Le jeu vidéo dans les bibliothèques de lecture publique : prêt, espace et animations

Benjamin Cuvilliez

Les jeux vidéo sont « un ensemble de jeux qui reposent sur un programme informatique et des interactions homme/machine, au travers d’interfaces (graphiques, audio, et mécaniques) » (Rufat et Ter Minassian, 2011). C’est à travers cette définition large du jeu vidéo que nous allons traiter de ce dernier dans les bibliothèques de lecture publique.

Le jeu vidéo existe dans les bibliothèques depuis les années 2000 (Devriendt, 2019), et a connu une forte croissance durant les années 2010. Dans la même étude de Julien Devriendt, on note que seulement 421 bibliothèques sur 7 737 déclaraient avoir un fonds de jeux vidéo, leur nombre ayant continué à augmenter par la suite.

La plupart des données évoquées dans cet article sont tirées d’une étude réalisée dans le cadre d’un travail universitaire en 2024 1

, dans lequel il est possible de retrouver la méthodologie détaillée. Sur 43 personnes interrogées, la moitié déclare avoir créé leur offre de jeux vidéo en 2019 ou après : cela montre que le jeu vidéo n’a pas fini de s’installer dans les bibliothèques. Le jeu vidéo est un médium à part qui, comme nous allons le voir, demande des ressources humaines, matérielles et financières particulières.

L’objectif ici n’est pas d’être exhaustif sur le jeu vidéo en bibliothèque mais de se focaliser sur les trois enjeux importants que sont le prêt, les espaces dédiés au jeu vidéo et les animations.

Le prêt de jeux vidéo

Le prêt de jeux vidéo dans les bibliothèques est toujours sujet à de multiples débats entre professionnels, notamment en ce qui concerne l’aspect juridique. Étant donné qu’il n’y a pas juridiction précise sur le sujet du prêt et que le jeu vidéo est considéré comme une œuvre collaborative, cela signifie qu’il faudrait pour chaque jeu demander à chaque personne ayant participé à son développement son accord pour le prêter (Fourmeux et Maurel, 2015), ce qui n’est pas faisable. Il faut donc bien vérifier les clauses de responsabilité juridique des diffuseurs en matière de propriété intellectuelle. Un rapport ministériel, dirigé par Françoise Legendre et paru en 2015, préconise d’engager rapidement une clarification avec les éditeurs de jeux vidéo sur ce sujet (Legendre, 2015), ce qui n’est toujours pas fait en 2025. Cependant, ce même rapport parle du désintérêt des éditeurs et producteurs de jeux vidéo pour les bibliothèques, ce qui permet aux structures de prêter des jeux sans risquer de procédures pénales, mais tout en restant dans un flou juridique encore non résolu. Il existe aussi des centrales d’achats, qui négocient de droits de prêt et/ou de diffusion pour les CD et DVD et qui le font aussi désormais pour certains jeux vidéo. Mais cela reste encore assez marginal, car peu de jeux sont proposés pour le moment.

Sur les 43 personnes interrogées, seules 28 % ont mis en place un service de prêt de jeux vidéo au sein de leur structure. Les réponses sur le non-prêt évoquent ce flou juridique mais aussi l’achat de jeux en dématérialisé qui, de fait, empêche le prêt, ou encore un fonds insuffisant pour permettre une rotation correcte des jeux et pouvoir satisfaire tous les usagers. En outre, le prêt de jeu nécessite que l’usager ait chez lui la console adéquate pour pouvoir jouer, ce qui n’est pas le cas lorsque le jeu est proposé sur place.

En outre, le jeu vidéo demande la mise en place de règles de prêt spécifiques, et souvent distinctes des autres documents proposés dans une bibliothèque. Si la durée de prêt d’un jeu est généralement, comme pour les autres documents, autour de trois semaines, le nombre d’items empruntables simultanément est souvent moindre : plus de la moitié des bibliothèques interrogées proposant du prêt de jeux vidéo ne permettent l’emprunt que d’un jeu à la fois. Cela est dû notamment au fait que le fonds de jeux vidéo est souvent assez réduit, et il faut donc que chacun puisse emprunter. De plus, un jeu vidéo est généralement plus long à finir qu’un ouvrage ou un film, et il n’est donc pas nécessaire d’en avoir plusieurs à la fois.

La dernier point important à prendre en compte autour du jeu vidéo est celui de la restriction d’emprunt en fonction de l’âge : 84 % des répondants affirment mettre une restriction d’âge sur le prêt de jeu vidéo. Pour la plupart, ils suivent la restriction Pan European Game Information (PEGI) qui est inscrite sur les boîtes des jeux. Cette norme européenne indique pour chaque jeu un âge minimum conseillé (3, 7, 12, 16 ou 18 ans), en fonction de la violence du jeu et des sujets abordés. Cependant, PEGI étant assez large dans sa restriction, certaines bibliothèques l’adaptent et proposent des PEGI 10 ou 14 en fonction des jeux.

