études-VI. Histoire et civilisation du livre ; 39 »
ISBN 978-2-600-05739-4
Ce livre, tiré d’une thèse, est un monument, non seulement par son épaisseur (1144 pages), mais surtout par la méthodologie mise en œuvre pour exploiter une source d’une richesse exceptionnelle, le catalogue établi en 1658, étagère par étagère dans le cabinet de travail, par deux juristes parisiens, le fils et le gendre, de la bibliothèque d’un avocat au Parlement de Paris, Julien Brodeau (1583-1653). La qualité de ce document rédigé après la mort de Brodeau est sans commune mesure avec les inventaires après-décès traditionnels et lacunaires dont l’historien doit d’habitude se contenter. On est loin de ce qu’on peut savoir, par exemple, des bibliothèques des Gens de justice à Besançon, jadis étudiés par Maurice Gresset pour les années 1674-1789.
Yves Le Guillou nous offre, de cette collection, une étude divisée en quatre parties. Après avoir évoqué les conditions économiques et sociales de la formation de la bibliothèque, entre évocation d’une dynastie de juristes et portrait d’un commentateur d’arrêts, fervent catholique et protégé des Séguier, cette famille de parlementaires dont le plus illustre fut Pierre II (1588-1672), chancelier de France de 1635 à sa mort et grand bibliophile. Il étudie ensuite les conditions de la réalisation de l’inventaire de la collection. Puis il explore méticuleusement son contenu avant d’envisager les conditions de sa dispersion. Cette synthèse est prolongée de nombreuses annexes, généalogies de familles apparentées, et pièces justificatives. L’un des intérêts majeurs de cette étude est d’être prolongée par l’édition de l’inventaire de la bibliothèque, qui couvre les pages 453 à 1133. La collection ne comptait pas moins de 5 409 numéros, 5 643 titres y compris les manuscrits, soit 6 063 volumes, tous identifiés.
L’inventaire est complété par plusieurs instruments de travail précieux pour l’historien : un index des auteurs, un index des imprimeurs-libraires classés par villes, un index des dates d’édition qui s’échelonnent de 1481 à 1657, un index thématique des ouvrages, une liste des provenances, et une liste des livres portant des marginalia. Cette étude toute en finesse nous permet de surprendre celui qu’Yves Le Guillou qualifie « d’humaniste praticien » dans son travail quotidien dans le secret de son cabinet. Les citations dont Brodeau truffe ses écrits, de même que ses annotations marginales, témoignent d’un usage quotidien et professionnel de la bibliothèque. Car c’est bien d’une bibliothèque de travail qu’il s’agit. Pas d’ostentation, pas de recherche bibliophilique, de simples reliures de parchemin sur lesquelles les titres sont portés à l’encre. Rien à voir avec les bibliothèques des grands robins bien en vue. Bien que connu, Julien Brodeau, issu d’une famille de juristes d’origine tourangelle, demeura toute sa vie un avocat en parlement plutôt modeste. Estimée à 13 400 livres de tournois en 1658 lors de la réalisation de l’inventaire, la bibliothèque fut dispersée pour 30 000 livres en 1698, au moment de la banqueroute du fils, lui aussi prénommé Julien.
Au-delà de ce qu’Yves Le Guillou nous apprend d’un avocat au Parlement de Paris du XVIIe siècle et de ses rapports à ses livres, son ouvrage est d’ores et déjà un instrument de référence incontournable pour l’étude des bibliothèques privées, et un modèle méthodologique à méditer et à suivre… pour peu que les matériaux archivistiques le permettent.