Modernité du livre : de nouvelles maisons d’édition pour de nouveaux lectorats

Jenny Guillaume

Olivier Bessard-Banquy
Modernité du livre : de nouvelles maisons d’édition pour de nouveaux lectorats
Paris, éd. Double ponctuation, 2023
Collection « Bibliodiversité »
ISBN 978-2-490855-40-7

Professeur au sein du Pôle des métiers du livre de l’Université Bordeaux Montaigne et spécialiste reconnu de l’édition contemporaine, Olivier Bessard-Banquy s’intéresse dans ce court essai aux stratégies mises en place par les maisons d’édition indépendantes pour dynamiser leurs ventes dans un contexte global toujours plus alarmiste pour l’avenir du livre. Car si le support imprimé est loin d’avoir succombé à l’avènement du numérique, il est indéniable que le lectorat, lui, a changé. Ces éditeurs doivent redoubler d’inventivité pour capter l’attention d’un public sursollicité et amateur de productions sérielles. Comment ? En repensant le support lui-même pour concevoir un objet aux finitions toujours plus soignées, hautement désirable et facilement « instagrammable ».

Dans une longue introduction, l’auteur revient sur l’évolution des politiques éditoriales, notamment depuis l’avènement des best-sellers et du livre de poche dans les années cinquante. Face à cette édition de masse et à l’« obsolescence programmée » des livres qui ne sont plus conçus pour « faire bibliothèque », de jeunes éditeurs réagissent. Ne pouvant rivaliser avec les plus grandes maisons en termes de contenu, ils mettent logiquement l’accent sur le contenant en s’affranchissant des standards de la profession. Quand les grands éditeurs voient dans les progrès techniques de la fin du XXe siècle un moyen de produire plus à moindre coût, les maisons de taille plus modeste explorent de nouveaux procédés pour produire autrement et exprimer leur liberté artistique. L’auteur brosse un portrait admiratif de cette édition « de laboratoire » dont il nous présente les héritiers. De quels éditeurs parle-t-il ? Sans nier la créativité des maisons spécialisées dans les secteurs plus porteurs que sont la bande dessinée ou la jeunesse, Olivier Bessard-Banquy concentre son étude sur les éditeurs de littérature générale. Ainsi, il mène en 2022 des entretiens avec L’Arbre vengeur, Le Castor Astral, Finitude, Monsieur Toussaint Louverture, Le Nouvel Attila ou encore Tristram. Amoureux du travail bien fait, les professionnels interrogés se donnent le temps et les moyens de réaliser un objet qu’ils souhaitent parfait en tous points. Original, agréable à lire, durable et plaisant au toucher, le livre doit déclencher un coup de cœur, « se vendre par lui-même ». La genèse même de l’objet est la source d’un storytelling maîtrisé dans une stratégie de social media marketing assumée par ces nouveaux éditeurs, bien ancrés dans leur époque.

Olivier Bessard-Banquy construit son essai autour des quatre étapes clés de la fabrication de l’objet livre, devenu désormais un argument de vente au moins aussi important que le texte qu’il transmet. Chacune de ces étapes fait l’objet d’un chapitre : design, impression, façonnage et choix du papier. L’auteur fournit un éclairage historique très instructif sur les différentes évolutions techniques et enrichit son propos de nombreuses références et citations. Les reproductions de couvertures et de doubles pages illustrent concrètement ce « renouveau de l’art du livre ». Mais au-delà des prouesses techniques et artistiques, l’auteur évoque également les enjeux et défis auxquels sont confrontés ces éditeurs audacieux, notamment en matière d’écologie. Malheureusement, le papier recyclé souffre encore d’une qualité inférieure aux attentes du monde de l’édition. De plus, la recherche constante de l’excellence oblige souvent à sortir de nos frontières pour solliciter les artisans les plus renommés ou se procurer des matériaux d’exception. En revanche, privilégier le circuit court s’avère indispensable pour être en mesure de rééditer rapidement en cas de succès. Il faut donc, pour chaque titre, trouver le meilleur compromis. Enfin, la question du prix de vente demeure prégnante chez les éditeurs indépendants qui ont à cœur de proposer, aux côtés d’éditions prestigieuses, des collections accessibles financièrement au plus grand nombre qui ne sacrifient ni la qualité du contenu, ni celle de son médium.

De la prise en main au confort de lecture, l’expérience utilisateur est au centre de la conception de l’objet livre moderne. Mais qui sont ces nouveaux lecteurs qui n’hésitent pas à souscrire un abonnement pour recevoir toutes les nouveautés de leur maison d’édition préférée ? Des adeptes du « bookporn » aux bibliophiles d’aujourd’hui, le champ est vaste et l’analyse des publics n’est ici qu’effleurée. L’auteur se veut rassurant : il nous rappelle l’existence des VLEEL, « Varions les éditions en live » (rencontres en ligne entre éditeurs, auteurs et lecteurs), créées durant le premier confinement pour encourager une édition indépendante de qualité. « Refuge face à l’instabilité du web », le livre imprimé occupe une place intemporelle dans notre société et ses « fans » ne sont pas près de disparaître.

Cet ouvrage synthétique, croisant évolutions techniques et sociétales, intéressera tous les acteurs de la chaîne du livre. D’aucuns regretteront peut-être de ne pouvoir lire l’intégralité des entretiens menés, tant l’enthousiasme de l’auteur à l’égard des éditeurs qu’il a rencontrés est communicatif. Enfin, il convient de souligner le soin particulier apporté par Double ponctuation à l’objet livre lui-même, heureux écho à son contenu.