En direct du Japon : les impacts des catastrophes naturelles sur les bibliothèques
Situé sur la ceinture de feu du Pacifique, l’archipel du Japon qui se déploie sur une distance de 3 000 kilomètres du nord au sud est le théâtre régulier de catastrophes naturelles liées à sa géographie et à son climat : typhons, pluies torrentielles, éruptions volcaniques, tremblements de terre, tsunamis se succèdent. L’activité sismique, particulièrement intense, est suivie de près par l’Agence météorologique japonaise, et l’on peut affirmer sans se tromper que la terre tremble tous les jours. Des études évaluent les risques de tremblement de terre à hauteur de 70 % en termes de probabilité dans certaines zones du pays. On redoute le « Big One », ce gigantesque tremblement de terre à venir qui pourrait, dans les trente prochaines années, détruire la mégalopole de Tokyo.
Sur les trente dernières années, plusieurs grandes catastrophes naturelles ont dévasté le territoire japonais. On citera, sans être exhaustif, le grand tremblement de terre d’Hanshin-Awaji, dans la région de Kobe, en janvier 1995 ; le grand tremblement de terre de la région du Tōhoku, au nord-est du pays, en mars 2011, qui a cumulé tremblement de terre, tsunami et accident nucléaire ; sur l’île de Kyushu, le tremblement de terre de Kumamoto en 2016 et ses pluies torrentielles en 2020 ; le typhon Hagibis dans la région du Kantô en 2019 ; et le tremblement de terre de la péninsule de Noto, du côté de la mer du Japon, en janvier 2024. Sur l’échelle de Richter, la magnitude de tous ces tremblements de terre a été égale ou supérieure à 7. À ce niveau, un humain ne peut plus se maintenir debout.
À chaque fois, ces catastrophes naturelles, par l’ampleur des destructions, ont des impacts divers : sociétaux, environnementaux, économiques et financiers sans oublier les conséquences sur la vie des populations, physiquement et psychologiquement éprouvées à l’échelle d’un village, d’une ville, d’une préfecture, voire d’une ou de plusieurs régions. Dans ce contexte de désolation, les bibliothèques payent aussi leur tribut. Selon le degré de gravité des catastrophes, les bâtiments, les collections et les services sont affectés et perturbés. Ce court article se propose de faire un rapide tout d’horizon sur ces trois sujets.
La préservation des bâtiments
Les tremblements de terre atteignent en profondeur les constructions et leurs structures. Au Japon, la sécurité des bâtiments est un enjeu majeur. C’est une préoccupation ancienne qui se traduit par des politiques de prévention et des choix techniques spécifiques pour éviter les destructions.
En 1981, les normes de résistance antisismiques ont été révisées afin que les bâtiments soient en mesure de résister à de fortes secousses de magnitude 6 ou 7. Ces normes ont mis du temps à être appliquées comme l’a montré le tremblement de terre de Kobe de 1995 où la majorité des victimes sont mortes sous les décombres de leurs habitations. La même année, le gouvernement japonais a d’ailleurs promulgué une loi pour la promotion de la modernisation parasismique des bâtiments avec un objectif de couverture de 95 % du bâti.
De fait, s’il reste encore du rétrospectif à rattraper, tous les nouveaux bâtiments, et a fortiori les constructions qui accueillent du public comme les bibliothèques, sont dotés de structures d’isolation sismique qui absorbent, au niveau des fondations, l’énergie vibratoire des secousses. Ces nouveaux dispositifs, qui atténuent les secousses dans la partie supérieure des bâtiments et réduisent le balancement des charpentes, ont montré leur efficacité. En mars 2011, la grande Médiathèque de Sendai, dans la préfecture de Miyagi, construite en 1998 selon les normes en vigueur, n’a pas connu de dommages importants, la structure ayant très bien résisté. Ouverte en 2022, la grande, et magnifique, bibliothèque de la préfecture d’Ishikawa à Kanazawa, située à une centaine de kilomètres de l’épicentre du tremblement de terre de la péninsule de Noto, n’a pas souffert non plus.
Si les bâtiments anciens restent plus exposés, des travaux de renforcement contribuent à leur sécurité. Ainsi, la Bibliothèque nationale de la Diète (National Diet Library, NDL) a réalisé sur plusieurs années un programme de renforcement de ses bâtiments historiques. La bibliothèque internationale de la littérature pour enfants, installée dans un bâtiment en briques rouges de 1906, a fait réaliser des travaux d’isolation sismique au niveau de ses fondations. En ce qui concerne le bâtiment principal en béton, datant des années 60, les fenêtres ont été renforcées par la pose de structures en acier. Dans la région du Tōhoku, la grande bibliothèque universitaire de Sendai a fort heureusement effectué des travaux de renforcement de ses murs, ce qui lui a permis de limiter fortement les dégâts en mars 2011.
