Assessing Service Quality
Satisfying the expectations of library customers
Peter Hernon
Ellen Altman
Robert E. Dugan
ISBN 9781783300594 : 49,95 £
Quelle drôle de vilaine couverture pour un ouvrage qui a tout pour devenir votre livre de chevet ! D’un anglais vraiment facile et agréable à lire, la troisième édition de la bible Assessing Service Quality : Satisfaying the expectations of library customers est parue en 2015 chez Facet, éditeur incontournable pour tout bibliothécaire souhaitant mettre à jour ses connaissances ! L’ouvrage est présenté dans un grand format, agrémenté d’une cinquantaine de tableaux, graphiques ou schémas qui en facilitent la lecture en l’illustrant par de nombreux exemples concrets.
Les précédentes éditions de l’ouvrage datent de 1998 et 2010. Une nouvelle édition en 2015 montre à quel point la question de la qualité du service en bibliothèque est soumise à de grands bouleversements depuis quelques années. Les bibliothèques sont de plus en plus soumises aux mêmes règles de gestion et de management que le monde marchand avec lequel – qu’elles le veuillent ou non – elles se trouvent en concurrence et doivent – plus ou moins – adopter leurs règles de gestion.
Sur le plan des normes émises par le Comité technique international de l’ISO TC46/SC8 relatif à l’évaluation en bibliothèque, rappelons également que l’actualité a été très riche ces dernières années :
- NF/ISO 2789. Statistiques internationales de bibliothèques. 5e éd. : août 2013 (éd. française : mai 2014).
- NF/ISO 11620. Indicateurs de performance des bibliothèques. 3e éd. : mai 2014 (éd. française : avril 2015).
- ISO 16439. Methods end procedures for assessing the impact of libraries. 1re éd. : avril 2014
- Livre blanc : Qu’est-ce qui fait la valeur des bibliothèques ?, Afnor, février 2016.
On est passé de la mesure de l’activité et des intrants, à celle de l’impact… C’est un peu le propos du livre qui donne sens à cette évolution. C’est sur la méthodologie de l’évaluation de la qualité du service, les indicateurs à retenir, mais surtout sur la philosophie qui sous-tend cette démarche, que reviennent les trois auteurs de cet ouvrage, Peter Hernon, Ellen Altman et Robert E. Dugan.
En introduction, les auteurs insistent sur le bouleversement du paysage informationnel auquel sont confrontés les usagers (actuels ou potentiels) des bibliothèques. Il n’est plus possible de penser la bibliothèque sans tenir compte du contexte dans lequel elle s’inscrit nécessairement : offre de contenus gratuits en ligne, offre d’achat de ressources en ligne avec mise à disposition immédiate des contenus recherchés, etc. L’accès aux contenus change ; la façon de chercher, également, change.
C’est tout simplement en « consommateur » de services que les usagers vont se situer et vont déterminer s’ils ont – ou non – besoin des services de la bibliothèque. Les usagers sont la raison d’être de la bibliothèque (en doutez-vous encore ?). Il est donc important de les écouter, d’apprendre de leurs témoignages et de s’en nourrir pour améliorer les services et les mettre en perspective. L’ouvrage propose donc d’adopter une démarche réflexive sur les notions de qualité de services et de satisfaction des usagers, et présente différentes approches pour adopter une démarche orientée usager (« customer-centered approach ») aussi bien dans l’offre de services que, par rebond, dans son évaluation.
Il n’est plus possible de concevoir une offre de services sans avoir réfléchi à ses missions ; il n’est plus possible d’énoncer des missions sans avoir interrogé ses usagers sur leurs besoins et leurs attentes. Cette double interrogation devra se faire nécessairement en inscrivant la bibliothèque et son avenir dans le contexte d’un monde en mouvement où les solutions alternatives pour trouver de l’information et se nourrir de nouveaux contenus sont multiples. Quel est le rôle alors de la bibliothèque ? Aider les usagers à enrichir leur vie (« Libraries today seek to enrich peole’s live », rien que ça !), les aider à être mieux informés et à devenir des membres plus actifs de la société.
L’ouvrage revient au travers des six premiers chapitres sur la nécessité d’une réflexion préalable à toute évaluation. Le premier chapitre, « Understanding ends and means », souligne qu’il ne faut pas oublier la finalité de l’évaluation : ainsi, les objectifs de la gestion interne ne doivent pas contredire les besoins exprimés par les usagers ! Il convient de faire converger les mesures de la qualité de service avec celles de la satisfaction des usagers. La notion de qualité de service est multidimentionnelle, recouvrant à la fois le contenu (information, espaces, ressources…) et le contexte de mise à disposition de ce contenu (qualité des interfaces, confort des salles…). Les auteurs recommandent d’évaluer la qualité sur une échelle plus large encore, telle qu’elle sera définie par les usagers qui y auront recours et contribueront à forger la « marque bibliothèque ». Il faut arriver à une détermination collective de la qualité de service et de la satisfaction afin de co-construire la « réputation » de la bibliothèque dont les usagers les plus satisfaits seront les meilleurs ambassadeurs (ce que le marketing appelle « les promoteurs » ; l’ouvrage revient sur un indicateur intéressant, le Net Promoter Score, qui invite à distinguer les promoteurs, les détracteurs et les indifférents à l’offre de services). En bref, les auteurs insistent sur l’importance de bâtir avec les usagers une offre de services (et donc son évaluation) selon la valeur et l’intérêt qu’ils lui trouvent : une offre qui va de soi, simple et nécessaire, toujours remise en question ; et non pas une offre héritée d’un usage ancien, devenu obsolète, et dont la justification ne répond plus qu’à la nécessaire occupation d’une équipe trop nombreuse. Par exemple, à l’heure de l’autonomie des usagers et du modèle du libre-service, pourquoi certaines bibliothèques ont-elles encore un guichet pour le prêt retour ? Est-ce un service demandé par les usagers ? Leur facilite-t-il la vie ? Qu’est-ce qui est vraiment important pour l’usager ? C’est dans ce difficile et périlleux exercice qui met en regard le coût, les espaces, les effectifs et la qualité du service rendu que la bibliothèque peut imaginer son futur… L’ouvrage ne dit pas comment accompagner les équipes dans cette (r)évolution !
