Les stratégies de transformation des bibliothèques
Bibliothèques : transformations en vue
Les stratégies de transformation des bibliothèques
Londres, Iste éditions, 2021
Collection « Systèmes d’information, web et société, série Bibliothèques et collections numériques »
ISBN 978-1-78405-699-5
Si les bibliothèques s’adaptent depuis longtemps à l’évolution des besoins de leurs usagers, peu de bibliothécaires ont sans doute une vision globale des transformations qu’il est possible de mettre en œuvre pour améliorer encore leurs services et leur visibilité. C’est une synthèse des stratégies à adopter que propose Jean-Philippe Accart dans cette étude sur le présent et l’avenir des bibliothèques. Collaborateur régulier de revues professionnelles, en recherche continuelle d’information sur les métiers du livre et de l’information, Jean Philippe Accart participe régulièrement aux congrès professionnels. Il a exercé les multiples fonctions de bibliothécaire, documentaliste, formateur, enseignant, consultant, chargé de projet, il est actuellement directeur de la bibliothèque de Sciences Po Reims. Il est aussi l’auteur de nombreux livres sur le devenir des bibliothèques et sur l’évolution des services de documentation. Cet ouvrage, Les stratégies de transformation des bibliothèques, est paru en 2021. Il s’inscrit dans la collection « Systèmes d’information, web et société, série Bibliothèques et collections numériques » coordonnée par Fabrice Papy, aux éditions Iste.
La société dans son ensemble vit une transformation qui entraîne des modifications de comportement notamment dans l’accès à l’information et à ses supports, modifications qui imposent de repenser le fonctionnement des bibliothèques. Faire face à des innovations technologiques ou sociétales inéluctables implique pour les bibliothécaires de multiples changements dans tous les domaines du travail : l’acquisition de nouveaux outils, la création de nouveaux services et de nouveaux espaces qui répondent davantage aux besoins des publics entraînent l’adoption de nouvelles règles et une nouvelle approche dans la gestion des équipes et des projets.
Après une première partie consacrée aux mutations culturelles, économiques, juridiques dans la société, ce sont toutes les manières d’y répondre qui sont ici présentées de manière structurée et très claire, en ce qui concerne tant les ressources humaines et le management que les outils documentaires et la transformation numérique, la réalité augmentée et l’intelligence artificielle (IA), et que le marketing. Moyens financiers en recul, diminution du personnel qualifié, manque de temps sont des plaintes récurrentes dans notre secteur mais aussi de grands défis. Le financement des bibliothèques est devenu un enjeu majeur afin de maintenir une gratuité de l’accès à l’information. Il s’agit de restructurer l’organisation des bibliothèques sans mettre en péril cet accès en tirant le meilleur parti des opportunités qui s’ouvrent, majoritairement virtuelles, sans pour autant verser dans le « tout numérique » qui ne tiendrait compte ni d’une fracture numérique bien réelle au sein de la population ni de la conservation d’un riche patrimoine « papier ».
Comme le rappelle cet ouvrage, de nouveaux services sont apparus, depuis quelques années déjà, dans les bibliothèques pour répondre aux besoins des utilisateurs, des espaces de formation et d’apprentissage, les learning centers qui rassemblent contenus documentaires, assistance technique et prête de matériel, les smart libraries qui se développent à l’instar des smart cities hyperconnectées, les fab lab (et aussi les media lab, info lab, living lab, etc.), les espaces publics numériques (EPN), des espaces de bien-être, des lieux d’accueil où tout est mis en œuvre pour faciliter et optimiser la visite des utilisateurs, avec une offre de services pour l’usager « physique » et l’usager « virtuel », le troisième lieu qui se situe entre la sphère privée et la sphère professionnelle, entre la maison et le travail. À ces nouveaux services dont les avantages pour l’utilisateur sont largement détaillés correspondent des modifications juridiques et l’apparition de nouvelles réglementations, par exemple le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Les grands domaines de la gestion de bibliothèques sont abordés à commencer par l’organisation du personnel et les différents types de management qui rompent désormais avec une tradition « verticale » et hiérarchisée pour associer tous les agents aux projets et décisions à prendre par l’écoute de tous les avis, de toutes les idées. Le management participatif, le management par la bienveillance et la bientraitance, le management par empathie : autant de techniques de gestion d’équipe bien explicitées, avec leurs avantages mais aussi avec les écueils à éviter. L’analyse de Jean-Philippe Accart est des plus importantes car une transformation de la bibliothèque ne peut faire l’impasse sur l’adhésion aux nouveaux projets de tous ceux qui y travaillent et sur une proactivité attendue de leur part. C’est une véritable évolution des métiers qui est attendue incluant le rôle de manager qui va également changer, devenir plus polyvalent encore et dirénavant comprendre une nouvelle dimension : celle de la médiation. L’importance d’un change manager dans ce contexte et de sa capacité à (bien) communiquer, à comprendre le ressenti des collaborateurs et à organiser les changements devient primordiale. Ce sera un gage de succès dans le cadre de nouveaux projets à développer. Deux études de cas sont présentées : le projet développé à la Bibliothèque de la Faculté des Sciences de l’université de Genève et celui des Bibliothèques et Archives de la Ville de Lausanne. Les méthodes de gestion de projet sont elles aussi en pleine mutation comme le montrent ces cas pratiques. Elles laissent une part plus large à la coopération entre diverses disciplines, à l’expérience des utilisateurs (User eXperience), à des méthodes de travail plus souples et plus interactives.
