Le dépôt légal dématérialisé des films et vidéos : DELIA, le guichet unique du dépôt légal des images animées

Comment la BnF et le CNC ont mis en place une solution simple structurée et sécurisée pour assurer le dépôt légal des films et des vidéos

Jean-Michel Garcia

Béatrice de Pastre

Les œuvres cinématographiques françaises et étrangères, de court et long métrage, dès lors qu’elles ont obtenu un visa d’exploitation et sont diffusées en salle, font l’objet d’un dépôt légal obligatoire auprès du CNC. Le dépôt légal des œuvres cinématographiques, encadré aujourd’hui par le Code du patrimoine (art. L131-1 à R133-1-1), est géré par le CNC depuis 1992.

En continuité du dépôt légal des vidéogrammes institué en 1975, la BnF est amenée à collecter l’édition commerciale en vidéo dématérialisée diffusée sur les plateformes de vidéo à la demande (VOD). Cette obligation s’applique aussi à tout document diffusé sur le territoire national à un public s’étendant au-delà du cercle de la famille. Encadré par les mêmes articles du Code du patrimoine, son périmètre comprend ainsi les œuvres diffusées dans les festivals, les films de communication institutionnelle et d’entreprise, les productions associatives et militantes, l’audiovisuel pédagogique, les films de recherche scientifique, la production des musées et des lieux de culture, les œuvres produites en vidéo par des artistes, les captations de spectacles vivants et de conférences mises à disposition du public, etc.

Le dépôt légal de l’image animée est conçu comme une mémoire de la diffusion du patrimoine culturel en France et englobe donc des œuvres étrangères éditées, co- produites ou diffusées dans notre pays.

Le nouveau portail DELIA – acronyme de DEpôt Légal de l’Image Animée – regroupe dans une entrée commune le dépôt légal de la BnF et du CNC. Il propose aux professionnels assujettis à cette obligation, producteurs, distributeurs, éditeurs, de venir déposer, sous forme dématérialisée, leurs œuvres cinématographiques ou de vidéo à la demande. Le portail DELIA a ouvert ses portes en novembre 2021 accompagnant ainsi l’évolution de la réglementation qui renforce le dépôt légal dématérialisé en France. Le portail est conçu pour permettre d’effectuer le dépôt de ces images de manière simple et sécurisée.

DELIA aujourd’hui est un outil conçu pour les professionnels du cinéma et de la production vidéographique. Il leur permet de se conformer aux obligations de dépôt légal selon les grands principes suivants :

  • simplification : DELIA, bâti en concertation avec les professionnels, propose un processus dématérialisé intégré et sécurisé, de la déclaration au dépôt des contenus ;
  • un seul dépôt pour le cinéma et la vidéo : DELIA assure aux producteurs un seul dépôt lorsque le film a été diffusé en salle, périmètre du CNC, puis en VOD, périmètre de la BnF ;
  • centralisation et interconnexion des informations : le portail requiert les métadonnées nécessaires au dépôt légal auprès du système d’information du CNC, Garance, et auprès de la base de données de l’International Standard Audiovisual Number (ISAN, numéro international normalisé des œuvres audiovisuelles), ce qui permet une pré-saisie des données de l’œuvre, assurant ainsi une gestion plus efficace et cohérente de ces données ;
  • traçabilité et uniformisation des bonnes pratiques de conservation : DELIA assure que les dépôts respectent les conditions techniques optimales en matière de traitement et conservation numérique des œuvres ;
  • optimisation des ressources : en automatisant le traitement des contenus et mutualisant les infrastructures de stockage, DELIA et ses filières de traitement permettent à la BnF et au CNC d’optimiser les ressources destinées à la préservation de ce patrimoine cinématographique et audiovisuel.

Unifier et normaliser les prescriptions techniques

Cette unification du processus de dépôt légal entre la BnF et le CNC a impliqué la définition d’exigences techniques pour le dépôt des films et vidéos, avec la volonté de demander des formats de fichiers alliant qualité nécessaire pour servir de référence et poids maîtrisé pour éviter une volumétrie excessive, et ainsi mieux assurer un processus pérenne.

