Pour aboutir à un livre

La fabrique d’une maison d’édition

par Benjamin Caraco

Éric Hazan

La Fabrique éditions, 2016, 104 p.
ISBN 978-2-35872-083-0 : 10 €

Éric Hazan est une figure emblématique de « l’édition indépendante critique 1  ». Fondateur des éditions La Fabrique en 1998, il mène de front les activités d’éditeur, d’écrivain et de traducteur. En tant qu’écrivain, il a publié plusieurs livres sur l’histoire de la Révolution française, sur Paris et sur la question palestinienne. Avec Pour aboutir à un livre, l’écrivain nous parle ici de son métier d’éditeur, sous la forme d’un dialogue avec Ernest Moret.

Il ne faut pas y voir un ouvrage célébrant l’anniversaire de la naissance de la maison d’édition, ni de son fondateur, même s’il est publié l’année de ses quatre-vingts ans, et qu’il relève en creux de l’exercice de présentation de soi. Dans son avant-propos, Hazan parle davantage d’un livre visant à répondre aux questions qui lui sont le plus couramment posées sur son travail. En conséquence, ce livre s’écarte de trois exercices convenus que sont l’autobiographie, l’histoire d’une maison d’édition et le manuel pratique.

Pour aboutir à un livre n’est pas une autobiographie d’Éric Hazan mais le lecteur y apprendra qu’après une première vie en tant que chirurgien, Hazan démissionne en 1983 pour reprendre les éditions d’art qui portent son nom de famille et que son père avait fondées en 1946. Il se forme sur le tas et, sous sa direction, la maison d’édition se développe mais, revers de la médaille, se fragilise et doit être vendue à Hachette dans les années 1990. Hazan en reste le directeur ce qui lui permet de se confronter, de l’intérieur, au monde la grande édition et à ses recettes pour économiser et surtout « intimider ». Hazan témoigne plus largement de l’évolution du secteur de l’édition, bouleversé par l’arrivée du numérique et par la concentration autour de quelques grands groupes.

Ce passage chez Hazan puis Hachette joue un rôle déterminant dans la suite de sa carrière d’éditeur : « C’est la principale leçon de mon expérience aux éditions Hazan : pour rester indépendant, il faut une croissance lente, progressive, limitée à ce que permet l’accroissement des ventes, sans recours aux banques. » Autrement dit, celui-ci fait de l’indépendance un choix assumé et maîtrisé.

Pour aboutir à un livre n’est pas non plus une histoire de La Fabrique mais le lecteur y découvrira quelles furent les circonstances de sa création. Le noyau qui en fut à l’origine était composé d’Éric Hazan, de Stéphanie Grégoire, une diplômée de Paris-13 qui avait fait ses premières armes chez Hazan, et de Jérôme Saint-Loubert Bié, graphiste à qui l’on doit la très reconnaissable maquette colorée de La Fabrique. Les premiers auteurs rejoignent le jeune éditeur par interconnaissances, quand celui-ci ne sollicite pas directement des écrivains reconnus comme le philosophe Jacques Rancière, rencontré à un séminaire, qui lui confie un de ses derniers manuscrits.

Les grandes lignes éditoriales ne se constituent que progressivement et Hazan reconnaît que ce n’est qu’après plusieurs années, et seulement rétrospectivement, qu’il a pu déceler une cohérence dans son catalogue. Ce dernier se compose aujourd’hui de livres de philosophie (avec des noms comme Alain Badiou, Frédéric Lordon et Jacques Rancière), d’histoire, de prises de position – notamment sur la Palestine – et de rééditions de grands livres engagés oubliés. La Fabrique a souvent recours à la commande et privilégie des livres à la fois offensifs et constructifs autour de « la subversion de l’ordre établi », même s’il s’autorise de temps à autre à publier des ouvrages plus descriptifs sur des questions vraiment délaissées. Ainsi, et en toute logique, l’éditeur a eu à répondre à plusieurs reprises de ses ouvrages, que cela soit lors de polémiques, voire de procès, en particulier à la suite d’accusations d’antisémitisme.

Enfin, Pour aboutir à un livre n’est pas un manuel à l’attention d’aspirants éditeurs mais le lecteur y apprendra les principales étapes de création d’un livre. Dans ce domaine, Hazan se montre très pédagogique et didactique, détaillant, sans jargon, ses choix aussi bien en termes de fabrication (les qualités de l’imprimeur), de diffusion-distribution (les relations avec celle de La Fabrique, les Belles Lettres) que de relations avec les librairies indépendantes, davantage d’ailleurs qu’avec les journalistes. Dans le domaine de la critique d’essais, Hazan déplore l’absence d’institutions comparables à la New York Review of Books en France, oubliant au passage le rôle joué par les revues et les initiatives numériques telles que La Vie des Idées ou Nonfiction.fr.

Ses conseils sont fondés sur son expérience à La Fabrique et il nuance à plusieurs reprises leur portée : La Fabrique est un exemple parmi plusieurs possibilités et ne constitue pas un modèle indépassable. Soulignons qu’il n’hésite pas à aborder des aspects aussi concrets que les interactions avec le banquier et le comptable, ce dernier étant indispensable au bon fonctionnement de la structure, même s’il ne doit en aucun cas se mêler de gestion.

Ce court dialogue, très vivant et humble, se lit aisément et intéressera aussi bien les professionnels des métiers du livre que les fidèles de La Fabrique. L’on regrettera seulement son prix – 10 € pour 100 pages exactement – qui limitera vraisemblablement son lectorat.

  1. (retour)↑  Sophie Noël, L’édition indépendante critique : engagements politiques et intellectuels, Presses de l’enssib, coll. « Papiers », 2012.