Une menace permanente pour les bibliothèques patrimoniales : le vol

Dominique Varry

Sale temps pour les collections patrimoniales

Le Figaro 1

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Le Figaro avec AFP, « Une collection de rares livres russes dérobée dans une bibliothèque de Varsovie », Le Figaro, 1er novembre 2023. En ligne : https://www.lefigaro.fr/culture/une-collection-de-rares-livres-russes-derobee-dans-une-bibliotheque-de-varsovie-20231101 [NB : les URL citées ont toutes été vérifiées le 14 novembre 2023].

du 1er novembre 2023 annonce qu’environ 80 volumes rares d’éditions russes conservées à la bibliothèque de l’université de Varsovie viennent d’être dérobés, probablement sur commande pour le marché russe. La directrice de l’établissement a été mise à pied. Les voleurs n’ont pas hésité à remplacer certains volumes par des fac-similés. C’est peut-être la même équipe qui, à Paris, vers 4 heures du matin, dans la nuit du 10 octobre, après avoir cassé une vitre, a pénétré dans une salle de lecture de la réserve de la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (BULAC) pour y dérober des éditions originales de Pouchkine dont ils avaient demandé communication la veille 2
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Communiqué « Cambriolage de la salle de la Réserve de la BULAC, mardi 10 octobre 2023 » : https://www.bulac.fr/communique • Franceinfo Culture avec AFP, « Trois personnes interpellées et mises en examen après le vol de manuscrits de Pouchkine à la bibliothèque de l’Inalco à Paris », Franceinfo, 25 novembre 2023. En ligne : https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/trois-personnes-interpellees-et-mises-en-examen-apres-le-vol-de-manuscrits-de-pouchkine-a-la-bibliotheque-de-l-inalco-a-paris_6206079.html

. Fort heureusement, ils ont échoué et ne sont repartis qu’avec quelques éditions sans grande valeur vénale. Les ouvrages convoités avaient été mis en lieu sûr après un autre vol d’éditions russes rares intervenu en juillet à la Bibliothèque Diderot de Lyon. L’examen des bandes vidéo a permis d’établir qu’un des auteurs de l’intrusion à la BULAC était l’un des deux voleurs ayant opéré à Lyon.

Début octobre, un employé du Deutsches Museum de Münich a été condamné à vingt et un mois de prison avec sursis, et à rembourser 60 600 euros au musée auquel il avait dérobé quatre toiles, dont trois avaient été mises en vente publique. Il n’avait d’ailleurs pas hésité à remplacer un original dérobé par une copie. Une des toiles manquantes a déjà été saisie par la police 3

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20 Minutes avec agence, « Munich : L’employé du musée remplace un tableau par un faux puis le revend une fortune », 20 Minutes, 5 octobre 2023. En ligne : https://www.20minutes.fr/faits_divers/4056368-20231005-munich-employe-musee-remplace-tableau-faux-puis-revend-fortune

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L’été 2023 a été marqué par l’énorme scandale qui a secoué le British Museum et entraîné la démission de son directeur 4

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Marianne MEUNIER et Tristan de BOURBON, « Vols au British Museum : les défaillances d’une institution de référence », La Croix, 1er septembre 2023. En ligne : https://www.la-croix.com/Culture/Vols-British-Museum-defaillances-dune-institution-reference-2023-09-01-1201281041Le Monde avec AFP, « “Environ 2 000” pièces volées au British Museum », Le Monde, 26 août 2023. En ligne : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/08/26/environ-2-000-pieces-volees-au-british-museum_6186639_3246.html • Roxana AZIMI, « À Londres, le British Museum dans la tourmente », Le Monde, 30 août 2023. En ligne : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/08/30/a-londres-le-british-museum-dans-la-tourmente_6187019_3246.html

