Temporalités numériques, tome 1, La dynamique des technologies de l’information et de la communication (XIXe-XXe s.)

Jérôme Demolin

Temporalités numériques, tome 1, La dynamique des technologies de l’information et de la communication (XIXe-XXe s.)
Paris, Éditions des archives contemporaines, 2021
Collection « Études des sciences et Histoire des techniques »
ISBN 9-78281-3004246

« Car ce livre succède à ma thèse. » (p. v)

En 1994, Pascal Robert soutient sa thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, intitulée L’impensé informatique (miroir du quotidien « Le Monde », 1972-1980) : archéologie critique des représentations de l’informatisation à l’épreuve de ses impensés sociétaux et des stratégies discursives d’imposition d’un silence techno-logique 1

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Dans ce travail, il montre notamment « 1, que l’informatique n’est pas appréhendée comme un construit sociétal, mais sur le mode moral et ou d’une légitimation purement technicienne ; 2, que l’informatisation est massivement décrite, de fait, comme instrument de rationalisation, alors que la conscience de « l’envers du décor » ou du mouvement de fond qui la porte reste globalement très faible, 3, que l’informatique n’est pas pensée comme un outil politique parce que le droit, la sécurité technique et l’idéologie de la communication prétendent pouvoir corriger compenser les problèmes de type politique qu’elle soulève » 2

X

Idem.

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Après un tel constat, l’identification d’un large périmètre laissé à l’écart de tout appareil critique, il semblait naturel que l’auteur se confronte pleinement, « librement » et positivement, à la tension issue de l’aporie entourant les technologies de l’information et de la communication (TIC) qu’il avait soulevée.

« Dénoncer un impensé discursif et pratique ne suffit pas. Il convient également d’ouvrir et de dessiner des pistes pour essayer de penser les TIC et le numérique » (p. i).

En 1996, Pascal Robert propose donc à la publication Temporalités numériques, tome 1. Se voulant à propos, fondateur et fécond, ce volume aurait certainement dû être reçu avec un enthousiasme à la hauteur de son ambition. Mais il n’en fut rien. Il va se heurter à un mur d’indifférence (ou d’incompréhension ?). L’auteur dira qu’il (l’ouvrage) « n’était (probablement) que le signe de l’impensé pratique et théorique dans lequel on baignait à l’époque » (idem).

Manuscrit refusé par une dizaine d’éditeurs en 1996 donc, « ghosté », Temporalités numériques a finalement été publié quasiment « tel quel » début 2022. « Je n’ai rien changé au texte sur le fond, je ne suis intervenu que pour faire un léger toilettage de quelques coquilles... Si non le texte présenté est absolument celui de 1996… » (p. vi, note 17). Les 25 années qui séparent l’écriture du manuscrit de sa publication ont nourri un certain désir de revanche, le besoin de se (re)légitimer, de confronter sa vision fondatrice de la fin des années 1990 à la durée et au temps présent pour montrer toute son épaisseur et son actualité. Temporalités numériques représente aujourd’hui cet effort et cette résistance rencontrée par Pascal Robert à la base de sa carrière universitaire, pour promouvoir une pensée des TIC à la hauteur des transformations organisationnelles, politiques, sociales, qu’elles commençaient à engendrer (en silence techno-logique) ; il est une tentative de déterminer leur dynamique, de leur faire correspondre une mécanique générale, presque une nature.

« Ce livre, le tome 1, est à la fois, hier, une victime de l’impensé pratique, et aujourd’hui, un outil pratique de lutte contre cet impensé » (p. vii).

Une certaine disposition/disponibilité de la pensée

Au départ de l’ensemble de son raisonnement, l’auteur adopte une certaine posture intellectuelle, une disposition de la pensée, qui se définie dans un rapport à la méthode historique. Plus précisément, il s’agit d’aborder le phénomène des TIC comme ne relevant ni exclusivement des régimes d’historicité d’Hartog, ni seulement de la pensée du temps long de Braudel.

« Le temps qui nous intéresse […] C’est le temps des machines, des TIC, temps artificiel, artefactuel, à la fois produit d’une société et quelque part extérieur à cette société puisqu’il incarne une rationalité purement abstraite qui n’est a priori pas celle des activités humaines non machinisées » (p. ii).