A contrario, lorsque des bâtiments sont trop endommagés et ne peuvent être réparés, ils sont reconstruits. Parmi les bibliothèques qui ont fait l’objet d’une reconstruction après mars 2011, on citera la bibliothèque municipale de Kensennuma (préfecture de Miyagi), ébranlée par le tremblement de terre, et les bibliothèques municipales de Rikuzentakata (préfecture d’Iwate) et de Minamisanriku (préfecture de Miyagi), détruites et emportées par le tsunami.
Une image contenant intérieur, sol, plafond, scène Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Figure 1. La nouvelle bibliothèque de la ville de Minamisanriku
Photo : Brigitte Renouf
Si des mesures de prévention existent pour limiter au niveau des bâtiments eux-mêmes les effets des tremblements de terre, les mesures de prévention et de protection vis-à-vis des tsunamis reposent essentiellement sur la construction de barrières et de digues côtières pour stopper ou réduire l’impact des vagues. L’énorme tsunami de 2011 a montré les limites de ces dispositifs.
La protection des collections
Les deux principaux ennemis des collections sont les chocs, avec les tremblements de terre, et l’eau, avec les inondations provoquées par les typhons, les pluies torrentielles et autres tsunamis.
Les chutes de documents sont un réel fléau. Si des bâtiments construits selon les normes antisismiques protègent davantage les collections d’éventuelles chutes, il n’en reste pas moins que les chutes des mobiliers et des documents sont le résultat immédiat des tremblements de terre. En quelques minutes, les rayonnages peuvent s’effondrer. Dans les magasins de stockage, les compactus finissent par basculer tels des dominos. Dans tous les cas, on assiste à des chutes de documents et, dans certains cas, à des détériorations plus ou moins sévères (pages ou couvertures arrachées, dos cassés, etc.).
En mars 2011, toutes les bibliothèques ont dû faire face à ce problème. Limitrophe de la région du Tōhoku, le Kantô, région métropolitaine de Tokyo, a également été très touché. À la seule Bibliothèque nationale de la Diète, 1,8 million d’ouvrages stockés dans les magasins du bâtiment principal ont chuté. À la bibliothèque universitaire de Sendai, plus de 800 000 volumes se sont retrouvés par terre. S’il n’y a peu eu chiffrage global, impossible à réaliser, les volumes se comptent par centaines de milliers, voire par millions.
Une image contenant scène, texte, bibliothèque, Rayonnage Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Figure 2. Bibliothèque nationale de la Diète (DNL), Tokyo, bâtiment principal, 17e étage
Photo : DNL
Une image contenant texte, affiche, cadre photo, art Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Figure 3. La bibliothèque universitaire du Tōhoku, à Sendai. Signalétique sur les rayonnages
Photo : Brigitte Renouf
Une image contenant bibliothèque, scène, intérieur, pièce Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Figure 4. La bibliothèque universitaire du Tōhoku, à Sendai. À gauche : rayonnages en libre accès avec fixations murales et avec structure renforcée (au fond, croisillons). À droite : rayonnages en magasin, structures renforcées
Photos : Brigitte Renouf
Si l’on n’accordait, avant mars 2011, qu’une attention limitée à ce problème de chutes d’ouvrages, les points de vue ont changé. La chute d’ouvrages était perçue comme un moindre mal car elle contribuait à alléger les structures des rayonnages. La mesure principale de prévention était de fixer les étagères pour éviter qu’elles ne bougent, une mesure plus ou moins efficace selon les cas.
L’approche relative à la prévention des chutes de rayonnages et de documents a évolué. L’objectif est désormais de les réduire le plus possible. En effet, les chutes de livres sont problématiques car elles posent des problèmes de sécurité. S’ils sont placés en hauteur, les ouvrages volumineux et lourds peuvent blesser des usagers et le personnel, notamment lorsque les séismes ont lieu pendant les horaires d’ouverture. D’autre part, l’encombrement de livres dans les espaces de circulation constitue un réel obstacle et rend difficiles les évacuations. Enfin, le temps de travail de rangement et de remise en rayon avec le nécessaire tri pour mettre de côté les documents à réparer ou à éliminer est considérable, surtout pour les grandes bibliothèques qui se retrouvent avec des montagnes, au propre comme au figuré, de documents à reclasser. Travail d’autant plus décourageant que le risque que la situation se reproduise n’est pas égal à zéro. Le cauchemar du bibliothécaire, en somme. Au vu de ces arguments, la prévention prend donc tout son sens.
