La bibliothèque, une approche politique adaptée au territoire
La bibliothèque, une approche politique adaptée au territoire
Territorial éditions, novembre 2021
Collection « Dossier d'experts ; DE 895A »
ISBN 978-2-8186-1868-4
Sociologue spécialisé dans l’étude de la lecture publique, Claude Poissenot est un enseignant-chercheur bien connu de la profession, à la formation de laquelle il contribue à l’IUT Charlemagne de Nancy (qu’il a un temps dirigé). Il a longtemps tenu le blog « Du côté des lecteurs » sur le site de Livres Hebdo (où il reste un des piliers du Grand prix des bibliothèques) ; il est intervenu dans de multiples journées d’étude et a publié de nombreux livres et études dans des formats variés, au Cercle de la Librairie comme à l’Enssib. Son antienne est que les bibliothécaires, pour le dire vite, sont par nature – id est pour la majorité d’entre elles·eux – trop autocentré·es et trop concentré·es sur leurs activités et pratiques techniques alors qu’elles·ils devraient définir leurs projets en fonction des publics.
Pour cet ouvrage, La bibliothèque, une approche politique adaptée au territoire, l’universitaire s’est entouré de bibliothécaires confirmées, actives au sein de l’Association des bibliothécaires de France (ABF) : Amandine Jacquet, formatrice experte des bibliothèques « troisième lieu » et Nathalie Étienne, qui lui furent déjà associées pour diriger le dossier « 100 idées pour changer ta bib » dans le numéro 100-101 de la revue Bibliothèque(s) publiée par l’ABF en avril 2020, ainsi que Charlotte Henard, élue bibliothécaire francophone de l’année 2020, coordinatrice de la 13e et dernière édition parue du Métier de bibliothécaire au Cercle de la Librairie (2019). La·le lecteur·rice a par avance la garantie d’un contenu de qualité, bien informé.
Ce titre présente a priori plusieurs intérêts dont le premier est d’être publié chez Territorial éditions dans la prolifique collection « Dossier d’experts » qui s’adresse aussi bien aux élu·es qu’aux professionnel·les, avec des ouvrages le plus souvent (et peut-être paradoxalement) plutôt techniques. Cette collection propose des ouvrages d’un coût élevé, ici 75 euros, destinés à l’acquisition par les collectivités et non à titre particulier. La notion de territoire est au centre de cet opus consacré aux bibliothèques, mais pas sous la forme d’un cours de droit public ou de management pour cadres des différentes collectivités territoriales. Elle est ici soumise au regard du sociologue et aurait pu justifier le sous-titre, nonobstant la longueur supplémentaire : une approche politique adaptée au territoire « et à ses habitants », comme le conclut la première partie.
La bibliothèque au prisme des enjeux contemporains
L’ouvrage est en effet organisé en deux parties : en 80 pages, la première, intitulée « La bibliothèque au prisme des enjeux contemporains », fait le point sur les principales évolutions socioculturelles de nos sociétés contemporaines. La deuxième, plus importante (230 pages) puisque c’est l’objet même du livre, s’attache à décliner les différentes valeurs portées par les politiques territoriales pour indiquer comment les traduire en actions.
La partie une est structurée en quatre chapitres consacrés :
- à l’importance grandissante de l’individu ;
- au renouvellement des modalités du collectif ;
- à l’analyse des usages – par catégorie socioprofessionnelle et selon les milieux d’habitat ;
- au livre en regard de la mutation culturelle numérique.
L’intérêt de cette partie, qui représente aussi un des intérêts de l’ouvrage lui-même, réside dans le fait qu’au-delà même de la pertinence réelle des axes d’évolution retenus et exposés, on y trouve pour chaque thème des encadrés qui synthétisent les exemples d’actions concrètes qu’il est possible de mener face à tel ou tel changement. Par exemple, la thématique sociologique de la « société fragmentée » comprend un encadré sur la manière de construire un lien avec la population en identifiant les cultures présentes sur le territoire desservi et en les intégrant aussi bien dans les acquisitions, les actions cultuelles que les services. Il y a ainsi une articulation forte avec la deuxième partie, en évitant une séparation trop marquée entre une partie théorique et générale et une autre plus appliquée. Cela permet d’éviter de laisser le lecteur faire le lien entre les deux, d’autant que les encadrés renvoient aux pages de la deuxième partie qui développe le thème concerné, on peut donc immédiatement s’y reporter.