Si se confronter à la question « Qu’est-ce que les TIC ? » implique de les qualifier en tant que phénomène placé dans le temps historique, tenter de dévoiler leur « être » ou du moins leur essence, c’est avoir à faire avec la durée, la temporalisation qui le caractérisent. Cette conception de la temporalité n’est pas tout à fait la même que celle de l’historien, car elle inclut nécessairement une dimension modélisatrice et spéculative. Entre empirisme, description des TIC comme phénomène historique et l’abstraction autour de l’être, il convenait de se rendre disponible à un modèle intermédiaire (théorique et pratique, expérimental et spéculatif).

Le modèle de Beniger

« Rares demeurent les réflexions qui visent à replacer l’évolution des TIC dans le long terme, et plus rares encore celles qui essaient de présenter un « mécanisme » susceptible, sinon d’« expliquer » du moins de comprendre la dynamique de ces technologies. J. Beniger en a produit à ce jour l’exemple le plus achevé. Il nous servira de guide tout au long de notre propre travail » (p. 1).

En 1986, James Beniger, professeur à la Annenberg School of Communication publie The Control Revolution. Il émet l’hypothèse suivante : « tout ce qui vit traite de l’information afin d’opérer sa régulation (contrôle-régulation) » et « tout contrôle-régulation est programmé : il repose sur une information inscrite (encoded) sur une matière. » (p. 3)

Situant son hypothèse dans la perspective évolutionniste de l’humanité (justification épistémologique artificielle selon Pascal Robert), Beniger l’étage en 4 niveaux de control revolution : biologique, culturel, bureaucratique et technologique. Ce 4e et dernier niveau, le technologique, est celui de la control revolution proprement dite, c’est-à-dire une régulation par les TIC, qui se surajoute aux précédents niveaux et les transforme, plus qu’elle ne s’y substitue.

L’apparition du 4e niveau de contrôle-régulation est, selon Beniger, la conséquence d’une crise du contrôle (crisis of control) engendrée par la Révolution industrielle qui émerge dans les années 1840-1880. « Celle-ci entraîne un accroissement considérable des capacités et des vitesses de production, et donc également des volumes de produits fabriqués, au point d’engendrer une saturation des processus de production, du système de transports, de distribution et de l’aptitude de la consommation à absorber une offre toujours plus étoffée. La Révolution industrielle provoque en quelque sorte une situation de sous-équipement progressif en instruments de maîtrise des dynamiques qu’elle enclenche. J. Beniger la nomme “crisis of control” » (p. 4).

Une réponse va se construire et s’affirmer entre 1880 et 1939 par l’adoption d’outils de traitement et de circulation de l’information, les TIC, dont l’efficacité s’appuie essentiellement sur la vitesse (son augmentation) et permet ainsi de lutter contre le volume, de le résorber continuellement.

Le modèle « augmenté »

Pascal Robert va proposer trois développements/augmentations au modèle de Beniger :

  • La réhabilitation de la catégorie du politique comme participant des processus de crises de contrôle à l’origine de la control revolution de niveau 4 et de sa perpétuation.

« La démarche globale de Beniger pêche […] par un excès d’économisme et de gestion. C’est pourquoi il nous semble indispensable de réhabiliter la dimension proprement politique de la control revolution » (p. 13).

  • Un découpage en 3 phases de la control revolution (de niveau 4).

La phase 1 où « les TIC interviennent comme lubrifiant des systèmes qui atteignent leur niveau de saturation qui entrent en surchauffe, qui bloquent, coincent, grincent et dysfonctionnent » (p. 21).

La phase 2 où la control revolution s’étoffe, acquiert sa propre épaisseur. « Le secteur des TIC est l’un des secteurs clés de l’économie ; on assiste à une généralisation de leur emploi. Il en va d’un effet de système entre les trois révolutions économique, politique et informationnelle. Cette dernière n’est plus en position subordonnée […] mais fait valoir sa logique propre » (idem).