Autres transformations attendues des bibliothèques, celles induites par le numérique et les technologies. C’est en effet dans ce domaine que les transformations sont les plus évidentes et en constante évolution, débouchant sur la perspective de nouvelles utilisations dans le secteur des bibliothèques et l’enrichissement des services traditionnels. Il s’agit en effet d’assurer un complément numérique aux services habituels des bibliothèques et non d’opposer les deux types de services.
Cette évolution implique le recours à de nouveaux outils documentaires que Jean-Philippe Accart détaille et dont il explique, exemples à l’appui, l’architecture, le fonctionnement et les avantages que les bibliothécaires pourront en tirer dans un souci de visibilité et de facilité d’accès aux données tout autant que de gestion administrative (collecte d’informations, statistiques, prêts de documents, etc.) : plateformes numériques dont les plateformes de services documentaires ou de veille documentaire, plateformes sociales comme Facebook ou Instagram, intranets, portails documentaires des bibliothèques et des universités, bibliothèques numériques, archivage numérique, médias sociaux, etc. D’autres technologies utilisées dans divers domaines (industrie, commerce, etc.) pourraient également contribuer à la transformation des bibliothèques : le blockchain intéressant pour les transactions entre bibliothèques, entre bibliothèques et usagers (mais dont la mémoire est sans doute incompatible avec la réglementation de la protection des données personnelles), la réalité augmentée, la robotique, l’IA qui promet un sérieux changement dans l’organisation du travail en bibliothèque.
Dans cet environnement numérique, l’intérêt des réseaux sociaux est rappelé. Ils ont pris une place importante à ne pas sous-estimer ni négliger et ouvrent une visibilité certaine aux bibliothèques tout en permettant un dialogue avec leurs utilisateurs que ce soit sous forme de messages ciblés, d’informations documentaires ou culturelles.
Les nouvelles possibilités de traitement de l’information, les publications en accès libre – l’Open Access – permettent d’en faciliter l’accès et de consolider le droit à cet accès.
Véritable défi pour les bibliothèques dont les équipes n’imaginaient pas de devoir y recourir, le développement des techniques de marketing devient lui aussi une réalité, voire une obligation. Jean-Philippe Accart présente les opportunités que le marketing peut offrir aux bibliothèques en s’inspirant des techniques développées par le monde commercial, orientées vers la satisfaction du « client », de l’utilisateur, donc dans notre domaine, par le lien qui peut être entretenu avec lui, le lien que les utilisateurs pourront créer entre eux et les enrichissements que ces interactions et contributions vont apporter au fonctionnement des bibliothèques.
Mettre l’utilisateur au cœur du développement de la bibliothèque en utilisant tout le potentiel offert par le numérique est l’un des grands enjeux. Enquêtes de satisfaction, formation à l’utilisation des outils informatiques, aide personnalisée dans les recherches, réorganisation des collections pour une consultation simplifiée, propositions de lectures, etc., sont autant de pistes proposées dans le cadre d’une médiation constructive qui peut s’inscrire dans bien des domaines, du social au culturel, du numérique au pédagogique.
L’identité numérique de la bibliothèque est une autre technique venue du secteur commercial. Sa présence sur l’Internet et les réseaux sociaux va marquer la spécificité de ses services et la personnaliser. Une stratégie de concurrence, faut-il le dire, qui sera confortée par la création d’une marque.
Les stratégies de transformation des bibliothèques est un ouvrage très dense, qui s’attache à tous les aspects de la gestion et multiplie les informations sur les actions à mener dans les nombreux domaines qui font la vie d’une bibliothèque. Jean-Philippe Accart y décline les trois grands axes qu’il propose dans cette optique de transformation : le management, le numérique et les technologies, le marketing. Une table des matières très détaillée et un index en facilitent la consultation et une bibliographie sélective le complète. Elle permettra d’approfondir tel ou tel domaine de réflexion ou d’avancer plus avant sur les pistes proposées.