Basées sur les prescriptions du cinéma numérique concertées avec les professionnels du secteur, les prescriptions sont bâties sur des usages professionnels, centrées sur des formats de fichiers communément utilisés par la profession.

Un nommage normalisé des fichiers

Un nommage normalisé des fichiers permet leur traitement automatisé de leur entrée jusqu’à leur archivage. Il s’agit d’une version réduite de la convention de nommage du cinéma numérique, déjà maîtrisée par les professionnels.

Une caractérisation précisée des fichiers

Le producteur, distributeur ou diffuseur doit remettre une copie numérique de la version exacte et intégrale de l’œuvre, cinématographique ou vidéographique, telle qu’elle est diffusée en France (montage, mixage, ratio, cadre, cadence, étalonnage définitif). Le fichier numérique doit être non crypté, sans timecode, sans incrustation sur l’image, sans dispositif technique destiné à restreindre sa lecture (Digital Rights Management, DRM) et doit suivre les caractéristiques techniques décrites dans un cahier de prescriptions disponibles sur la page d’accueil du portail.

  • pour le cinéma : fichier vidéo Apple ProRes 1
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    https://fr.wikipedia.org/wiki/Apple_ProRes

    4444 ou 422 HQ en HD ;
  • pour la vidéo : fichier vidéo MP4 H264 en HD.

Identifier et tracer une œuvre avec l’ISAN

L’ISAN a été choisi pour permettre la reconnaissance des œuvres audiovisuelles, faciliter la détection des doublons ainsi que la saisie des métadonnées nécessaires à la description de l’œuvre.

Au-delà de DELIA, la généralisation de cet identifiant normalisé au sein de l’écosystème audiovisuel et cinématographique contribue à structurer l’ensemble de sa chaîne de valeur en favorisant la traçabilité des œuvres.

Éviter les dépôts et le stockage des œuvres en doublon

L’utilisation de l’ISAN permet d’identifier un document de manière univoque, d’éviter ainsi les doublons et d’interopérer l’échange de données.

L’ISAN est une norme ISO 15706-1 (2002) et 15706-2 (2007) créée en 2002 à l’initiative conjointe d’organisations professionnelles françaises et internationales du secteur du cinéma et de l’audiovisuel, gage d’une gestion assurée dans le long terme.

Dans le cadre de DELIA, l’identification d’une œuvre, dont la présence est souvent répétée ou, au contraire, isolée au sein des multiples canaux de diffusion, est essentielle pour rationaliser la collecte des contenus et faciliter l’accès à la ressource.

Une pré-saisie des métadonnées de l’œuvre

L’utilisation de l’ISAN sert également de clé d’interfaçage des données liées à l’œuvre (métadonnées) permettant également l’échange de données. Le déposant se voit ainsi proposer un formulaire de déclaration pré-rempli lui évitant une saisie des données et réduisant d’autant l’effort, le temps et l’empreinte environnementale de cette étape. Le déposant n’a alors qu’à contrôler ces données et le cas échéant les compléter avant de les valider. Une description de l’œuvre est produite dans les systèmes d’information des deux institutions pour rendre visible ce signalement auprès du grand public tel que la loi le prévoit.

Simplifier et intégrer le processus de dépôt légal des films et vidéos

L’intégration des systèmes et la simplification des étapes du dépôt optimisent le processus de dépôt légal et le rendent plus respectueux de l’environnement. En effet, ils apportent une économie significative de connexions et réduisent d’autant la consommation d’énergie nécessaire au processus de dépôt légal. Rendre ainsi la sobriété numérique effective à chaque étape du processus est un des enjeux majeurs qui a guidé la mise en place de DELIA.

