De Voyage en Italie aux Vampires : la collection de vidéos de la Cinémathèque française, enjeux de conservation et de diffusion d’un fonds original

Marie Garambois

Corinne Malgouyard

Aujourd’hui, les collections de la Cinémathèque sont ainsi réparties en deux grands ensembles que sont le « film » 1

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La collection de la Cinémathèque française comporte plus de 40 000 films, ce qui en fait l’une des plus importantes au monde.

et le « non-film ». Au sein de la Direction du patrimoine, la Direction des collections non-film est en charge de la collecte, du catalogage, de la conservation et de la diffusion des collections d’affiches 2
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24 000 affiches font partie des collections.

, matériels publicitaires, archives 3
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Plus de 33 000 dossiers répartis dans 180 fonds.

, dessins de décorateurs et costumiers 4
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16 000 dessins et maquettes.

, ouvrages 5
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Plus de 20 000 livres et ouvrages de référence en accès libre à la bibliothèque du film, et 7 000 livres et brochures publiés dès le XVIe et jusqu’au début du XXe siècle, complétés par trois fonds patrimoniaux : le fonds Will Day, la bibliothèque d’Henri Langlois et celle de Georges Sadoul.

, périodiques, photographies 6
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Plus d’un million de photographies.

, revues de presse, vidéos. Ces collections comprennent également des appareils et plaques de lanternes magiques 7
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4 000 machines et plus de 25 000 plaques.

ainsi que des costumes 8
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Plus de 2 000.

, accessoires, objets et éléments de décor.

C’est à cette catégorie du « non-film » qu’appartiennent paradoxalement les collections audiovisuelles disponibles pour la consultation en bibliothèque que le service Imprimés, audiovisuel et revues de presse a pour mission de collecter, cataloguer, conserver et diffuser. Ce fonds original est composé de 17 000 vidéos environ : films classiques ou récents, œuvres incontournables ou raretés, dont l’enrichissement se poursuit au quotidien. Sa conservation et sa diffusion soulèvent différents enjeux en évolution, afin de garantir sa pérennité et d’assurer sa consultation.

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Figure 1. Accueil de la Bibliothèque du film, une partie de la collection DVD

Photographie : Olivier Gonord

L’histoire du fonds de vidéos de la Cinémathèque : une offre créée à l’ouverture de la Bibliothèque du film (BiFi)

À sa création en 1996, la BiFi souhaite proposer et mettre à disposition du public une offre cinématographique de référence en accompagnement des ouvrages et des périodiques consultés en salle. Les lecteurs peuvent ainsi, en complément de leurs recherches, visionner différentes œuvres cinématographiques dans un espace dédié.

À l’origine, cet espace comprend douze postes de lecture de cassettes VHS. L’offre s’accroît d’année en année et les postes affichent souvent complets, d’autant plus lorsque le DVD fait son entrée dans la collection en 2001. On ne vient plus seulement à la BiFi pour travailler et faire des recherches : étudiants et habitants du quartier y viennent aussi simplement pour voir un film.

Lors de l’emménagement de la BiFi à la Cinémathèque française sur le site de Bercy en 2005, une nouvelle vidéothèque voit le jour avec vingt nouveaux postes de lecture DVD et VHS. En 2024, la vidéothèque est réaménagée, permettant l’installation d’une grande salle de réunion pouvant accueillir du public au même étage. Le nombre de consultations ayant régulièrement baissé depuis 2020, l’installation a été repensée et le nombre de postes de consultation a été réduit, avec une attention portée au confort de visionnage.

La politique d’enrichissement : la constitution d’une collection représentative du patrimoine cinématographique

Peu à peu, les critères d’acquisition de cette collection ont évolué. La mission originelle de la BiFi était de proposer uniquement des longs métrages de fiction comportant un intérêt dans le cadre des travaux menés par les étudiants.

Elle consiste aujourd’hui en la constitution d’une collection de qualité et représentative du patrimoine cinématographique : un ensemble équilibré allant des grands classiques aux sorties les plus récentes. Il s’agit de mettre à disposition des œuvres cinématographiques considérées comme appartenant à un patrimoine international commun aussi bien en tant que divertissement que comme sujet d’étude. Depuis une quinzaine d’années, les documentaires, courts métrages, films d’animation et films expérimentaux font partie des choix d’achat.

Face à une proposition commerciale pléthorique, la politique d’acquisition s’appuie sur des critères guidés par la complétion de certaines collections, les grands noms au générique ou encore la programmation de l’institution, qu’il s’agisse des expositions, événements ou rétrospectives programmées à la Cinémathèque française. Ainsi, différentes comédies romantiques, les films de James Cameron ou encore une nouvelle sélection de westerns ont récemment rejoint la collection en lien avec les manifestations proposées.

