Better Library and Learning Space

par Cécile Touitou
Edited by Les Watson
Facet Publishing, 2013, 304 p.
ISBN : 978-1-85604-763-0 : 49,95 £

Espaces en bibliothèque : rebattons les cartes

Cet ouvrage collectif qui réunit les contributions de 25 auteurs  1 est réjouissant à plus d’un titre pour un lecteur français. Comment penser les bibliothèques du XXIe siècle, et particulièrement les bibliothèques d’étude et de recherche, celles qui ont vocation à offrir des lieux d’étude à leurs usagers ? Loin des modes et de la ritournelle entêtante qui a cours de ce côté-ci de la Manche sur la bibliothèque troisième lieu, les auteurs, majoritairement britanniques, mais aussi australiens, américains, belges et néerlandais, soufflent un air frais entre les murs de nos espaces d’étude… en réintroduisant la collection au cœur de la bibliothèque !

L’ouvrage est composé de trois grandes parties : la première, consacrée aux « projets et tendances », présente de nombreux exemples de réalisations exemplaires (constructions ou rénovations). À une époque où l’apprentissage est en plein bouleversement, il est crucial de comprendre ces mutations afin d’offrir des lieux qui s’adaptent, permettent et suscitent ces nouvelles pratiques. La deuxième partie propose une approche plus théorique des points évoqués précédemment, on y parle de « tendances et d’idées » : quel rôle joue la technologie ? Comment agencer les espaces ? Comment anticiper les usages de demain en la matière ? Enfin, une dernière partie plus prospective s’attarde sur « les idées et les futurs ».

The « wow factor »

Les auteurs insistent sur les éléments qui font qu’un espace est sujet d’admiration (« wow factor ») et que les usagers à qui il est destiné se l’approprient immédiatement. La façon dont les espaces sont agencés (leur ambiance sonore, lumineuse, thermique, les couleurs et matériaux choisis, la circulation possible, les éléments de mobilier et de décor) permet et induit (ou non) des usages variés. Les auteurs recommandent d’être suffisamment explicite en proposant une panoplie d’espaces différenciés à l’offre explicite.

Pour ce qui est des espaces d’étude, la première étape pour le professionnel sera de bien comprendre ce qu’apprendre ou étudier signifie aujourd’hui. Quels rapports au savoir développent les apprenants en ce début de XXIe siècle ? Les contributeurs précisent que désormais l’apprenant est dans une relation dynamique avec le savoir qu’il étudie, pouvant lui-même être co-créateur de contenus, seul ou avec les autres avec lesquels il interagit. Comprenant cela, la bibliothèque « invitante » doit mettre en scène ces processus d’apprentissage. Selon eux, une bibliothèque où l’on voit les autres travailler, lire ou discuter induit une pratique vertueuse suscitant l’imitation et l’échange.

Suivant l’adage selon lequel « Aucun d’entre nous n’est plus intelligent que l’ensemble d’entre nous » (François Taddéi) 2, la bibliothèque doit donc proposer des espaces qui donnent à voir les usagers en train d’apprendre, mais qui permettent également des interactions et qui, finalement, favorisent l’émulation. Dans ce contexte, on comprend que la collection reprend toute sa place. Le seul changement par rapport au passé est que la collection n’est plus constituée des seuls livres mais devient un concept plus large qui recouvre également les usagers en tant que détenteurs d’un savoir actuel ou en devenir. Les ouvrages retrouvent leur place au cœur de ces espaces : ils peuvent être décoration, si ce n’est objets de lecture ; en tout cas, ils favorisent la méditation et l’inspiration créative. Un processus mystérieux mais bien connu permettrait ainsi au savoir déposé dans les livres d’infuser les lieux et de les rendre propices à l’étude…

Le défi pour ces espaces à concevoir est alors de rematérialiser les ressources numériques. Le danger, en effet, comme le soulignait Bertrand Calenge dans la récente journée d’étude proposée par la BPI  3, est que les bibliothèques de demain reposeront sur un océan de ressources invisibles qui auront pourtant absorbé la plus grande partie de leur budget d’acquisitions. On trouvera dans l’ouvrage quelques exemples de mobilier permettant la consultation de ces contenus numériques projetés sur des tables tactiles.

La technologie va-t-elle tuer la bibliothèque ?