Une simplification des étapes de dépôt

La mise en place du processus de dépôt sur la plateforme DELIA s’est accompagnée d’une réduction du nombre et d’une simplification des étapes par rapport au processus existant :

  1. le déposant active son compte ;
  2. à réception d’un lien d’activation, il se connecte à DELIA ;
  3. il complète et valide le dossier de dépôt de son film à partir d’une page de données pré-saisies. Sur cette même page, il désigne éventuellement une société tierce pour transférer les fichiers, par exemple un laboratoire de post-production. Si à cette étape, une œuvre vidéo n’a pas d’ISAN préalable, alors, après habilitation du déposant et vérification auprès de la base centralisée, l’œuvre reçoit son immatriculation ISAN ;
  4. le déposant ou l’expéditeur désigné pour l’envoi des fichiers du film reçoit un mail avec les informations de connexion à la plateforme d’échange de fichier (PEF) de la BnF ;
  5. l’expéditeur se connecte avec son identifiant et son mot de passe de DELIA à la plateforme sécurisée d’échange de fichiers pour effectuer le transfert des éléments ;
  6. l’expéditeur verse le fichier, bien nommé et dans le bon format, dans le répertoire correspondant permettant ainsi d’automatiser le traitement, l’archivage et la description de l’œuvre dans les catalogues de la BnF et du CNC.

Un seul dépôt

Lorsqu’une œuvre est mise à disposition par deux canaux différents de diffusion en salle de cinéma puis en VOD, un seul dépôt sécurisé est demandé à l’ayant droit. Il lui suffit de déclarer une date d’exploitation en VOD.

D’un point de vue technique, la BnF et le CNC ont conçu un système unique qui acceptera les deux types de dépôt, soit par la veille des nouvelles sorties cinéma, soit par simple proposition spontanée.

Un dépôt enrichi

Outre le fichier vidéo principal, ses bandes-annonces et teasers, le dépôt de l’œuvre comprend également des éléments complémentaires (dossier de presse, photos d’exploitation, affiche, résumé), également sous forme numérique, pour documenter l’œuvre audiovisuelle. Ces éléments de contextualisation ont un intérêt majeur pour l’évocation et l’étude des œuvres par les prochaines générations.

Une mutualisation des processus et moyens entre la BnF et le CNC

Une mutualisation des infrastructures

Atteindre des économies d’échelle tout en assurant un haut niveau d’exigence est l’un des fils conducteurs de cette démarche. La BnF et le CNC ont ainsi choisi de faire converger leurs procédures et de mutualiser l’infrastructure de stockage des œuvres. À travers DELIA, la BnF et le CNC mettent en commun leur expertise en matière d’archivage numérique pour proposer un processus unifié permettant de rendre simple et lisible cette démarche auprès des professionnels.

Une solution de stockage plus durable

Parce qu’elle est synonyme de coût et de consommation d’énergie, les infrastructures utilisent des technologies de stockage à faible consommation d’énergie telles les cassettes LTO 2

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Linear_Tape-Open

qui réduisent drastiquement les émissions de CO2 par rapport aux disques durs HDD 3
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https://fr.wikipedia.org/wiki/Disque_dur

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Le stockage sur bande, moins coûteux en énergie que le disque, présente l’avantage d’offrir un coût moindre : le coût financier total de la conservation d’un pétaoctet de données sur bande pendant 5 ans est estimé 3 fois moins élevé que celui du stockage sur disque, ce qui en fait aujourd’hui le meilleur support pour les données froides.

La BnF, pour des raisons de sécurité, opère ses propres serveurs, réduisant d’autant sa dépendance et l’empreinte carbone de ce stockage. Par ailleurs, elle s’attache à mettre en place des systèmes permettant de réduire le nombre de serveurs allumés pendant les heures creuses durant lesquelles le trafic est moindre ou rendre temporaire la mise à disposition de films sur ses serveurs de consultation.