Dans les chapitres suivants (2 et 3), les auteurs évoquent le fait que de nombreuses bibliothèques vivent sur un statu quo : leurs missions sont définies depuis la nuit des temps, leur public connu… elles évaluent la croissance de leurs collections, le nombre d’emprunts et – au mieux – dorment sur leurs lauriers ! Cependant, chaque jour, nous disent-ils, est le premier jour pour de nombreux visiteurs. C’est à ces primo-visiteurs qu’il faut répondre, c’est à eux qu’il faut plaire et c’est eux qu’il faut convaincre de revenir ! La mission de la bibliothèque doit donc toujours être questionnée et remise sur le métier.
Cette mission doit être distinguée de la vision. La seconde donne une direction (où va-t-on ?) quand la première est opérationnelle et peut se décliner en objectifs (comment y va-t-on ?) comme dans l’exemple cité dans l’ouvrage de la bibliothèque de Charlotte Mecklenburg 1.
Après ces précisions qui peuvent sembler des évidences mais qu’il est salutaire de répéter (et d’appliquer), on lira avec attention le chapitre 4, « Measuring and evaluating the components of high-quality service », qui évoque en détail l’objectif de l’évaluation de la qualité du service… Les auteurs recommandent de n’évaluer que ce qui est nécessaire et de décliner cet exercice selon ce qui construit la valeur de la bibliothèque (ou la qualité de son service) pour les différentes parties prenantes : les usagers, les financeurs, le personnel, les partenaires, etc. C’est en fonction des besoins et des intérêts de ces différents acteurs que l’on peut construire la feuille de route de la bibliothèque (ses missions, ses objectifs) et se fixer des indicateurs de mesures. Les auteurs identifient les secteurs qu’il conviendra d’observer (les ressources, les espaces, le personnel, l’usage, l’impact, etc.) par le prisme de onze questions (combien, combien ça coûte, quel délai, quelle pertinence, quelle efficacité, quelle fiabilité, quelle courtoisie, quelle satisfaction, etc.). On le voit, on est loin de la seule mesure du ROI comme il est à la mode de le citer de ce côté-ci de l’Atlantique. Les auteurs insistent sur l’importance d’une mesure d’impact (économique ET sociétale) qui prenne en compte la satisfaction des usagers qui elle-même découle de la qualité du service offert (cette même qualité étant définie de façon variable selon les publics et les intéressés !).
De chapitre en chapitre, on revient sur ces notions fondamentales de qualité et de satisfaction qui sous-tendent toute l’évaluation : on quitte la mesure de la quantité (le How much de la norme 2789), pour découvrir la mesure de la qualité (le How well de la 16439). Si l’on en croit les auteurs, aucun élu ni aucun financeur n’auraient été particulièrement sensibles à un discours sur la volumétrie de l’offre ni sur celle du prêt. Par contre, plaider pour le bénéfice que tire un quartier de l’implantation d’une bibliothèque sur son territoire serait un discours plus convaincant plus les tutelles.
Les derniers chapitres s’attardent en détail sur les méthodes de collecte de la satisfaction (questionnaires, focus groups, visites mystères, boîtes de suggestions – et de plaintes –, études d’utilisabilité) avec de nombreux exemples qu’il suffirait de traduire pour les utiliser !
Le dernier chapitre, « Interpreting findings to improve customer service », fournit des clés utiles pour la mise en perspective et la présentation stratégique de ces résultats, le choix des indicateurs, le meilleur reporting à choisir en fonction des destinataires, et souligne l’importance qu’il y a à hiérarchiser attentes et satisfaction dans des matrices à double entrée tout en rappelant que ce n’est pas tant le résultat de l’évaluation qui compte que son évolution dans le temps !
Finalement, mesurer la satisfaction et la qualité de service, insistent les auteurs, ne sert à rien si aucune action corrective n’est engagée dans la foulée et c’est bien entendu la partie la plus difficile à mettre en œuvre : transformer l’évaluation en action !
Cet ouvrage est indispensable tout autant aux néophytes pour qu’ils s’initient à l’évaluation, qu’aux spécialistes afin qu’ils révisent leurs connaissances en vérifiant qu’ils ont bien mis le public et les « bénéficiaires » des bibliothèques au cœur de leur stratégie pour co-constuire un avenir commun ! Il permet enfin de s’approprier les notions de satisfaction et de qualité de services, loin des clichés récupérés du marketing commercial, et de réfléchir à ce que signifie véritablement l’impact des bibliothèques publiques ou académiques.