Éditorialisation et autorité : dispositifs info-communicationnels numériques

Ce livre porte sur la fabrication des savoirs, en particulier dans le contexte du Web, ainsi que sur les transformations de l’autorité du point de vue des sciences de l’information et de la communication. Évelyne Broudoux propose ici une synthèse issue de son habilitation à diriger des recherches.

Dans la première partie, É. Broudoux revient sur des fondamentaux : document, information, données. Elle fait une rapide « historiographie conceptuelle » de ces termes et présente quelques-uns de leurs développements récents.

Le premier chapitre est consacré au document, suivant une perspective historique. Après un rappel étymologique, É. Broudoux évoque d’abord les définitions séminales de Paul Otlet et Suzanne Briet. Puis elle revient sur le tournant des sciences de l’information à partir de la seconde moitié du XX^e siècle. Enfin, elle relate les travaux sur le document numérique qui furent réalisés au sein du réseau RTP-DOC (documents et contenu : création, indexation, navigation), dont elle faisait partie.

Le deuxième chapitre porte sur les notions d’information et de donnée. Après en avoir rappelé l’étymologie, É. Broudoux présente les deux grandes conceptions – mathématique et sémiotique – qui ont émergé à propos de ces notions durant le XX^e siècle. Elle décrit notamment les apports théoriques majeurs de Luciano Floridi et Marcia Bates. Elle évoque pour finir quelques évolutions récentes ayant trait à l’ingénierie des données, avec l’importance prise par les métadonnées et l’émergence des données liées.

Le troisième chapitre présente deux grands aspects de l’information-documentation. Les premières pages sont consacrées à la modélisation, abordée successivement sous l’angle de l’architecture de l’information puis du design d’information. Les pages suivantes sont consacrées à la médiation, à travers la logique de la recommandation et la notion de littératie.

Dans la deuxième partie, É. Broudoux s’intéresse aux évolutions de l’autorialité, des industries culturelles et de la fonction éditoriale dans les vingt-cinq dernières années.

Le quatrième chapitre s’ouvre sur le concept d’autoritativité, élaboré par É. Broudoux dans sa thèse en 2003. L’autoritativité est décrite comme émergeant à partir d’un ensemble : l’acte de création par opposition à la simple reproduction ; le positionnement contre ou en dehors des institutions ; l’appropriation de l’informatique et surtout du Web comme médium nouveau. Ce concept d’autoritativité permet à É. Broudoux d’éclairer certaines dimensions de l’autorialité, liées à l’identité, l’ethos, les publics (notamment amateurs).

Le cinquième chapitre revient sur les transformations vécues par les industries culturelles durant l’essor du Web. É. Broudoux résume les travaux essentiels sur trois aspects de ces industries : les modèles suivant lesquels elles se structurent ; les acteurs qui les constituent ; les genres qu’elles font émerger.

Le sixième chapitre porte sur la fonction éditoriale. É. Broudoux résume les évolutions des outils et des pratiques en matière d’ingénierie documentaire et de techniques d’écriture. Surtout, elle évoque l’affaiblissement progressif de la figure de l’éditeur, voire sa disparition dans certains modèles : la fonction éditoriale se dissout dans le « processus d’éditorialisation ». La dernière section de ce chapitre est consacrée à Wikipédia, qui illustre le modèle de la « publication distribuée ».

Dans la troisième partie, É. Broudoux resserre la focale sur un terrain, l’information scientifique, et un concept, l’autorité.

Le septième chapitre revient sur l’émergence d’un écosystème de l’information scientifique, qui émerge au confluent de plusieurs courants : l’essor des humanités numériques ; de nouvelles pratiques de lecture et d’écriture érudite, où l’annotation occupe une place importante ; le développement d’outils tels que le balisage sémantique et les bibliothèques numériques.

Le huitième chapitre est entièrement consacré à la notion d’autorité. É. Broudoux fait une synthèse de la littérature suivant plusieurs angles : les approches philosophiques, politiques et historiques de l’autorité ; la conception relationnaliste de l’autorité ; l’autorité liée aux connaissances ; l’utilisation de la notion d’autorité en sciences de l’information et de la communication (SIC). Elle propose également un modèle d’évaluation de l’autorité dans les dispositifs info-communicationnels, qu’elle a élaboré au fil de plusieurs publications antérieures à ce livre.

Le neuvième chapitre problématise l’information scientifique sous l’angle de l’autorité. É. Broudoux rappelle d’abord en quoi la publication scientifique a pu être décrite comme un processus social. Puis elle présente l’état des réflexions sur l’information scientifique et l’autorité suivant deux axes : d’abord l’évaluation de la recherche et les indicateurs (notamment bibliométriques) ; ensuite l’automatisation, avec l’évocation de l’intelligence artificielle, de la blockchain, des robots et des algorithmes.

À la lecture de la première partie, on se prend à regretter qu’il n’existe pas en français de manuel d’information-documentation équivalent à Introduction to information science de David Bawden et Lyn Robinson (dont la deuxième édition a été publiée par Facet Publishing en 2022). Conjuguée à la disponibilité limitée de certains textes précurseurs ou fondateurs des SIC (ceux de Suzanne Briet mais aussi de Jean Meyriat ou Robert Estivals), l’absence d’un manuel de référence impose aux auteurs et aux lecteurs d’aborder les fondamentaux de manière systématique, sous une forme nécessairement trop brève, avec d’inévitables approximations. Le lecteur averti s’intéressera donc surtout à la deuxième et à la troisième partie de l’ouvrage d’Évelyne Broudoux, un état de l’art foisonnant, rédigé dans un style clair et concis, qui permet de découvrir de nombreux travaux récents sur l’édition et l’autorité en information-documentation.