Une sécurisation optimisée des œuvres

Un transfert sécurisé des fichiers

L’envoi des fichiers par « File Transfer Protocol » 4

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https://fr.wikipedia.org/wiki/File_Transfer_Protocol

est sécurisé par une empreinte numérique. En effet, un fichier compagnon d’extension .md5 est inclus dans le dépôt : il assure la bonne transmission des fichiers et évite ainsi d’ingérer des fichiers tronqués.

Une chaîne de traitement et de stockage hautement sécurisée

Le traitement des documents est tracé et mis en œuvre sur des interfaces simplifiées avec un accès restreint aux fichiers par des agents publics soumis à un règlement interne strict. Des niveaux d’habilitation différenciés permettent de limiter très largement l’accès et la manipulation des fichiers conservés.

La chaîne de préservation des documents dématérialisés est dédiée, isolée, étanche par type de document dans le respect de la norme ISO 14641-1, agréée par le Service interministériel des archives de France (SIAF) :

  • la préservation sur le long terme des fichiers numériques natifs issus du dépôt légal dans le système de préservation et d’archivage réparti (SPAR) de la BnF est effectuée au sein d’une chaîne dédiée, isolée et étanche, pour la filière cinéma (tiers archivage pour le CNC) et vidéo (pour la BnF) ;
  • la garantie d’intégrité des données par SPAR est assurée par deux ou trois copies sur différentes technologies, LTO et Jaguar, pour limiter les risques technologiques. La surveillance de l’état des supports d’enregistrement est continue ;
  • SPAR est conforme à la norme d’archivage électronique NF Z42-013 (norme ISO 14641-1), agréé par le SIAF le 26 août 2019 ;
  • pour la sécurité et confidentialité des archives, deux salles des machines sont dédiées à SPAR. Seuls les gestionnaires de collection sont habilités aux interfaces de recherche et d’accès et seulement aux filières qu’ils gèrent, les exploitants ou superviseurs ont accès aux interfaces de suivi ou d’alerte (les administrateurs du numérique BnF peuvent lancer des audits et migrations) ;
  • le traitement et la conservation des données sont hébergés dans des espaces dédiés au sein de deux sites BnF possédant les caractéristiques techniques d’un data center TIER 2/3 5
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    https://en.wikipedia.org/wiki/Data_centre_tiers

    avec une haute capacité de résilience et de reprise d’activité due à la redondance des sites et des équipements.

Une consultation encadrée

La consultation des films déposés dans le cadre du dépôt légal est encadrée par la loi : elle est réservée à des professionnels, des chercheurs, professeurs et étudiants de masters ou doctorants préalablement accrédités et a lieu dans l’enceinte de la BnF, sur les postes de consultation multimédias (PCM) de la BnF et du CNC sans ouverture vers l’extérieur. Les prochaines étapes consisteront à donner accès à ces documents à des fins de recherche et de référence, dans les locaux des deux institutions, sur des interfaces au service amélioré (consultation des documents d’accompagnement), déjà opérationnelle sur la bibliothèque numérique interne de la BnF, Gallica intra-muros.

Une veille et des évolutions continues

Une veille est opérée sur l’évolution des processus et techniques avec l’objectif de maintenir un accès optimisé et simplifié aux œuvres par le public, un accompagnement et une écoute renforcée auprès des professionnels. Ainsi, par itération, le processus ne cesse de s’adapter aux évolutions et répond aux finalités de conservation des œuvres déposées.

Le guichet d’accueil (DELIA) a été lancé fin 2021 dans une phase expérimentale et gère aujourd’hui plus de 2 380 dossiers de dépôts, pour lesquels plus de 900 films sont déjà archivés.

Avec DELIA, la BnF et le CNC développent les bases d’un écosystème technique destiné à optimiser le dépôt légal des films et vidéos dématérialisés. En mettant en œuvre ces orientations de développement durable concrétisées au travers de ce portail, la BnF et le CNC affirment leur engagement à assurer la collecte et la préservation à long terme de ce précieux patrimoine culturel, celui des archives cinématographiques et audiovisuelles.