Comme on l’a évoqué, la première réponse est la fixation des rayonnages au bâtiment, au sol et au plafond, et à divers points des murs. Il est indispensable de connaître préalablement la nature des matériaux de surface et en profondeur. En effet, l’expérience a montré en mars 2011 que des rayonnages fixés sur des surfaces fragiles n’avaient pas tenu. L’examen des plans de la bibliothèque est aussi incontournable.
Des moyens pour maintenir les documents sur les tablettes existent. À la bibliothèque préfectorale de Miyagi, le système D a prévalu, faute de moyens suffisants probablement. La fixation de bandes de papier renforcées sur les étagères pour entraver le mouvement des documents s’est avérée plutôt efficace en 2011. Cependant, des dispositifs plus élaborés existent. Ainsi, les constructeurs japonais de rayonnage conçoivent des mobiliers, prévoyant en cas de secousse, le déclenchement de barres métalliques, tombant sur les tablettes afin que les ouvrages restent en place.
Pour ce qui concerne des grandes bibliothèques, la construction de magasins de stockage souterrains est préconisée car ils garantissent, grâce à leur conception, de bonnes conditions de conservation. Si l’on compare avec les magasins hors sol, les secousses dans les magasins en sous-sol sont moins fortes et les collections, en conséquence, mieux protégées des chutes et des chocs.
L’eau et les livres
Dans un pays touché régulièrement par les pluies torrentielles, les inondations et les tsunamis, le deuxième risque principal est l’eau : disparition pure et simple des ouvrages, emportés par les courants, dégradation par l’eau des documents, mouillés, salis par la boue, attaqués par l’eau de mer et le sel, ou bien moisis faute d’une prise en charge rapide.
En 2011, les dégâts ont été considérables et tout aussi impossibles à chiffrer. Une vague géante, d’une hauteur de 10 mètres, jusqu’à 40 mètres à certains endroits, qui a envahi les terres sur une dizaine de kilomètres et a tout emporté sur son passage, a causé des dommages à un niveau sans précédent. Un rapport publié par la NDL en mars 2012 présente un état des lieux détaillé des nombreuses opérations de sauvegarde de fonds d’archives et de documents patrimoniaux. Ces opérations ont nécessité la mobilisation de nombreux acteurs institutionnels (musées, bibliothèques, universités, etc.) dans une situation d’urgence. Parmi ces experts, la NDL, en tant que bibliothèque nationale, a joué un acteur important.
Après le séisme de 2011, des équipes du département de la Conservation de la NDL se sont déplacées dans les préfectures d’Iwate, de Miyagi et de Fukushima pour évaluer les dommages subis par les bibliothèques le plus affectées, pour dispenser des conseils afin de délivrer les premiers traitements d’urgence et de former du personnel travaillant sur place. Cette première mission a été suivie par des missions à Kumamoto en 2016 et dans le Kantô lors du typhon Hagibis en 2019.
Outre ses missions d’aide et de conseil, la NDL a ainsi pris en charge la restauration de documents patrimoniaux comme les 106 volumes du Yoshida-ke Monjo (archives de la famille Yoshida, périodes Edo-Meiji) appartenant à la bibliothèque de Rikuzentakata et des documents patrimoniaux liés au folklore et à l’histoire de la région d’Iwate, stockés dans la bibliothèque du village de Noda.
Forte de son expérience et de son expertise sur ces sujets, la Bibliothèque nationale du Japon est depuis 1989 l’un des Centres régionaux IFLA/PAC (Preservation and Conservation) pour l’Asie, dont le but est de promouvoir la conservation des documents dans la région. Elle organise des formations, participe à des conférences, fournit une assistance technique aux organismes demandeurs et publie des manuels. Une partie du site de la NDL, dont un segment est accessible en anglais, est consacrée aux problématiques de restauration et aux traitements à prodiguer. Elle est, bien évidemment, spécialisée dans la restauration des fameux papiers « washi ».
Assurer la continuité des services dans un contexte de crise
Lors des catastrophes naturelles, les activités normales sont mises à l’arrêt pendant quelques jours, pendant quelques semaines, voire des années. Selon l’état de la situation et en fonction du temps nécessaire à la remise en service des infrastructures, les activités reprennent progressivement : réouverture partielle ou complète des bâtiments, reprise des services « dégradés », limités ou complets, recherche de solutions de substitution en cas de dégradations, de pertes ou de destructions. Après le passage et le déchaînement des éléments, une phase transitoire commence, avec deux questions à régler : l’accès aux bâtiments et l’accès aux collections.
