Les politiques publiques du livre

Jérôme Demolin

Collectif
Les politiques publiques du livre
La Plaine Saint-Denis, Double ponctuation ; Alliance des éditeurs indépendants, juin 2019
Dossier de la revue Bibliodiversity, les mutations du livre et de l’édition
ISSN 2650-0205

Ce numéro de la revue Bibliodiversity, les mutations du livre et de l’édition s’intéresse à la question particulièrement politique des interventions publiques dans le secteur du livre dans le monde.

Il présente de nombreuses études de cas portant sur des entités nationales et organisationnelles hétérogènes (France, Suisse, Russie, Maroc, Tunisie, Liban, Syrie, Québec, Argentine), ainsi que deux analyses régionales englobant 12 pays d’Afrique subsaharienne francophone et Madagascar pour l’une, et 10 pays d’Amérique latine hispanophone pour l’autre.

Composé en majeure partie d’articles universitaires validés par des pairs et également de témoignages de professionnels locaux (probablement en fonction du degré de perméabilité et de faisabilité scientifique de chaque terrain d’étude), l’ouvrage détaille « les objectifs, les niveaux, les facteurs de développement » (ou d’amélioration), ainsi que les grandes caractéristiques d’une intervention publique dans le secteur du livre. Il dresse un panorama riche et nuancé des relations, souvent complexes, empreintes de coopération, de dépendance, de soumission, de conflictualité plus ou moins directe et feutrée, qu’entretiennent les pouvoirs publics avec le monde du livre et de l’édition.

Pouvant être appréhendé comme une grande étude comparée sur la façon dont les pouvoirs publics internationaux viennent influencer le secteur du livre, que ce soit par la norme, les financements, ou la simple volonté politique, l’ouvrage donne un éclairage passionnant sur la variété des modes d’action dont ces derniers usent en fonction de leur régime de gouvernance, de leur organisation interne et de la relation qu’ils entretiennent avec l’idée de liberté et/ou de diversité (éditoriale).

« Contrôler, protéger, éduquer les populations » sont les principales modalités d’intervention des pouvoirs publics sur le secteur du livre. Elles sont déclinées de bien des manières en fonction d’un certain rapport, soit conservateur, soit progressiste à la population, d’une certaine vision de la tradition et de l’émancipation. À cela s’ajoutent les facteurs fondamentaux de la centralisation ou de la décentralisation des systèmes étatiques, qui jouent à plein sur les potentialités de foisonnement éditorial des territoires ; qui conditionnent à la fois le nombre d’acteurs du livre, leur autonomie et leur fertilité.

Hormis les lieux où règne la censure absolue, où le contrôle et la menace sont les maîtres mots de la relation entre les pouvoirs « publics » et le secteur du livre, l’ouvrage nous enseigne autant à questionner notre propre référentiel français et/ou européen, qui par bien des aspects est contraint, qu’à réévaluer nos jugements sur d’autres pays ou modes de gouvernance dans le monde. Il permet au lecteur de mieux percevoir comment, là où les marges de manœuvre des éditeurs apparaissent restreintes, ces derniers parviennent néanmoins, par des arrangements, par la négociation, parfois par la coopération avec le pouvoir en place, à conquérir des espaces de liberté et de diversité.

Au final, la bibliodiversité dont il est ici question ne se trouve pas forcément là où on l’attend ; elle germe quelque part entre la contrainte extrême et l’apparence d’une douce liberté, qui surprotège ou éduque avec bienveillance.