The Card Catalog : Books, Cards, and Literary Treasures
The Card Catalog : Books, Cards, and Literary Treasures
San Francisco, Chronicle Books, 2017, 224 p.
ISBN 978-1452145402
Contrairement à une idée répandue aux États-Unis, la Bibliothèque du Congrès, installée à Washington, n’inventa pas le catalogue sous forme de fichier papier. Elle adopta cet instrument bibliographique bien tardivement par rapport à certains établissements européens. En revanche, tout au long du XXe siècle, en tant que bibliothèque nationale, elle distribua auprès des bibliothèques publiques américaines les notices catalographiques qu’elle éditait, ce qui favorisa la diffusion de cette forme de catalogue et la standardisation de ses normes de catalogage. C’est l’histoire de « la mère de tous les catalogues [américains] » (p. 157) que Peter Devereaux, writer-editor à la Bibliothèque du Congrès et auteur de ce livre de 224 pages richement illustré, se propose de raconter.
L’ouvrage est composé de cinq courts chapitres, rédigés dans un style limpide, facilement accessibles au lecteur français. L’auteur y alterne des passages généraux et des parties centrées sur la Bibliothèque du Congrès et son Card Catalog. Le premier chapitre (p. 12-23) retrace l’histoire des catalogues des bibliothèques, depuis une tablette mésopotamienne retrouvée à Nippur et datée de 2000 av. J.-C. jusqu’aux cartes à jouer remployées comme fiches catalographiques par les bibliographes de la Révolution française, tout en faisant un détour bienvenu par le Moyen-Orient et l’Extrême-Orient.
Le deuxième chapitre (p. 46-51) est consacré à la fondation de la Bibliothèque du Congrès, en 1800, et à ses premières années de fonctionnement jusqu’au milieu du XIXe siècle. En 1815, l’établissement fit l’acquisition de la bibliothèque personnelle de Thomas Jefferson et en adopta le système de classement. Le catalogue de la bibliothèque, qui revêtait la forme d’un registre papier, était alors actualisé et réédité tous les dixh ans.
Le troisième chapitre (p. 82-87) rappelle les innovations bibliothéconomiques de la seconde moitié du XIXe siècle, qui ont influencé le destin de la Bibliothèque du Congrès. À cette époque, Ezra Abbot développa le fichier papier destiné aux lecteurs, Charles Armi Cutter créa l’Expansive classification, dont s’inspira plus tard la bibliothèque du Congrès, et Melvil Dewey inventa sa fameuse classification décimale. À cela s’ajoute la fondation de l’American Library Association, en 1876, qui fit émerger l’idée d’un établissement national qui diffuserait des normes de catalogage standardisées à travers le pays.
Le quatrième chapitre (p. 102-113) débute avec l’incendie de la Bibliothèque du Congrès, en 1851. L’auteur interprète cet événement comme un nouveau point de départ pour l’établissement… mais il fallut attendre plusieurs années et la nomination d’un nouveau conservateur, Ainsworth Rand Spofford, en 1864, pour que la bibliothèque retrouve son éclat. Les réflexions sur le catalogue débutèrent à la fin du XIXe siècle, après l’installation de la Bibliothèque du Congrès dans des bâtiments modernes en 1897. Deux points de vue s’affrontèrent : Spofford souhaitait maintenir le catalogue et le système de classement en vigueur tandis que Dewey plaida en faveur d’une modernisation des pratiques catalographiques, imaginant « une institution nationale [assurant] la gestion de la diffusion de fiches catalographiques standardisées ». Avec la nomination d’un nouveau conservateur, Herbert Putnam, en 1899, le rêve de Dewey fut exaucé. Le vieux système de classement fut repensé et le nouveau catalogue, composé de fiches mesurant 7 sur 12 cm, fut créé. En raison de l’essor des bibliothèques publiques et face au risque de voir émerger des pratiques de catalogage hétérogènes pour décrire un même document, Putnam réussit à faire de la Bibliothèque du Congrès l’établissement national qui éditerait les notices bibliographiques et les distribuerait auprès des bibliothèques américaines. Ce système atteignit son apogée en 1969 avec l’édition et la distribution d’environ 79 millions de fiches.
Le cinquième et dernier chapitre (p. 146-159) expose le déclin rapide du Card Catalog, concurrencé par le langage MARC et l’informatique, beaucoup moins gourmands en espaces de stockage que le fichier papier. La dernière fiche papier fut éditée le 31 décembre 1980 tandis que le système de distribution prit fin en 1997. Les années 1980 furent marquées par un long chantier de conversion rétrospective, dont les résultats s’avérèrent mitigés : les notices rétroconverties étaient parfois lacunaires ou erronées. Une partie du vieux catalogue a été préservée pour des raisons patrimoniales évidentes mais aussi afin de sauver des informations qui n’apparaissaient pas dans les nouvelles notices informatiques.
Ce beau livre est abondamment illustré. Des photos d’époque témoignent de l’activité des catalogueurs de la Bibliothèque du Congrès. Un grand nombre de fiches catalographiques y sont également reproduites. Elles sont placées en vis-à-vis des documents auxquels elles se rapportent. Cette disposition intelligente invite à comparer les ouvrages et leurs transpositions bibliographiques. On observera avec un certain plaisir les mains des différents bibliothécaires qui ont amendé ces notices au fil des années et des nouvelles normes de catalogage. On regrettera que celles-ci ne soient pas toujours expliquées, figées en un langage technique et sibyllin. Ces illustrations sont aussi un point d’entrée pour creuser certains thèmes comme la collection Dime Novels (p. 98-99), la bibliothèque personnelle de Houdini (p. 134-135), l’influence des pratiques catalographiques sur les méthodes de travail de J. Edgar Hoover (p. 150) ou encore les travaux de Paul Otlet (p. 160-161).
Cet ouvrage est une vraie réussite. Il fait connaître un pan de l’histoire des bibliothèques américaines au lecteur français tout en lui offrant le plaisir d’accéder aux notices du Card Catalog et d’apprécier le travail des bibliothécaires du XXe siècle.