La phase 3 « voit les TIC – tendanciellement – recomposer les logiques des deux autres révolutions. Les TIC deviennent des pivots, les vecteurs d’une reconfiguration du système global d’échange entretenu par les trois révolutions. Ce dernier est à nouveau déséquilibré, mais cette fois au profit des TIC » (idem).

  • La notion de spirale de la régulation.

En toute logique, la control revolution devrait s’arrêter avec la résolution de la crisis of control en fin de phase 1. Mais en phase 1 de lubrification, les TIC rendent possible l’augmentation de la vitesse des flux, des volumes traités, un meilleur rendement énergétique, créent des besoins en nouveaux instruments de contrôle du traitement des flux d’information eux-mêmes, etc. La phase 2 se déploie alors mécaniquement sur ces « suppléments » techniques générés aux marges de la phase 1, provoquant elle-même une nouvelle crise de contrôle sur un nouveau plan de phase 2 et ainsi de suite. Il s’agit du 1er niveau de la « spirale de la régulation ». La notion de spirale de la régulation est convoquée pour permettre de décrire la dynamique des phases, leurs relations à la fois causales et modales (par effets de phases). Elle permet de comprendre l’entraînement des phases entre elles, comment elles se réengendrent mutuellement de façon indéterminée et indéfinie.

« La control revolution ne revient pas en deçà de la Révolution industrielle ou politique, elle ne fait pas retour sur les principes mêmes et leurs dynamiques. Elle se contente de réguler cette dynamique, d’en limiter les dysfonctionnements. Elle ne résout pas les problèmes, elle les déplace. Car la control revolution, en permettant un retour à l’équilibre, offre par là même au système les conditions de sa stabilité à partir desquelles il peut reprendre son développement » (p. 21).

Ajoutons enfin que ces phases qui se définissent comme des réalités « conceptuelles » plus qu’historiques correspondent néanmoins aux deux moments clés qui vont illustrer le reste de l’ouvrage : les XIXe et XXe siècles.

Les dynamiques conjuguées du nombre, de l’espace et du temps

Une fois le modèle posé et « augmenté » des trois outils conceptuels que nous venons d’exposer, les chapitres qui suivent, le nombre, le temps et l’espace vont se présenter comme une déclinaison à leur dimension de ce dernier. Le raisonnement sera le même, il s’agira de distinguer entre un aspect économico gestionnaire de contrôle-régulation (issue de la Révolution industrielle) et un aspect socio-politique qui remonterait aux révolutions démocratiques européennes et accompagnerait l’avènement de la démocratie américaine (et son influence en retour sur le reste du monde), pour ensuite voir comment les TIC participent de la résolution de la crise de contrôle dans leur façon d’outiller les deux aspects de la control revolution.

L’ouvrage incarne alors dans des mécanismes, des innovations, des problématiques organisationnelles et logistiques les éléments de son modèle. Il permet au lecteur d’entrevoir l’émergence des TIC telles que nous les conservons aujourd’hui, dans toute leur variété. Il nous montre comment elles se sont fixées par couches successives sur les macrosystèmes de transports équipés de la machine à vapeur, sur les réseaux logistiques de la grande distribution, comment elles ont accompagné l’apparition des médias et de la consommation de masse ; comment dans tous ces secteurs, les TIC, par effet de retour et suivant les phases de la contrôle-régulation, se sont autoalimenté pour entrer dans des boucles de rétroaction, d’interopérabilité et de contrôle des systèmes d’information entre eux (spirales de la régulation de niveau I puis II).

On sent que l’auteur s’amuse avec son modèle, que sa culture historique et technique des TIC lui permet de faire des inférences, de créer des liens, de passer d’un pan à un autre, d’une technologie à une autre, de lier les phases entre elles, de créer des retards de phases, puis rattrapages, des situations complexes, hybrides. Affranchi de la limite fonctionnelle entre économique et politique, il associe des réflexions organisationnelles transverses entre public et privé, militaire et civil, social et technologique. Le modèle de la control revolution permet en somme de saisir la relation symbiotique (et/ou parasitaire ?) des TIC avec la modernité industrielle et politique. L’inflation du nombre provoqué par les deux révolutions (augmentation des volumes de biens échangés et du nombre d’acteurs humains) a emporté avec elle en phase 1 sa résolution dans l’augmentation de la vitesse de traitement de l’information (accélération des processus et imposition du temps réel). En abolissant corrélativement l’espace, la control revolution a en réalité multiplié les espaces, les rendant toujours plus denses en circuits de régulation. En faisant pression sur le temps par la vitesse, elle a conduit à des processus d’accélérations locales.