Une veille régulière est mise en place pour compléter l’essentiel des filmographies de grands réalisateurs et d’acteurs ayant marqué l’histoire du cinéma. Une attention particulière est portée aux films primés dans des festivals ou ayant obtenu un succès critique ou populaire remarqué. Le travail porte de plus en plus sur le renouvellement de la collection avec des versions plus récentes (Blu-ray) parfois restaurées, désormais souvent enrichies de bonus complets.

Depuis 2008, la Cinémathèque française a aussi entamé un projet de numérisation pour sauvegarder et diffuser ses fonds restaurés 9

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Le catalogue des films restaurés est consultable en ligne : https://www.cinematheque.fr/catalogues/restaurations-tirages/corpus.php

. Cet ensemble est très hétéroclite et comportait initialement de nombreux films muets, parfois inédits dans l’édition vidéo : les films Méliès 10
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« Restaurations des films de Georges Méliès, la fantaisie mise en musique », Tania Capron, 5 septembre 2022. En ligne : https://www.cinematheque.fr/article/1884.html

, le fonds Albatros mais aussi des œuvres de grands cinéastes français (Jean Epstein, Jacques Feyder, Marcel L’Herbier), ou encore les films de la Triangle Film Corporation 11
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États-Unis, 1915.

 : westerns, comédies, mélodrames avec des stars du muet comme Douglas Fairbanks ou Lillian Gish. Ce fonds classique s’est enrichi d’œuvres plus récentes comme les premiers films d’Otar Iosselliani, les films de Pierre Clémenti, des Ciné-tracts, des documentaires expérimentaux, etc. Les corpus varient aussi selon les choix du service de la valorisation des films pour le site HENRI 12 créé à l’occasion du confinement.

Un traitement documentaire spécifique et complexe de par ses défis technologiques

La constitution et la conservation de cette collection soulèvent des questions spécifiques liées aussi bien au traitement matériel des documents qu’à leur stockage.

La diffusion des vidéos est soumise à une législation très stricte qui ne permet pas d’acquérir les films de la vidéothèque dans des points de vente traditionnels. Pour pouvoir être visionnées dans l’enceinte d’une bibliothèque, d’une institution ou d’un organisme, les vidéos doivent être acquises avec des droits institutionnels, différents selon l’usage que l’on en fait, et négociés en amont avec les producteurs-éditeurs-distributeurs.

Il existe donc, pour éviter d’avoir à négocier les droits de diffusion au cas par cas avec les producteurs-éditeurs-distributeurs de vidéos, des centrales d’achat 13

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ADAV, CVS, Colaco entre autres.

servant d’intermédiaire entre les détenteurs des droits et les organismes acquéreurs. Elles proposent des catalogues de programmes audiovisuels dont l’offre est conséquente, bien que certains films disponibles dans le commerce ne le soient pas par ce biais.

À la réception des commandes, réalisées dans le cadre d’un marché public, chaque vidéo nécessite un traitement unique allant du catalogage dans la base de données de la Cinémathèque jusqu’à l’équipement pour la mise à disposition aux lecteurs et la valorisation des nouveautés. Cela s’accompagne de la gestion des doubles éventuels : par exemple, une VHS ancienne qui aurait été conservée car le titre n’existait pas encore en DVD ou Blu-ray.

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Figure 2. Catalogage vidéo

Photographie : Corinne Malgouyard

Si cette collection connaît indéniablement un succès renouvelé ces dernières années, différentes questions restent à résoudre, et notamment une problématique d’espace du fait de l’accroissement constant 14

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Actuellement, la collection s’enrichit de 350 titres par an environ.

. Les documents sont conservés directement sur place dans l’espace Accueil / Vidéothèque. Ils ne bénéficient malheureusement pas de conditions de conservation environnementales spécifiques ; il s’agit toutefois uniquement de DVD et Blu-ray du commerce, au même titre que les nouveautés « Ouvrages ». Les conditions d’un éventuel désherbage diffèrent des collections courantes ; les droits étant attachés au support, le choix éventuel du retrait définitif est limité au pilon, les dons ou ventes étant interdits. En outre, les cotes étant constituées en série numérique, la Cinémathèque a opéré le choix d’une recotation à chaque retrait de document afin de conserver une cohérence.

Outre les questions ayant trait au catalogage, la collection des vidéos a dû à plusieurs reprises s’adapter aux évolutions technologiques. Les seules VHS du tout début ont été peu à peu remplacées au profit des DVD, eux-mêmes renouvelés depuis quelques années par les Blu-ray. Aujourd’hui, les éditeurs optent de plus en plus pour ce format, auquel ils décident parfois d’ajouter les Blu-ray Ultra Haute Définition (UHD). En conséquence, chaque évolution technologique nécessite une évolution du parc du matériel de lecture des vidéos et la crainte d’une obsolescence tant des supports que des appareils de consultation 15

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Les supports sont consultables uniquement sur place, ce qui en limite l’usure ; un contrôle visuel est effectué à chaque retour. La maintenance des appareils est effectuée en interne par l’un des services de la Cinémathèque française.