Exception faite des bibliothèques totalement détruites, l’accès aux bibliothèques elles-mêmes et aux salles de lecture se pose. Le cas de figure de la bibliothèque municipale de Kensennuma dont le bâtiment a été affecté par le tremblement de terre du 11 mars 2011 est intéressant. La reprise des services a été rapide dans un contexte de crise aiguë, dans une ville portuaire très touchée par le tsunami. Une semaine seulement après la catastrophe, la mairie choisit de rouvrir dès que possible la bibliothèque. L’argument avancé était qu’il fallait mettre rapidement à disposition des citoyens, profondément éprouvés, un espace où ils puissent trouver du réconfort et retrouver du lien. Suite à cette décision, le personnel s’est mis à pied d’œuvre dès le 23 mars, le temps d’évaluer le bâtiment au niveau sécurité. Une bibliothèque temporaire pour les enfants a été aménagée dans un des bibliobus qui avait été remorqué par les équipes de sauvetage. Le premier étage de la bibliothèque, qui avait subi des dégradations, a été condamné. Le rez-de-chaussée a été remis en état, les collections rangées, un coin « information » près de l’entrée a été aménagé. Des toilettes ont été installées sur le parking. Le 30 mars, la bibliothèque a rouvert. Une semaine plus tard, une réplique entraînant des coupures d’électricité a provoqué l’interruption du service, mais la bibliothèque a pu ouvrir quinze jours plus tard. Jusqu’à l’ouverture de la nouvelle bibliothèque, en mars 2018, le service a été maintenu dans des locaux provisoires.
Dans bien des lieux sinistrés, la question de l’accès aux livres a été résolue par la création de dessertes provisoires dans les centres d’évacuation avec des bibliothèques en carton recyclable, par la création de bibliothèques mobiles (projet E-hon) et par l’utilisation de bibliobus, la solution la plus souple et la plus pertinente, pour sillonner les zones sinistrées et desservir les populations réfugiées et dispersées. L’Association des bibliothèques japonaises, des bibliothèques hors des régions sinistrées, diverses municipalités, des sociétés privées se sont mobilisées pour prêter ou donner des bibliobus aux bibliothèques qui avaient perdu les leurs. D’un point de vue général, la reconstitution des réseaux de bibliothèques de la région du Tōhoku a demandé une mobilisation sans précédent et a demandé plus de dix années d’effort.
Afin de reconstituer des fonds de bibliothèques, de nombreux dons ont été prodigués par les acteurs publics et privés. Bibliothèques, fondations, associations professionnelles de bibliothécaires, d’éditeurs, sociétés privées, particuliers ont participé à cet élan de générosité. D’une manière générale, les pouvoirs publics ont considéré que l’apport de livres était important pour le réconfort des populations, et des efforts particuliers ont été faits, notamment en direction des enfants avec des campagnes de collectes et de dons de livres scolaires et de livres d’images.
Les actions visant à assurer la continuité du service ont été très nombreuses et diversifiées. À noter l’exemple particulier, en matière de continuité de service, de la NDL dont une partie des fonds d’ouvrages étaient immobilisés et qui a pu maintenir son service de fourniture de copie à distance grâce la mobilisation de 12 bibliothèques préfectorales. Situées à l’ouest de la région du Kansai, elles ont accepté de traiter les demandes de copies à distance provenant de tout le pays.
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En mars 2026, le Japon commémorera le 15e anniversaire du « Grand tremblement de terre de l’Est », comme l’a dénommé le gouvernement japonais. Les catastrophes naturelles font partie de la vie et de l’histoire du Japon. À chaque date anniversaire, le pays se souvient et se recueille. En charge du patrimoine et de sa conservation, les bibliothèques sont des lieux de mémoire et transmission. Dans la région du Tōhoku, toutes les bibliothèques ont constitué des fonds documentaires sur la catastrophe. Au niveau national, la NDL, mandatée par le gouvernement japonais de l’époque, a ouvert en 2013 la National Diet Library Great East Japan Earthquake Archive (HANIGIKU) regroupant des documents, sites, bases de données, métadonnées. Le but ? Transmettre aux générations futures les enseignements tirés du grand séisme de l’est du Japon et utiliser notamment ces enseignements dans le cadre de projets de reconstruction et de revitalisation des zones sinistrées. À chaque commémoration d’une catastrophe, les bibliothèques organisent des évènements et des expositions. Au cœur des missions des bibliothèques, toutes ces initiatives entretiennent la mémoire d’un pays meurtri mais qui sait faire preuve de courage et de résilience.
Pour aller plus loin
- Site de la Bibliothèque nationale de la Diète – Version en anglais : https://www.ndl.go.jp/en/ et https://www.ndl.go.jp/en/preservation/manual/index.html
- National Diet Library Great East Japan Earthquake Archive (HANIGIKU) – Version en anglais : https://kn.ndl.go.jp/en/#/ et https://dl.ndl.go.jp/pid/11481288/1/1
- Rapport publié par la NDL – The Great East Japan Earthquake and Libraries – 2012 : https://current.ndl.go.jp/report/no13