Les espaces dédiés au jeu vidéo

Outre le prêt, l’accès aux jeux vidéo dans les bibliothèques se fait bien souvent à travers un espace dédié, dans lequel les usagers peuvent jouer à une sélection.

Dans le questionnaire, 76,6 % des répondants affirment avoir un espace de jeux vidéo sur place, et lorsque l’on demande la raison à celles et ceux qui ont répondu par la négative, la réponse qui revient majoritairement est la place requise. Pour qu’un espace dédié au jeu vidéo puisse être intégré à une bibliothèque et mis à disposition dans de bonnes conditions, plusieurs éléments sont nécessaires. Il faut non seulement une console et des jeux, mais aussi un téléviseur et un canapé. Cela représente à la fois un investissement financier et un besoin d’espace.

En outre, le jeu vidéo est un médium qui fait du bruit (Devriendt, 2015, p. 96-101). En premier lieu, il est nécessaire d’avoir le son pour jouer de manière optimale, mais aussi et surtout, car beaucoup de jeux peuvent se jouer en multi-joueurs, ce qui provoque des discussions, parfois des cris et des énervements chez les plus jeunes. C’est pour cela qu’un grand nombre de bibliothèques proposent un espace dédié au jeu vidéo qui se trouve dans une pièce à part, séparée du reste de la bibliothèque.

Vient ensuite la question du public visé et du public réel qui vient jouer dans ces espaces dédiés. Parmi les répondants, 58 % affirment ne pas viser un public particulier et les 42 % restants ciblent un public jeune et adolescent. Ce public visé se retrouve aussi dans les consoles proposées au sein des bibliothèques.

Tableau. Les différents supports des jeux possédés par les bibliothèques (uniquement les 3 premiers)
ConsoleNombre
Nintendo Switch40
PlayStation 4 ou 530
Xbox One ou Series15

Sur les 43 professionnels interrogés, 40 déclarent avoir la Nintendo Switch, ce qui est en corrélation avec le public visé. La console de Nintendo est une console familiale qui propose un grand nombre de jeux vidéo accessibles à tous (Mario Kart, Pokémon, Mario Bros, etc.). C’est aussi la console la moins chère du marché, ce qui peut rentrer en compte dans la réflexion lors de la création d’un espace de jeux vidéo. Les PlayStation 4 et 5 sont aussi très populaires dans les bibliothèques, bien plus que les Xbox. Cela peut s’expliquer par le fait que la PlayStation se vend mieux en France que la Xbox, et est donc plus connue de tous. En outre, la console de Sony possède de nombreuses licences très connues du grand public (Spider-Man, Gran Tourismo, Horizon, etc.).

La dernière problématique concernant le jeu sur place est celle de l’encadrement et de l’accès. Permettre de jouer à un jeu vidéo sur place nécessite souvent de prêter le jeu le temps de la session, s’il n’est pas déjà dans la console, et de prêter aussi une manette. Un des moyens de pouvoir savoir où se trouve le matériel est de prendre la carte de l’usager le temps de la session de jeu, ou de proposer l’espace de jeu vidéo uniquement sur réservation ; 40 % des bibliothèques interrogées utilisent un système de réservation pour le jeu vidéo. Ainsi, on peut savoir qui joue à quel moment, et ce système permet aussi à tout le monde de pouvoir jouer, en limitant de nombre de réservations par journée ou par semaine. En outre, la réservation permet aussi de contrôler le temps de jeu d’un public souvent jeune. Lors de divers entretiens, j’ai pu constater que la durée des réservations était généralement autour d’une heure, ce qui permet de ne pas laisser un enfant pendant une journée entière devant un jeu, mais aussi de mieux gérer le flux de joueurs.

Les animations

Le dernier point à aborder est celui des animations autour du jeu vidéo. C’est un enjeu important, car cela permet de créer du lien entre les usagers et les bibliothécaires et de faire vivre la structure comme un lieu d’accueil et de culture. Ainsi, plus de 90 % des répondants proposent des animations de jeux vidéo sur place. Ce chiffre est même supérieur au nombre d’espaces dédiés ; cela s’explique par le fait que proposer une animation ponctuelle peut se faire dans une salle ou un espace non prévu pour cela à la base.