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Attirer les publics : une vidéothèque renouvelée pour un meilleur confort de consultation, et une valorisation des collections 16
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Remerciements à Véronique Rossignol, directrice de la BiFi, pour les éléments concernant la restructuration de la vidéothèque.

La communication de la collection des vidéos est marquée par des contraintes d’espace tout comme par la question des droits et celle des évolutions technologiques : ainsi, le choix politique de la seule consultation 17

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La consultation est classique dans sa forme. Les visiteurs choisissent sur le catalogue la vidéo qu’ils désirent visionner et la demandent à un médiathécaire qui la leur transmet pour une consultation sur place. Ensuite, ils installent eux-mêmes le support dans l’appareil du box de consultation qui leur a été attribué.

sur place des supports matériels et du corpus d’environ 300 films anciens numérisés a été opéré 18
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Ces films anciens ont été numérisés par la direction des collections films et la bibliothèque dispose des droits de diffusion sur place.

, afin de privilégier les collections Cinémathèque et de garantir la pérennité de l’offre de la collection constituée.

Pour la consultation des films numérisés, il s’agit d’une sélection de 300 vidéos disponibles sur l’un des postes informatiques, par le biais d’un logiciel commercial dédié, paramétré pour la Cinémathèque.

Intégrée à la BiFi, la vidéothèque, dotée à l’origine de 18 places de consultation, avait connu depuis 2012 une baisse de fréquentation liée en grande partie à la multiplication des plateformes numériques et de streaming. Les consultations annuelles sont ainsi passées de 8 800 à 5 300 entre 2012 et 2019. À la suite de la crise sanitaire et après plusieurs mois de fermeture, la décision a été prise en 2022 de réaliser des travaux de rénovation de la zone d’accueil et de la vidéothèque, devenus obsolètes depuis leur installation en 2005.

Totalement repensée, intégrée à la nouvelle zone d’accueil et bien visible, la vidéothèque a rouvert en 2024 après six mois de travaux. Elle est dorénavant équipée de dix box de consultation individuels : huit pour les DVD et Blu-ray, un pour les VHS, et un pour consulter les films numérisés de la collection Cinémathèque. S’ajoutent à cela deux bulles de visionnage équipées de poufs pour visionner les films, seul ou à deux, dans des conditions confortables.

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Figure 3. Box et bulle vidéothèque

Photographies : Olivier Gonord

Le public, des usagers réguliers, retraités ou sans emploi, des chercheurs, des cinéphiles, des étudiants, mais aussi les habitués des salles de cinéma qui apprécient de venir visionner un film avant une projection ou de simples curieux, fréquente de nouveau la vidéothèque avec assiduité. Si les visiteurs visionnent encore majoritairement des classiques du cinéma, on constate depuis quelques années un engouement pour des films plus rares, non réédités et non disponibles sur les plateformes et sur le Web.

Faire connaître cette collection implique de mener différentes opérations de valorisation : un flyer présente une sélection de nouveautés, tandis que des listes complètes sont disponibles en salle. Sur le site web de la Cinémathèque, les acquisitions récentes sont mises en ligne 19

, en attente du nouveau portail public 20
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Garance, le système de gestion documentaire mutualisé du patrimoine cinématographique en France, a pour objectif de mettre en relation des collections de natures très variées et de permettre leur gestion au quotidien. Utilisé en production depuis 2021, il doit voir son catalogue public ouvrir prochainement.

. Une sélection de films et documentaires est régulièrement réalisée en lien avec les présentations thématiques de documents en vitrine dans la médiathèque.

Ainsi, loin d’être anachronique à l’heure des plateformes de vidéo à la demande ou de streaming par abonnement, l’objectif poursuivi est bien celui de la constitution d’une collection pérenne, destinée à être conservée et enrichie en dépit des spécificités techniques de sa diffusion à long terme. En témoigne l’attachement dont elle fait l’objet de la part des visiteurs de la BiFi, comme en atteste le renouveau de la fréquentation de la vidéothèque, désormais souvent complète.

Une sélection de films et documentaires est régulièrement réalisée en lien avec les présentations thématiques de documents en vitrine dans la médiathèque. Certaines nouveautés sont aussi mises à l’honneur sur un écran d’affichage à l’accueil de la bibliothèque.

En quelques chiffres

15 515 films sur DVD ;

1 195 Blu-ray et Blu-ray UHD ;

1 053 VHS ;

312 films numérisés consultables sur un poste dédié.

Tous ces supports sont consultables sur place.


Références bibliographiques