. Un conservateur du musée a été licencié et est sous investigation policière. Le pot aux roses a été découvert par un marchand d’art danois qui avait acheté sur eBay, à partir de 2014, des objets dont il a pu déterminer la provenance, et identifier le vendeur 5
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Tristan de BOURBON, entretien avec Ittai GRADEL, « Je savais avoir acheté des pièces volées au British Museum », La Croix, 2 septembre 2023. En ligne : https://www.la-croix.com/Culture/Je-savais-avoir-achete-pieces-volees-British-Museum-2023-09-02-1201281117

. Environ 2 000 pièces de petite taille conservées dans les réserves manquent à l’appel. Il s’agit pour l’essentiel de bijoux, de verrerie et de pierres semi-précieuses des civilisations grecque et romaine… dont certaines n’avaient jamais été cataloguées. Une autre dimension du scandale réside dans le temps mis par l’administration du musée à réagir au signalement, dès 2021, des mises en vente sur eBay.

Le British Museum a lancé un appel pour retrouver les objets manquants… et en a déjà récupéré 350 6

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Le Figaro avec AFP, « Le British Museum lance un appel pour retrouver des centaines d’objets volés », Le Figaro, 26 septembre 2023. En ligne : https://www.lefigaro.fr/culture/le-british-museum-lance-un-appel-pour-retrouver-des-centaines-d-objets-voles-20230926Le Figaro avec AFP, « British Museum : près de 350 objets retrouvés sur les 2 000 volés », Le Figaro, 18 octobre 2023. En ligne : https://www.lefigaro.fr/culture/patrimoine/british-museum-pres-de-350-objets-retrouves-sur-les-2000-voles-20231018

. Il a renforcé ses mesures de protection. Désormais, personne n’est autorisé à entrer seul dans une chambre forte. Le musée envisage par ailleurs de décrire et documenter toutes ses pièces sur Internet, un travail considérable portant sur huit millions d’objets, et qui prendra au moins cinq ans.

Cette actualité récente ne saurait nous faire oublier, comme je le signalais déjà dans le Dictionnaire encyclopédique du livre 7

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Dominique VARRY, « Vol de livres », Dictionnaire encyclopédique du livre, tome 3, sous la direction de Pascal Fouché, Daniel Péchoin et Philippe Schuwer, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2011, p. 988-991.

, que le vol de livre est probablement aussi ancien que le livre lui-même. De tout temps, on a essayé de s’en prémunir, d’abord par des formules de sorts menaçant les voleurs du courroux des dieux. On en connaît depuis le VIIe siècle avant Jésus-Christ. Au Moyen-Âge, les sorts furent remplacés par des formules d’excommunication ajoutées aux colophons. On prit aussi l’habitude d’enchaîner les livres. À l’époque moderne, ces formules d’excommunication furent placardées dans les salles de lecture. Certaines bibliothèques obligèrent aussi leurs lecteurs à prononcer à haute voix un serment de ne pas altérer les collections et de respecter les règles de l’établissement. À la bibliothèque Bodléienne d’Oxford, ce serment autrefois prononcé en latin, est toujours exigé des lecteurs mais en anglais, lors des formalités d’inscription à la bibliothèque : « I hereby undertake not to remove, deface, or injure in any way, any volume, document, or other object belonging to it or in its custody: not to bring into the Libray or kindle therein any fire or flame and not to smoke in the Library: and I promise to obey all rules of the Library. » [« Je m’engage par la présente à ne pas enlever, dégrader ou endommager de quelque manière que ce soit tout volume, document ou autre objet lui appartenant ou sous sa garde : à ne pas introduire dans la bibliothèque ou y allumer de feu ou de flamme et à ne pas fumer dans la bibliothèque ; et je promets d’obéir à toutes les règles de la bibliothèque, y compris celles qui concernent l’utilisation de la bibliothèque. »] On n’oubliera pas que le vol de livres a aussi jadis constitué un mode d’acquisition et d’accroissement des bibliothèques, à commencer par des emprunts pour copie de manuscrits jamais restitués !

