La fabuleuse histoire du faux papyrus d’Artémidore
Suivi de L’art et le faux par Olivier Cena
Luciano Canfora
ISBN 979-10-92011-09-8 : 23 €
Dans ce petit livre érudit qui se lit comme un roman policier, et rédigé directement en français, Luciano Canfora, professeur de philologie à l’université de Bari et savant mondialement connu, démonte une escroquerie scientifique récente. En 1998, un article de la très sérieuse revue Archiv für Papyrusforschung faisait état de la découverte d’un papyrus de la fin de l’époque hellénistique d’une géographie d’Artémidore d’Éphèse (IIe siècle avant Jésus-Christ) concernant principalement l’Espagne. Le recto du document porte cinq colonnes de texte, et des esquisses dont celle d’une carte. Le verso porte une quarantaine de figures animales et leurs légendes en grec, mais d’une autre main. Immédiatement dénoncé comme un faux par certains spécialistes, il est présenté comme authentique par d’autres qui en ont publié une édition scientifique à Milan en 2008. Comme toujours en ce genre de cas, les origines du document ne sont pas traçables. Il serait arrivé en Allemagne à la fin du XIXe siècle… ou vers 1950, et serait passé par différentes mains non identifiées. Il aurait appartenu depuis 1971 à un collectionneur (Serop Simonian) qui l’aurait vainement proposé en 1993 à une fondation italienne pour 500 000 euros. Il a été acheté en juillet 2004 par la Fondazione per l’Arte della Compagnia di San Paolo pour 2 750 000 euros. Il a été présenté au public du 8 février au 7 mars 2006 dans le cadre des Jeux olympiques d’hiver de Turin, puis à nouveau exposé en 2008. Refusé par le Musée égyptien de Turin en octobre 2009, il est aujourd’hui conservé dans un centre de recherche. À une époque ancienne, il aurait été utilisé dans la confection d’un masque mortuaire. En mars 2008, a été présentée à Berlin une photo d’un objet ressemblant à un morceau d’étoffe replié sur lui-même qui serait censé avoir contenu le papyrus. En 2009, une expertise de police scientifique a démontré qu’il s’agissait d’un photomontage… En un mot, l’affaire est passablement complexe. Luciano Canfora donne dans ce petit livre la synthèse des différents articles et publications qu’il a consacrés à ce cas. Il y ajoute une édition critique et une traduction du Papyrus d’Artémidore. Sa démonstration philologique relève les anachronismes (grammaire, langue…) et les emprunts qui caractérisent le document, et en prouvent la fausseté. Il met en lumière un montage textuel recourant à diverses sources d’époques différentes : « [...] un fragment d’Artémidore-Marcien transmis par Constantin Porphyrogénète, cinq lignes de Marcien sur la structure des Pyrénées, une phrase de Ptolémée (contenant une erreur relative au Promontoire d’Oiasso), une page de Strabon sur les dimensions de l’Espagne [...] » (p. 157). Il a également détecté des emprunts à plusieurs ouvrages du XIXe siècle : un Manuel d’iconographie chrétienne, grecque et latine (Paris, 1845), un manuel de géographie destiné au lectorat grec et imprimé à Vienne en 1804, une traduction française de l’ouvrage de Karl Ritter (1779–1859) intitulé Erdkunde et publié en 1817… Pour Luciano Canfora, le papyrus d’Artémidore est une fabrication d’un faussaire extrêmement célèbre, Constantin Simonidès (1824–1890). Il résulterait du montage récent de trois rouleaux différents fabriqués par Simonidès, et qui ont été dérobés à la fin des années 1970 au Musée de Liverpool. La démonstration est prolongée par une postface d’Olivier Cena, critique d’art à Télérama, sur les faussaires et le marché de l’art. On ne regrettera qu’une chose, c’est que jamais cette démonstration n’établisse de parallèle avec un autre scandale qui secoue les milieux des marchands, des collectionneurs et des bibliothécaires, et qui concerne un imprimé cette fois : le faux Sidereus Nuncius de Galilée (1610). Au moment où paraissait l’ouvrage de Canfora, Horst Bredekamp et Paul Needham, après avoir publié en 2011 deux volumes démontrant l’authenticité d’un prétendu exemplaire d’épreuves du Sidereus Nuncius aquarellé et signé par Galilée, faisaient paraître un troisième volume 1… en dénonçant cette fois la fausseté. Dans les deux cas, on retrouve les mêmes caractéristiques, en particulier les anachronismes, et l’impossibilité de tracer le passé de l’objet… De quoi inciter bibliothécaires, chercheurs et collectionneurs à la modestie et à la réflexion.