Qu’est-ce que l’identité numérique ?

Enjeux, outils, méthodologies

par Benjamin Caraco

Olivier Ertzscheid

Olivier Ertzscheid
OpenEdition Press, coll. « Encyclopédie numérique », 2013, 73 p., ISBN 9782821813373 : 11 €
ISBN électronique 9782821813380 : 5,99 €
En ligne : http://books.openedition.org/oep/332

Après les revues, les carnets de recherches et l’agenda scientifique, le Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo) – de plus en plus connu sous le nom d’OpenEdition – se lance dans le livre numérique, en tant que plateforme et comme éditeur via OpenEdition Press. L’une des collections de ce nouvel éditeur s’appelle « Encyclopédie numérique ». Sous la codirection de Marin Dacos, qui préside aux destinées du Cléo, et de Christian Jacob, qui dirige déjà les monumentaux Lieux du savoir (Albin Michel, 2007-2011) 1, cette entreprise vise à traiter de façon synthétique un ensemble de thématiques. Les premiers titres se concentrent sur les humanités numériques, mais les sujets abordés seront progressivement élargis. S’adressant à « tous les publics », ces ouvrages « proposent un double point de vue : synthétique, pour faire un état des lieux de la thématique traitée et donner aux lecteurs les outils et pistes nécessaires pour aller plus loin et fort, afin de proposer un traitement original de la thématique abordée et éviter ainsi une vision tiède du savoir  2 ».

Qu’est-ce que l’identité numérique ? d’Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, connu pour son blog affordance.info 3, est l’une des premières publications de la collection. Synthèse remaniée (et rééditée) d’une journée de formation préparée par cinq étudiants, cet opus a pour but d’aider le lecteur à prendre en main son identité numérique et s’en tient aux fondamentaux pour se prémunir de l’obsolescence rapide qui guette les réflexions dans ce domaine. Après un court développement historique, où l’on apprend que cette notion aurait des antécédents administratifs remontant aux années 1970, Ertzscheid se livre à un exercice de définition : « L’identité numérique peut être définie comme la collection des traces (écrits, contenus audios ou vidéos, messages sur des forums, identifiants de connexion, etc.) que nous laissons derrière nous, consciemment ou inconsciemment, au fil de nos navigations sur le réseau et le reflet de cet ensemble de traces, tel qu’il apparaît “remixé” par les moteurs de recherche » (p. 15).

À cette identité numérique, l’auteur ajoute l’e-réputation, décalque de la première : de ce que je dis de moi à ce que l’on dit de moi. L’essentiel de son propos vise à nous sensibiliser aux enjeux de la « documentation » de notre identité et des usages qui peuvent en être faits par des acteurs publics ou privés.

À partir de ce constat éclairant, le livre progresse en présentant quelques outils et stratégies à disposition de l’internaute soucieux de limiter les atteintes à son identité numérique  4, tout en écartant d’emblée l’idée d’un contrôle absolu. Nombreux sont les moyens permettant d’exercer sa vigilance : de la simple auto-recherche sur Google à la consultation régulière d’agrégateurs de contenus tels 123people.fr, via la veille qui permet d’anticiper, ou le nettoyage avec la demande de retraits de contenus, afin de se prémunir d’une attaque contre son e-réputation. Et l’auteur de nous livrer les quatre piliers de la/sa sagesse numérique : « protéger – réserver son nom », « s’impliquer », « définir son périmètre de confidentialité » et « veiller au grain ».

Les espaces privilégiés de l’identité numérique sont, sans surprise, les réseaux sociaux, dont la pluralité des usages génère des problématiques différenciées : pas question d’être anonyme sur Linkedin ou Viadeo… Acceptant Facebook comme indépassable en termes de domination (l’entreprise visant à établir le graphe social de l’humanité, rien de moins), Ertzscheid estime que la vie privée sur les réseaux n’existe pas et préfère adopter la notion d’espaces « semi-publics » développée par la chercheuse Danah Boyd  5. Sur ces réseaux, nous pouvons être profilés par nos proches, des entreprises commerciales, voire l’État. Notre « intégrité documentaire » peut être remixée à volonté soit par nous soit par des tiers. À l’issue de ce remixage, diffusé par les moteurs de recherche, notre identité risque de nous échapper. En conclusion, Ertzscheid se demande si nous ne sommes pas devenus de simples documents entre les mains des géants du web, renseignant notre vie connectée en permanence, sans en avoir nécessairement conscience.

À ces développements constituant le cœur de sa réflexion, l’auteur adjoint de denses annexes qui reviennent sur la définition de la « net-étiquette » appliquée à l’identité numérique (et inspirée des trois lois de la robotique du romancier Isaac Asimov), ainsi que dix recommandations utiles sur le comportement à adopter sur internet.

Le lecteur pourra peut-être déplorer l’absence d’une typologie un peu plus fouillée des réseaux sociaux assortie d’exemples – l’obsolescence probable de telles informations pouvant être corrigée régulièrement par de nouvelles éditions puisqu’il s’agit avant tout d’un livre numérique, actualisable et réinscriptible par définition. Les sources retenues, diverses à la fois en termes de provenance et de niveau d’analyse, témoignent vraisemblablement d’un manque de travaux universitaires sur ce sujet et de la difficulté à étudier des phénomènes en constante évolution. Cet essai semble toutefois avoir réussi son pari de nous rendre plus conscients des enjeux relatifs à l’identité numérique. Disponible en libre accès, il peut donc être consulté immédiatement pour notre plus grand profit.

  1. (retour)↑  À ce sujet, voir : Anne-Marie Bertrand, « “Les lieux de savoir” en chantier », BBF, 2012, n° 6, p. 69-69. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-06-0069-009
  2. (retour)↑  http://books.openedition.org/oep/127?lang=fr
  3. (retour)↑  http://affordance.typepad.com/ et pour ses vigoureuses prises de positions sur le service Refdoc de l’Inist.
  4. (retour)↑  Olivier Ertzscheid la définit ici comme la combinaison de données personnelles de types différents : techniques, déclaratives, navigationnelles et comportementales.
  5. (retour)↑  Quatre paramètres l’amènent à conclure en ce sens : la persistance des données rendues publiques ; la « searchability », c’est-à-dire la capacité à être cherché par tous ; la reproductibilité, en particulier la transposition de discours dans des contextes différents ; et l’idée d’« audiences invisibles   ou, pour le dire autrement, le fait que la majeure partie de mon public potentiel est absente au moment où je publie.