L’époque contemporaine, malgré la sophistication de ses systèmes de protection, n’échappe pas au phénomène du vol de livres. Celui-ci peut revêtir des formes multiples, du simple « oubli », volontaire ou non, de restituer un livre emprunté au vol avec violence, en passant par le chapardage, le vandalisme consistant à découper les pages ou gravures désirées dans un exemplaire désormais mutilé, les confiscations par fait de guerre ou décision politique (prises de guerre, confiscations révolutionnaires, « conquêtes artistiques », spoliations des Juifs, « trophées patriotiques » soviétiques…).

En rappelant les principales affaires intervenues depuis la fin du XXe siècle, nous passerons en revue un certain nombre de motifs qui peuvent jouer dans le passage à l’acte, un passage à l’acte dont ne sont exempts ni les lecteurs et collectionneurs de documents anciens, ni les professionnels : marchands, chercheurs universitaires, et… gardiens des collections.

Passion, pulsion, besoin de posséder… et cupidité

Les ressorts qui font agir le voleur sont également divers : passion, pulsion, besoin de posséder LA pièce qui manque à sa collection, plan prémédité et mené comme une opération militaire, goût du lucre et besoins financiers, voire montée d’adrénaline dans la transgression. Par ailleurs, de nombreux faussaires furent aussi des voleurs de livres, ainsi de Guglielmo Libri (1803-1869) ou du bibliographe britannique Thomas J. Wise (1859-1937), convaincu en 1934 d’avoir fabriqué de fausses éditions pré-originales romantiques 8

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Dominique VARRY, « Dévoiler les faux », 15 juin 2011. En ligne : http://dominique-varry.enssib.fr/node/34

. À son décès, on découvrit qu’il avait mutilé de nombreux ouvrages anciens du British Museum pour compléter sa collection personnelle 9
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D. F. FOXON, Thomas J. Wise and the Pre-Restoration Drama, Londres, The Bibliographical Society, 1959.

. Plus récemment, ce fut aussi le cas du directeur de la bibliothèque des Girolamini de Naples.

Stephen Carrie Blumberg fut vraisemblablement le plus grand voleur de livres du XXe siècle. Dans les années 1970-1980, il déroba 23 600 imprimés et manuscrits dans 268 bibliothèques de 45 États américains et deux provinces canadiennes, pour une valeur estimée à 20 millions de dollars en 1990, année de son arrestation. Il ne fut condamné qu’à cinq ans et onze mois de prison, basant toute sa défense – c’est une constante dans ce genre d’affaires – sur le fait qu’il était en réalité le sauveur d’un patrimoine mal protégé. Comme dans son cas, la maniaquerie et la bibliomanie expliquent les méfaits des voleurs. D’autres agissent par besoin de posséder. C’est probablement à cette catégorie qu’appartient Stanislas Gosse, professeur agrégé de mécanique, qui entre 2000 et 2002 avait dérobé 1 100 ouvrages et 9 incunables au Mont Sainte-Odile en Alsace. Il avait profité d’un passage secret, oublié et redécouvert par ses lectures, pour pénétrer à son gré dans une bibliothèque fermée, victime de disparitions inexplicables jusqu’à ce qu’on la piège avec des caméras. Le voleur avait agi pour la seule satisfaction de posséder des ouvrages anciens 10

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Le Monde, 25 mai 2002 ; L’Est Républicain, 25 mai 2002 et 26 mai 2022.

. Chez d’autres, les bibliothèques publiques sont mises au service de la complétude de leur propre collection. C’est ce que faisait Wise en son temps sur les collections du British Museum. C’est ce que faisait un riche homme d’affaires et éditeur, Farhad Hakimzadeh, d’origine iranienne, ancien directeur de la Fondation iranienne du patrimoine, et résident à Londres. Il a été condamné, en janvier 2009, à deux ans de prison pour avoir découpé très soigneusement au scalpel et volé des pages dans 150 ouvrages rares du XVIe au XIXe siècle de la British Library et de la Bodléienne d’Oxford 11
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David PALLISTER, « Rare book vandal jailed for two years », The Guardian, 16 janvier 2009. En ligne : https://www.theguardian.com/uk/2009/jan/16/rare-books-farhad-hakimzadeh

