Seniors en bibliothèque
ABF, collection « Médiathèmes », 2018, 209 p.
ISBN 978-2-900177-52-5 : 30 €
Autant il est courant de rencontrer dans les bibliothèques des collectivités territoriales des animations destinées à un jeune public, autant il est bien plus rare d’en croiser destinées spécifiquement aux seniors.
D’ailleurs, qui sont ces « seniors » ? Le groupe d’individus qui se cache derrière ce terme est difficile à définir. Une première piste peut être l’âge. En effet, est considérée comme « senior » toute personne de plus de 55 ans. Or, avec une telle définition, nous voici donc face à une catégorie hétérogène car composée de plusieurs générations. Du senior en fin de carrière professionnelle au senior vivant en EPHAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), les besoins et les envies sont vastes.
Cet ouvrage se divise en deux parties. La première présente des « thématiques génériques pour un public particulier » ; la seconde rapporte des « projets de terrain ». Plus généralement, des animations sont présentées dans chaque contribution et, dans la seconde partie, chaque auteur développe le contexte dans lequel évolue sa bibliothèque et les spécificités de son public. Le grand nombre de contributions conduit inévitablement à une certaine répétition dans les expériences rapportées.
Qui sont les seniors ?
Dans la première partie, deux contributions vont tenter de définir le public « senior ». Bien que ce public soit varié, les seniors ont en commun une dégénérescence du corps lié au vieillissement et les différents handicaps qui en découlent : problèmes auditifs, déficiences visuelles, troubles moteurs ou troubles cognitifs. Connaître ces différents troubles, et le rapport que les seniors ont envers eux, permet de développer des collections et des animations pertinentes. La communication sur cette offre revêt une importance toute particulière, car nombreux sont les seniors qui ne viennent pas en bibliothèque. À cet effet, il ne faut alors pas hésiter à faire fonctionner le bouche-à-oreille et à communiquer en direction des personnes qui sont quotidiennement à leur contact (les aidants, les personnes qui apportent leurs repas, etc.).
Le développement d’une culture de l’informatique
L’acquisition de documents adaptés (publications en gros caractères, livres audio) ou l’acquisition de matériel informatique (liseuses, smartphones ou lecteurs Daisy) font partie des réponses que peuvent apporter les bibliothécaires. Pour l’informatique, une formation des seniors est nécessaire pour que ces derniers puisse l’utiliser en toute autonomie. Une place importante est d’ailleurs dédiée dans le livre au rapport qu’entretiennent les seniors avec l’informatique (le matériel – les ordinateurs, les smartphones, les tablettes – mais aussi avec la culture informatique – par exemple, les jeux vidéo). Frédéric Lemaitre nous incite à sortir des sentiers battus et à ne pas nous cantonner à une formation des seniors à la bureautique. Les bibliothèques de la Communauté d’agglomération Paris Sud proposent ainsi des ateliers créatifs, des formations de sensibilisation à la protection des données personnelles ou encore des initiations au code. Frédéric Lemaitre relève par ailleurs que, contrairement aux idées reçues, de plus en plus de seniors possèdent un bon niveau en informatique, même si pour beaucoup les bibliothèques restent une porte d’entrée pour accéder à ces outils. Constat encourageant, la fréquentation assidue de ces ateliers conduit certains seniors à aller bien plus loin que la simple utilisation de la bureautique ou de la navigation web.
La création de liens sociaux par le portage de documents à domicile
Dans la deuxième partie de Seniors en bibliothèque, la part belle est faite aux retours d’expérience. Le portage de documents à domicile, qui n’est pas réservé aux seniors, semble être la première action mise en place par les bibliothèques quand elles cherchent à toucher ce public, et plus particulièrement ceux à mobilité réduite. Les témoignages insistent tous sur le fait que, plus qu’un simple apport de documents, c’est un véritable moment de sociabilité que recherchent les seniors.
Le portage à domicile peut être l’occasion de rencontres entre plusieurs générations. Ainsi, l’action Port’âge de la Ville de Paris permet de construire des passerelles avec des générations très éloignées grâce à l’emploi de jeunes en service civique. Nos collègues prennent ainsi le temps de présenter leur contexte d’exercice et apportent de nombreux conseils pour former et accompagner ces jeunes, en présentant notamment la fonction de tuteur. La parole est également donnée, en bande dessinée, à l’une de ces jeunes, Kenza Koya.
L’action « La République de Notre Maison » de la médiathèque Manufacture de Nancy développe également ce lien intergénérationnel de façon originale. Associant, bien sûr, la médiathèque, le CCAS (Centre communal d’action social), deux classes d’école primaire et un EPHAD, le projet consiste en l’élection par les enfants d’un « président de la République » de l’EPHAD. Le projet n’aurait certainement pas pu aboutir sans un très important engagement des agents et une communication permanente entre les différents acteurs, souligne Anne Charaud. L’activité a nécessité une écoute constante des différentes parties prenantes. Bien d’autres animations inspirantes sont à découvrir dans ce livre, comme une nouvelle manière d’appréhender la lecture avec l’association La Douce Heure, où lecture d’extraits littéraires et éléments sensoriels (parfum, musique, un « carré de chocolat ») se mêlent, ou encore une démarche de « co-design » avec les « Rendez-vous 4 C » de la bibliothèque Les Champs Libres à Rennes. Ces rendez-vous, ouverts à tous, font la part belle à l’initiative des usagers qui peuvent décider de ce qu’ils font et comment ils le font. La convivialité et la liberté président ces rencontres dans un esprit d’apaisement de la discussion.
Coopérer et former
Nombre des animations décrites dans Seniors en bibliothèque sont le fruit de partenariats entre différents acteurs et la bibliothèque. Ces partenariats peuvent être difficiles à mettre en place et/ou à entretenir sur le long terme. C’est donc tout à propos que l’ouvrage s’achève sur un dernier chapitre intitulé « Quels partenaires pour des actions pertinentes en direction des seniors ? ». Benjamin Sausin rappelle les principes fondateurs d’un partenariat : « échange » et « réciprocité ».
Enfin, un autre point semble ressortir au fil des pages : l’importance du partage des connaissances et des expériences, ainsi que la formation des professionnels et des bénévoles. Le retour d’expérience de la Bibliothèque départementale du Bas-Rhin, sous la plume de Hugette Brun, décrit ainsi la mise en œuvre d’un programme de formation dans leur réseau prenant la forme de rencontres, d’un forum, d’une mise à disposition de supports d’animations et de visites d’établissements recevant des personnes âgées. Rencontrer des agents en contact avec des seniors apporte un regard nouveau sur ce public.
En conclusion
Vous trouverez ici des clefs pour mieux comprendre et cerner ce public. Toutefois, vous n’aurez pas toutes les clefs en main pour mener à bien une animation, n’y cherchez pas de fiches techniques détaillées. Cet ouvrage vous donnera des pistes de réflexions, des idées pour démarrer vous-même des activités à destination des seniors grâce aux retours et à l’analyse de nombreuses animations. Même si l’on peut regretter une dominante des projets envers les EPHAD et les seniors à mobilité réduite dans la seconde partie, cet ouvrage n’en demeure pas moins un formidable vivier d’idées et de contacts.