Le chapitre 5 « Le mouvement » synthétisera la mécanique à l’œuvre en unifiant les périodes et les aspects de la control revolution. Il débouchera sur l’exposé du paradoxe de la simultanéité, qui, « gouvernant » la control revolution, justifie/explique théoriquement son caractère permanent et indéfini.

Le desserrement du Paradoxe de la Simultanéité (PdS)

En conclusion de ce tome 1, Pascal Robert enrichit son appareil conceptuel d’une hypothèse importante, qui lui permet en quelque sorte de sceller, du moins en logique formelle, la control revolution sur elle-même ; justifiant ainsi son pas de côté par rapport à la fondation en nature (biologie) du modèle Beniger, la rendant obsolète.

Se démarquant de Stephen Kern, qui, dans son ouvrage The culture of time and space, postule que les télécommunications sont le vecteur privilégié de la simultanéité, l’auteur va plutôt s’attacher à montrer que ce sont les TIC qui produisent une apparence de simultanéité, dans un mouvement asymptotique de mime de la simultanéité. La conclusion de l’ouvrage, va donc expliciter et systématiser l’idée selon laquelle les TIC ne produisent pas de la simultanéité, mais plutôt en desserrent le paradoxe.

En effet, la dynamique souvent enchevêtrée des deux révolutions industrielle et politique engendre de sérieux blocages : les crisis of control. Or ces crises posent toujours le même type de problème, décliné autour de quatre questions de fond :

  • comment « être » à la fois ici et là-bas en même temps ?
  • comment « être » à la fois hier ou demain et aujourd’hui ?
  • comment se situer à telle et telle échelle à la fois ?
  • comment faire à la fois ceci et cela ?

Ces quatre questions constituent le paradoxe de la simultanéité. Si la control revolution a réussi à s’épaissir à s’étoffer, c’est parce qu’elle repose sur des vecteurs, les TIC, qui parviennent à relâcher le paradoxe de la simultanéité grâce à la vitesse et à l’information.

« Les TIC démultiplient l’espace, le temps, le nombre et le mouvement au point de disqualifier ces cadres cognitifs supposés “fondamentaux”. Peut-être nous faut-il apprendre à penser autrement, et singulièrement en termes de Paradoxe de la simultanéité et du travail qu’investissent les TIC notamment – mais peut-être d’autres techniques également – dans son relâchement » (p. 144).

Contemporanéité du modèle de 1996… et capitalisme de surveillance

Dans la postface de l’ouvrage, Pascal Robert confronte directement son modèle avec les évolutions des TIC. Il confirme par l’observation la logique des phases et précise l’avènement, la primauté actuelle, de phase 3 de la control revolution.

« Aujourd’hui, il est presque évident, en revanche, que l’on est en phase 3, cette phase de généralisation du déploiement des TIC et du numérique qui irriguent avec une granularité singulièrement fine notre société, phase durant laquelle, progressivement, les autres secteurs d’activité se reconfigurent à son aune » (p. 167).

Il valide également, avec en support l’exemple emblématique de la généralisation et du perfectionnement du téléphone portable, l’hypothèse du paradoxe de la simultanéité pour comprendre la nature de la tension permanente qui travaille les TIC dans la résolution des crises de contrôle.

« Il va sans dire que l’hypothèse des TIC comme outils de gestion du paradoxe de la simultanéité (pds) explorée par la conclusion du livre, n’a cessé de se confirmer depuis. » Aucun outil de communication n’a joué à ce point cette logique que le téléphone portable « couteau suisse relationnel qui permet d’être le plus efficace dans le desserrement du PdS tant dans, l’espace (puisqu’il bouge avec ceux qui bougent), le temps (puisqu’il introduit la diachronie en plus de la synchronie), les échelles spatiales et temporelles (vitesse et accélération) que dans la dimension de l’être et du faire. Autrement dit, l’hypothèse du PdS est une puissante posture d’anthropologie théorique d’explication du succès du téléphone portable et ce, avant même son explosion » (p. 168).