Une boîte à idées en 13 thématiques
La seconde partie s’apparente à une « boîte à idées ». Ces idées sont regroupées en 13 thématiques retenues comme des « priorités », représentant 13 axes possibles de politiques publiques. Elle offre un éventail d’initiatives très diversifiées, une collecte mariant de tout petits établissements (beaucoup) et projets de grandes structures, y compris à l’étranger. Les 13 chapitres sont organisés de façon identique : ils comprennent tous quatre sous-chapitres qui permettent :
1. de définir les termes utilisés (« attractivité », « inclusion versus intégration », « démocratisation », « droit culturel », etc.) ;
2. de rappeler brièvement les cadres sociaux, culturels ou législatifs (les lois portant sur les obligations légales relatives au handicap, les enjeux de la démocratisation culturelle) ;
3. de montrer sous quelle forme la bibliothèque est directement concernée (par exemple par le développement économique local en proposant des services favorisant l’employabilité locale) ;
4. et enfin, très concrètement et sur la base d’exemples réels, quelles actions mener (développer l’attractivité économique en construisant un bâtiment mutualisé, prévoir dans les bibliothèques en charge d’une desserte des espaces de stockage adaptés aux mouvements des stocks…). Les exemples sont assez souvent illustrés de photos en noir et blanc, ce qui vient certes aérer un texte parfois un peu dense, mais aussi renforcer favorablement l’aspect concret des exemples proposés. Enfin, également intéressant, tous les chapitres de cette deuxième partie sauf le premier se terminent par un « profil » de bibliothécaire « adapté » à la thématique traitée.
Globalement, l’ouvrage se présente de manière originale, y compris au regard d’autres ouvrages parus dans la collection, ceux-ci s’apparentant plutôt à des manuels élémentaires qui permettent des échanges informés entre élu·es et professionnel·les. Mais sa grande singularité tient au préambule de la deuxième partie : un test qui, en 22 questions, propose d’identifier quatre profils (culture, économie, qualité de vie, social) supposés « permettre une orientation ludique » à travers les 13 axes susdits, dont la présentation repose sur la formule popularisée par Mendès-France : « Gouverner, c’est choisir. »
Cette singularité provoque cependant, à nos yeux, une double parallaxe. D’une part, le test, assez proche par sa forme des tests psychologiques que l’on peut trouver dans la presse, ne permet pas de définir le territoire mais les représentations que se font du rôle de la bibliothèque élu·es et professionnel·les (les deux parties sont invitées à faire ce test parallèlement). Certes, se connaître l’un·e l’autre permet de mieux se comprendre entre acteur·rices et d’éviter que de supposés « allant de soi » ne masquent des différences conceptuelles importantes qui pourraient se révéler au moment des choix majeurs. Mais connaître les convictions de l’autre ne signifie pas analyser le territoire. D’autre part, si le choix univoque d’un axe permet de montrer que de petites bibliothèques peuvent structurer leur action sur un projet fort, et parfois même « décoiffant », en effet adapté à leur territoire, on reste plus dubitatif sur le maniement de cet ouvrage dans des collectivités plus importantes, qui doivent et favoriser l’inclusion, et permettre l’effervescence culturelle, et l’étude au calme, et s’intéresser aux enjeux environnementaux, et s’adapter aux iniquités territoriales, etc.
Le reflet d’une profession en constant renouvellement
On peut en outre regretter l’absence d’index spécifique des exemples retenus : il semble en effet plus facile de se souvenir d’une expérience jugée intéressante dans telle commune, par exemple la garde de jeunes enfants à la médiathèque Alpha d’Angoulême, que du chapitre intitulé « aller plus loin dans les services » dans laquelle on la trouve.
Peut-être objectera-t-on que ce livre n’est pas un manuel, justement ; effectivement, il n’est pas exclusif du volume 46 de la collection « La Boîte à outils », Concevoir et faire vivre un projet d’établissement en bibliothèque, dirigé aux Presses de l’Enssib par Odile Grandet et Anne Morel, car c’est par le projet que l’on peut marier des contraintes parfois antagonistes.
Au final, le fourmillement d’initiatives montre l’inventivité d’une profession en constant renouvellement, et ce livre en fournit un catalogue appétissant. Puisque son propos semble concerner plutôt de petits établissements, il faut souhaiter que les bibliothèques départementales puissent aider à sa diffusion par des acquisitions assorties de conseils méthodologiques.