Le merchandising en bibliothèque
Le merchandising en bibliothèque, volume 1, Le design des bibliothèques publiques
Klog Éditions, 2022
ISBN 979-10-92272-40-6
Conservateur des bibliothèques durant dix ans, Nicolas Beudon a été notamment à l’origine de la création de la médiathèque Les 7 lieux à Bayeux. Inspiré par son expérience professionnelle, il fonde un cabinet de consultant indépendant en 2020.
L’ouvrage paru aux éditions Klog en janvier 2022 se propose d’appréhender sous la forme de 50 fiches pratiques la notion de merchandising appliquée aux bibliothèques à l’instar d’expériences menées aux Pays-Bas et au Colorado (États-Unis).
Le propos du livre consiste à inviter le lecteur (bibliothécaire) à intégrer des notions issues de l’univers marchand et les concepts de valorisation et de médiation pour repenser les espaces de la bibliothèque afin de rendre ceux-ci plus accessibles et compréhensibles par les usagers.
L’ouvrage est en lui-même un objet marketing, très clair, très coloré et très lisible, agréable à appréhender malgré son grand format. Exprimant les notions abordées de manière simple, il est également abondamment illustré par des schémas et des photographies d’équipements récents. Découpé en cinq grands chapitres (Grands principes du merchandising, Valorisation des collections, Information et communication, Aménagement intérieur et Retours d’expérience), il invite le lecteur à entrer pas à pas dans l’univers du merchandising afin de le rendre accessible et d’en permettre un usage facile, sans avoir besoin de maîtriser l’intégralité des concepts théoriques du marketing.
L’ouvrage se veut également un outil pratique susceptible d’être exploité soit intégralement et en continu, soit de manière partielle et étalée dans le temps. L’auteur propose de lui-même quatre parcours thématiques en dix fiches pratiques pour les bibliothécaires pressés souhaitant aller à l’essentiel en fonction des souhaits, attentes, et besoins.
Répondre aux besoins immédiats des usagers
Derrière cette approche, le livre formalise un certain nombre de concepts et de notions déjà très familières à celles et ceux qui s’intéressent aux notions de troisième lieu en lecture publique et de Learning Center en milieu universitaire : expérience utilisateur (ou UX Design), notions d’espaces et de services différenciés (espaces silencieux ou bruyants), mais également notion de renouvellement des espaces et des services (comme dans les magasins) ou encore concept de la longue traîne sont ici convoqués en appui du propos.
Cette approche répond principalement à l’utilisation des bibliothèques par les usagers/utilisateurs dans une optique consumériste et de loisirs même si, contrairement aux clients des magasins, il n’y a pas ici de transaction financière. L’usager ne vient pas en bibliothèque pour acheter un document ou un service mais il vient en faire usage et s’approprier tout ou partie de l’offre répondant à son besoin immédiat, qui peut varier en fonction de son âge et de son statut mais également en fonction du jour de la semaine ou du mois, voire du moment de la journée. Il souhaite y trouver un univers accueillant, confortable, où il peut pratiquer de multiples activités, être guidé et accompagné quand il le souhaite. La consultation et l’emprunt de documents ou encore le travail sur place en silence deviennent des activités possibles parmi d’autres.
Dès lors, en rupture avec la vision de la bibliothèque comme temple du savoir destiné à une élite familière des concepts de la recherche documentaire, de la classification Dewey et de l’organisation traditionnelle d’une bibliothèque touffue, le bibliothécaire est invité à faciliter la vie de l’usager en mettant documents, services et personnels « sur sa route » et en faisant en sorte de satisfaire les besoins immédiats d’un public de plus en plus sollicité, goûtant peu d’attendre ou de risquer de se perdre dans un univers non maîtrisé et jugé comme trop complexe à appréhender.
Pour paraphraser une réplique d’un célèbre film, on pourrait résumer ainsi cette vision des choses : « Si tu ne viens pas à la bibliothèque, la bibliothèque viendra à toi ! » 1
Référence à la réplique « Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi » dans le film Le Bossu en 1959 et en 1997.
Ces concepts sont susceptibles de s’appliquer dans l’univers physique comme dans l’univers numérique de la bibliothèque, même si l’ouvrage attire surtout l’attention du lecteur sur le monde réel (par opposition au monde virtuel).
Une première approche à approfondir par d’autres lectures
Si le document est séduisant, il répondra surtout aux besoins de bibliothécaires souhaitant appréhender ces notions dans le cadre d’une première approche. La volonté d’aborder autant de thématiques et d’embrasser l’ensemble des concepts en un volume est ambitieuse mais ne permet d’approfondir aucune des questions abordées. Pour pouvoir les mettre réellement en œuvre, il sera nécessaire d’avoir recours à bien d’autres documents.
L’ouvrage s’adresse par ailleurs plutôt à des responsables de bibliothèque et/ou à des cadres en capacité d’agir et de mettre en œuvre. Il n’aborde pas la question de l’appropriation collective par les équipes des concepts abordés et ne permet pas non plus de s’interroger sur les limites et questionnements susceptibles d’être générés par cette approche.
Jusqu’où les bibliothèques peuvent-elles s’ancrer dans cette vision du monde ? Que devient l’approche universaliste de la bibliothèque ainsi que celle de la rigueur nécessaire à l’acquisition des savoirs et connaissances fondamentales ? 2
Selon l’écrivain Philippe Sollers, « La fantaisie et la liberté d'imagination ne s'acquièrent pas comme ça, qu'il y faut du temps, de l'obstination, de la sévérité, de la rigueur, des mathématiques, de la raison. »
Les bibliothèques doivent-elles devenir uniquement des lieux de la culture entertainment et/ou de la culture consommable, ou doivent-elles rester des lieux de diffusion du savoir et de la connaissance appréhendant et intégrant les notions du marketing afin d’être en mesure de mieux répondre aux enjeux du service public qu’elles représentent ?
Ce n’est certes pas là le propos du livre, mais ces questions mériteraient d’être posées clairement dans la réflexion théorique et politique sur les bibliothèques, au risque, un jour, de perdre cette essentialité.