Il fait enfin le constat essentiel que la logique de régulation de type gestionnaire interne au TIC l’emporte in fine sur le politique, qu’elle l’inféode progressivement à son propre principe après s’être reconfigurée en partie sous son impulsion. Cela entraîne une mise en perspective du capitalisme comme régime d’économie politique à l’aune d’un processus de gestionnarisation contenu dans la dynamique même des TIC.

Là où Max Weber voyait l’ethos protestant (réforme, accumulation) à l’origine de l’éthique du travail du capitalisme, Temporalités numériques propose l’ethos gestionnaire de la technique à la base même des développements contemporains du capitalisme, et ce, jusqu’à la mise en place d’un capitalisme de surveillance comme pointe de ce processus de gestionnarisation.

« L’apport fondamental de cette dynamique des TIC réside, à mes yeux, dans l’idée que ces TIC (en régime analogique ou numérique) sont avant toute chose des technologies de gestion, qui utilisent l’information-communication. […] Ces TIC emportent en effet toujours, a minima, une logique gestionnaire et même une logique de “gestionnarisation”. […] Ce qui veut dire qu’il n’y a pas utopie, ni économie, ni politique, ni même capitalisme de surveillance ou d’auto-surveillance, mais un processus de gestionnarisation » (p. 158, p. 159).

Dans les dernières pages de la postface, Pascal Robert ouvre sur une évolution fondamentale de l’outillage du desserrement du paradoxe de la simultanéité avec la généralisation de l’utilisation d’Internet dans les échanges. L’idée est la suivante : il conviendrait à présent de penser le web comme un macrosystème technique (MST) documentaire à l’échelle planétaire. Or, « les MST sont des vecteurs logistiques, de la logistique physique de transports (trains, bateaux, avions, etc.), mais également de la logistique informationnelle d’abord communicationnelle (télégraphie, téléphone etc.) », et « C’est la première fois avec le web qu’un système documentaire en tant que tel, et pas seulement communicationnel, devient un MST » (p. 170).

Il précise ainsi la tâche d’un tome 2 telle qu’évoquée en préface :

« Le tome 2 nous permettra de revenir, sur un mode élargi d’anthropologie historique des TIC, sur les questions de la logistique et des macrosystèmes techniques (qui a l’instar du train ou de l’avion, nous proposent leur propre espace-temps) car il nous faut une théorie de la logistique qui lie logistique physique et informationnelle. Il sera également l’occasion de présenter le cadre théorique d’un véritable modèle du temps. » (p. vii).

Conclusion

Temporalités numériques est destiné à occuper une place toute particulière dans la bibliothèque de ceux qui cherchent à acquérir une culture autour de la technique, une culture autour du numérique. Il plonge son lecteur dans une épopée technico-politico-logistique courant sur deux siècles, sur la planète entière, dans le ciel et sur les mers. Il relie la montre, la machine à vapeur, le télégraphe, le satellite, l’ordinateur… le portable. À la façon des grandes fresques populaires qui condensent habilement un moment historique afin d’en fixer la charge « de progrès », il donne à voir l’émergence et la propagation irrésistible de la modernité technique et logistique. Comme dans les mouvements saccadés et accélérés des films d’« époque » on perçoit, en plan séquence, dans un fourmillement d’acteurs et d’activités, les réseaux de la société moderne en train de se propager, de se complexifier, de se densifier sous l’impulsion/infusion du symbiote/parasite TIC. On imagine le technicolor apparaître, les matériaux devenir plus légers, les formes s’affiner, se multiplier. Enfin, en phase 3 généralisée (spirale de la régulation de niveau II), on voit se dessiner le telos de l’abstraction, indexé sur la miniaturisation et l’implémentation progressive des TIC au « système monde ». L’effet Tilt-shift, l’heuristique que procure le modèle et son généreux déploiement, pourraient presque faire oublier que l’ouvrage dévoile une dynamique techno-politique (voire anthropologique) périlleuse, et a priori hors de tout contrôle.