Afin de proposer des animations, il est essentiel de connaître son public et de savoir qui on vise en fonction des animations (Piffault, 2015, p. 149-154). En outre, l’animation amène des problématiques de ressources humaines et matérielles, sur les équipements disponibles, les branchements nécessaires pour faire fonctionner certaines consoles spécifiques, etc.

Lors de mes entretiens avec les bibliothécaires, j’ai pu retenir deux types d’animations qui reviennent régulièrement : la réalité virtuelle et les tournois.

La réalité virtuelle, tout d’abord, revêt un caractère assez exceptionnel pour la plupart des usagers. On entend par réalité virtuelle des casques avec écran qui permettent une immersion complète dans un jeu, grâce à la détection de mouvements de la tête et du corps. C’est un équipement qui demande de la place car le joueur est amené à se mouvoir dans un espace. En outre, son prix se situe entre 400 et 700 €, et nécessite d’être connecté à un ordinateur suffisamment puissant. Le casque de réalité virtuelle n’est pas un objet du quotidien, et donc le proposer en bibliothèque permet de le faire découvrir aux usagers, et en outre de proposer une animation qui sort de l’ordinaire.

Mais l’animation la plus populaire en bibliothèque est le tournoi (Devriendt, 2019) : il permet en effet à beaucoup de monde de participer et peut durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines durant les vacances. Les jeux les plus populaires pour des tournois sont FIFA et Mario Kart, car faciles d’accès et permettant à tout le monde de participer. Cependant, l’une des problématiques remarquées avec les tournois est la disparité de participation entre les garçons et les filles. Le jeu vidéo restant culturellement plutôt masculin (Lignon, 2015, p. 34), cela se ressent dans les tournois. Les garçons qui y viennent se connaissent souvent d’ailleurs et viennent entre eux. Les filles, de ce fait, même si elles ne sont pas de fait exclues, ne se sentent pas invitées.

Le jeu vidéo légitimé par sa présence dans de grands établissements et réseaux

De grands établissements de lecture publique et des réseaux importants ont rapidement valorisé le jeu vidéo, pratique culturelle massive longtemps méprisée par les milieux culturels : ainsi, à Paris, la médiathèque Canopée, les bibliothèques Václav Havel, Melville, etc. proposent des espaces dédiés. À Montpellier, la médiathèque Émile Zola et deux autres établissements du réseau proposent des PC gaming dédiés à l’e-sport et aux jeux multi-joueurs. À la Bibliothèque publique d’information (Bpi), le festival Press Start fait découvrir chaque année des créations inédites et des expériences artistiques immersives. À la Bibliothèque nationale de France (BnF), la salle A du niveau tous publics du site François Mitterrand propose de multiples jeux et des dispositifs de réalité virtuelle ; l’établissement organise des conférences autour de la recherche et valorise le dépôt légal en partenariat avec la Paris Games Week.

Références bibliographiques

  • DEVRIENDT Julien, « Pourquoi aller jouer dans une bibliothèque ? », Jouer en bibliothèque, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2015, p. 96-101. En ligne : https://books.openedition.org/pressesenssib/4668
  • DEVRIENDT Julien, « État des lieux du jeu vidéo dans les bibliothèques françaises », Documentation et bibliothèques, 2019, 65 (3), p. 30-38.
  • FOURMEUX Thomas et MAUREL Lionel, « Le cadre juridique du jeu vidéo en bibliothèque : acquisitions, consultation, prêt », in Julien DEVRIENDT (dir.), Jouer en bibliothèque, Villeurbanne, Presses de l’Enssib (coll. La Boîte à outils ; 34), 2015. En ligne : https://hal.parisnanterre.fr/hal-01528094
  • LEGENDRE Françoise, Inspection générale des bibliothèques, Jeu et bibliothèque : pour une conjugaison fertile, Rapport à madame la ministre de la Culture et de la Communication, no 2015-09, février 2015. En ligne : https://www.culture.gouv.fr/thematiques/livre-et-lecture/documentation/publications/rapports-de-l-igb/Jeu-et-bibliotheque-pour-une-conjugaison-fertile
  • LIGNON Fanny (dir.), Genre et jeux vidéo, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2015 (coll. Le temps du genre).
  • PIFFAULT Olivier, « Jeu vidéo et bibliothèques », in Françoise LEGENDRE (dir.), Bibliothèques, enfance et jeunesse, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2015 (coll. Bibliothèques), p. 149-154. En ligne : https://www.cairn.info/bibliotheques-enfance-et-jeunesse--9782765414896-p-149.htm
  • RUFAT Samuel et TER MINASSIAN Hovig, Les jeux vidéo comme objet de recherche, Paris, Questions théoriques, 2011 (coll. Lecture-play).