La culture manga

Origines et influences de la bande dessinée japonaise

Maël Rannou

Bounthavy Suvilay
La culture manga : origines et influences de la bande dessinée japonaise
Presses universitaires Blaise Pascal, 2021
Collection « L’Opportune »
ISBN 978-2-84516-956-2

La collection « L’Opportune » des Presses universitaires Blaise Pascal, qui consacre chaque volume à une étude courte à un sujet de société contemporain 1

, commence à avoir une bibliographie fournie et particulièrement intéressante. La formule est toujours la même : un chercheur, 64 pages, 4,50 €, de quoi se laisser aller à découvrir des sujets aussi divers que les prisons, la littérature young adult, la néo-ruralité, les fans, etc. L’un des premiers opuscules était consacré à La bande dessinée contemporaine (Nicolas Labarre, 2018), très intéressant malgré quelques coquilles. Il est désormais accompagné d’un titre sur la « culture manga », rédigé par Bounthavy Suvilay. Cette doctoresse en lettres modernes, longtemps active dans le champ du jeu vidéo, a une actualité chargée, avec pas moins de quatre titres publiés en 2021, dont Dragon Ball, une histoire française, adaptation de sa thèse aux Presses universitaires de Liège. Étant donné sa force productive, il serait facile d’imaginer qu’écrire ce petit livre n’a pas dû lui prendre trop de temps. La masse de données présentées et la construction au cordeau vont plutôt dans le sens inverse, tant la synthèse est un art difficile. Pour ne rien arranger, Bounthavy Suvilay ne s’est pas limitée au manga, qui désigne généralement en France la bande dessinée japonaise, mais tient bien la promesse de son titre : c’est d’une culture globale qu’il s’agit. Une culture importée, globalisée et parfois réinterprétée.

Un regard renouvelé sur l’histoire du manga

Trois parties composent l’ensemble. La première est logiquement historique, brassant l’histoire du manga au Japon. Une histoire déjà racontée dans plusieurs livres, mais ici réduite aux informations les plus essentielles, tout en réussissant à égrener quelques nouveautés et à casser certains clichés. Débutant par les anciens livres de dessins que révolutionnera Hokusaï et déjà nommés « mangas », l'autrice arrive rapidement aux évolutions d’après-guerre, marquées par l'apport d'Osamu Tezuka. Elle détaille ensuite le développement des revues, marqué par les fameux classements de popularité des séries, et la naissance des « grands genres » qui ont longtemps structuré la vision du manga en France, comme le shonen, le gekiga ou le shojo… Elle en casse cependant l’habituelle réduction genrée faite ici pour en rappeler les origines d'abord éditoriales. De la même manière, on découvre avec intérêt les débats créés par le manga au Japon, accusés de sexisme ou de violence dès les années 1950, des débats que l’on retrouvera quarante ans plus tard dans l’Hexagone. Enfin, ce chapitre n’hésite pas à parler de « déclin » dans son titre, ce qui surprend le lecteur plus habitué à voir ce terme à propos de la BD franco-belge qui serait menacée, justement, par le manga. Une appréciable remise en perspective rappelant que tout est toujours plus complexe que ce qui est connu en surface.

Les vies parallèles du manga

La seconde partie, titrant sur le « triomphe du feuilleton », s’intéresse de manière fouillée aux stratégies de publications et de fidélisations dans le manga mainstream, stratégies au fort impact sur le contenu. Elle s’attarde ainsi sur plusieurs points souvent relevés comme saillants dans le manga, tels la longueur de certaines séries, la place des studios ou la stylisation graphique, en développant une explication globale dépassant les caricatures. C’est aussi ce chapitre qui rentre dans la large « culture » du titre en évoquant les émanations matérielles des séries à succès : anime, jeux vidéo, figurines, cartes à jouer… Autant de « vies parallèles » qui ouvrent une passionnante existence transmédiatique, au-delà du simple support de publicité prolongeant des actions déjà présentées dans les mangas. On voit alors les différentes incarnations se nourrir et se répondre, une spécificité (même si elle a depuis en partie gagné les comics) qui joue fortement dans la capacité de réappropriation.

Le manga hors du Japon

La question de la réappropriation constitue en partie l’enjeu du troisième chapitre qui étudie le développement du manga hors-Japon. Cette réappropriation passe bien souvent d’abord par des formes dérivées, particulièrement en France, longtemps deuxième marché du manga. Si un rappel des cousins communs à l’anime et au manga (les fameux kamishibais bien connus des bibliothécaires jeunesse) est intéressant mais ne surprend pas, l’exploration du concept de « media-mix », où une confiserie Astro prend une part réelle dans l’écologie globale de l’œuvre, ouvre nettement le champ d’analyse. Cette multiplicité qui ne craint pas un certain dévoiement commercial joue certainement dans les réappropriations – plus ou moins officielles – depuis les albums à la franco-belge d’Albator dessinés par un studio français jusqu’à la série W.I.T.C.H., détenue par Walt Disney. Une évolution qui passe aussi par les nombreuses fanfictions, très vives en France dès les années 1990, et dont plusieurs acteurs sont aujourd’hui des auteurs installés du « global manga », hybridant les influences. On y retrouve des succès incontournables comme La rose écarlate de Patricia Lyfoung, toujours présent dans le top du baromètre des prêts et acquisitions en bibliothèque. Un autre signe de cette réappropriation, permettant d’inclure et de fidéliser fortement le lecteur, est sans doute le cosplay, importé en France par les conventions du type Japan Expo. S’il parle évidemment beaucoup de la France, ce chapitre n’oublie pas de mentionner le rapport aux mangas d’autres pays, la Corée, les États-Unis ou même l’Italie, rarement évoquée dans ce genre d’étude, ce qui renforce par l’approche comparative un exposé déjà solide.

La courte mais riche bibliographie est à l’image de cette approche large, entre histoire culturelle, étude des systèmes de la bande dessinée et sciences de l’information et de la communication. Une réussite à saluer, qui sera d’une exemplaire utilité aux médiateurs du livre peu à l’aise avec l’objet « manga », tout en étant riche d’enseignement pour les passionnés.