La seconde partie de l’ouvrage insiste sur cette difficulté centrale pour les bibliothèques. Alors que certaines tutelles prétextent de la disponibilité de la plupart des ressources en ligne pour réduire les modalités de leur fonctionnement, voire pour les fermer, les bibliothèques revendiquent – car savent – le rôle indispensable de leurs espaces pour les étudiants et les apprenants. Le challenge est donc de concevoir une bibliothèque qui soit lieu d’une expérience positive que l’usager souhaitera renouveler, et qui marie accès aux ressources (physiques et virtuelles), partage des savoirs, et rencontres avec la communauté des usagers. Pour ce faire, des recommandations concrètes sont proposées. Au-delà d’une intégration complète et totale de la technologie dans les espaces, les lieux devront être versatiles et polymorphes, comme on dirait en anglais. La bibliothèque devient « salle polyvalente » mettant en scène toutes les postures de l’apprenant tantôt lisant seul, tantôt discutant autour d’un café, tantôt discutant avec ses pairs autour d’un tableau numérique présentant les résultats de ses travaux. Il faut donc permettre à l’ensemble des pratiques de pouvoir s’exprimer en proposant un circuit savant faisant varier les niveaux sonores tolérés, les pratiques (seul ou en groupe), les ambiances, les interactions. Les différents auteurs insistent tous sur l’aspect nécessairement « versatile » des mobiliers. Les tables, les chaises, les rayonnages mêmes pourront être sur roulettes pour pouvoir faire vivre les espaces en fonction des besoins. Il est même recommandé que les banques de prêts puissent – si nécessaire – se métamorphoser en place de travail. Cette adaptabilité des mobiliers implique nécessairement un changement de la place même du professionnel dans l’espace et donc un basculement de sa relation à l’usager. Quittant ces estrades (avez-vous connu les grandes salles de lecture de la bibliothèque Sainte-Geneviève ou la salle Labrouste dans lesquelles le bureau du conservateur était disposé sur une estrade qui le distinguait du commun des lecteurs ?), le professionnel partage le terrain de l’expérimentation avec les usagers en proposant cependant son expertise sur les collections.

La bibliothèque est le message

Autre remise en question de taille : la bibliothèque d’étude doit repenser sa place vis-à-vis des services de l’université. Elle ne peut plus être « â côté » mais doit se positionner au cœur du continuum des processus d’apprentissage formels et informels qui vont de la salle de classe à la vie quotidienne. Pour incarner ce rôle, la bibliothèque doit également pouvoir accueillir les enseignants et leurs élèves à des rencontres particulières autour des collections. Proposer des bureaux ou des espaces au sein de la bibliothèque pour ces rencontres est important pour lui permettre d’être intégrée véritablement au sein de la dynamique pédagogique.

La troisième partie de l’ouvrage est un vibrant plaidoyer pour la bibliothèque du XXIe siècle. David Baker résume ainsi les défis stratégiques qui se posent à la bibliothèque d’étude pour les années à venir en donnant pour chaque catégorie une liste de recommandations :

  • Maintenir un lien fort avec la recherche.
  • Fidéliser un grand nombre d’étudiants.
  • Développer des partenariats avec des entreprises et des organisations.
  • Proposer des plateformes d’apprentissage en ligne ainsi que des environnements virtuels d’apprentissage.
  • Proposer une archive ouverte pour les données institutionnelles de la recherche.
  • Développer une gestion de la relation à l’usager (au client).

Conclusion

L’ouvrage est d’une lecture facile. Chacun peut piocher un chapitre au hasard de ses centres d’intérêt : le travail fouillé de Les Watson, qui a coordonné l’ouvrage, permet de trouver tous les renvois nécessaires aux autres chapitres permettant d’approfondir telle ou telle notion. Une introduction ainsi qu’une conclusion à chacune des trois parties permettent de comprendre rapidement les articulations de l’ouvrage et d’identifier aisément les contributions qui pourront le plus apporter des réponses à nos questions.

L’ouvrage finalement marque bien en quoi l’époque est charnière, après l’âge de la collection est venue celui des publics… L’année 2014 serait-elle celle d’une nouvelle relation du bibliothécaire avec le public dans une relation triangulaire où la collection (vivante car résultant d’interactions multiples) retrouverait une place fondamentale aux côtés du fameux canapé violet qui n’est pas oublié !