Mario Cacciottolo, « The thief who stole pages from history », BBC News, 16 janvier 2009. En ligne : http://news.bbc.co.uk/1/hi/uk/7739953.stm

. En avril suivant, sa peine a été réduite à un an de détention. Collectionneur, il en complétait ou les insérait dans ses propres exemplaires des livres concernés. La police a retrouvé certaines des pages découpées dans son appartement de Knightsbridge. Ce sont les particularités d’exemplaire (tranches dorées, tâches, galeries de ver…) qui ont permis de prouver que ces pages provenaient d’exemplaires de la British Library. L’affaire a été découverte en 2006 quand un lecteur a signalé qu’on lui avait communiqué un ouvrage détérioré. Le personnel de la bibliothèque a alors examiné un à un les 842 volumes qui lui avaient été communiqués depuis son inscription en 1998. Certaines découpes avaient été faites si soigneusement qu’elles étaient à peine visibles. Depuis l’affaire, la vidéosurveillance a été renforcée et le personnel circulant parmi les pupitres des lecteurs multiplié dans les salles de lecture.

Le goût du lucre et l’appât du gain sont le mobile principal de la plupart des voleurs. Spectaculaire fut la tentative de vol de la Bible de Gutenberg de la Widener Library d’Harvard le 19 août 1969 12

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Aaron SKIRBOLL, « He Stole the Gutenberg Bible, Then Became Porn’s Weirdest Star », The Daily Beast, 13 avril 2019. En ligne : https://www.thedailybeast.com/vito-aras-stole-harvard-gutenberg-bible-transformed-into-porn-star-dr-infinity

. Le voleur s’était caché dans les toilettes du 3e étage. Après la fermeture de la bibliothèque, il attacha une corde à un tuyau et descendit jusqu’aux fenêtres de la salle où étaient conservés les deux volumes de la Bible, qu’il mit dans son sac à dos. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était leur poids, et il fut incapable de remonter par où il était venu avec sa corde. On le retrouva le lendemain matin, gisant au sol sérieusement blessé. Il échappa à toute condamnation, et fut un temps interné en psychiatrie. La Bible de Gutenberg a suscité d’autres convoitises. Le 4 septembre 2014, la Cour suprême militaire de Russie a confirmé les sentences d’un à trois ans et demi de prison contre trois anciens officiers supérieurs du service de renseignement (FSB) qui, en 2009, avaient volé dans les magasins de la bibliothèque de l’université d’État de Moscou une Bible de Gutenberg. Celle-ci avait été confisquée par les Soviétiques à l’université de Leipzig en 1945. Les trois voleurs se sont fait prendre en essayant de la revendre en 2013 13
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« Russia’s Supreme Court upholds sentence in Gutenberg Bible theft case », RAPSI, 4 septembre 2014. En ligne : https://rapsinews.com/judicial_news/20140904/272054649.html

. Spectaculaire est également l’affaire Daniel Spiegelman 14
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Travis McDADE, The Book Thief : the true crimes of Daniel Spiegelman, Westport (Conn.) et Londres, Praeger Publishers, 2006.

. Au printemps 1994, il emprunta un ascenseur abandonné à la bibliothèque de l’université de Columbia, démonta un mur, et repartit avec des livres rares. Dans les trois mois qui suivirent, il renouvela l’opération une douzaine de fois, puis partit s’installer en Europe avec pour environ 1,8 million de dollars de livres anciens et de manuscrits. Arrêté aux Pays-Bas, il employa tous les moyens possibles pour retarder son extradition, mais ne réussit qu’à la retarder. Il fut finalement jugé et condamné aux États-Unis.

Les professionnels (libraires, policiers, universitaires…)

Cependant, dans de nombreuses affaires, ce sont des professionnels du livre qui sont en cause.

Dans les années 1920-1930, les bibliothèques de New York, et tout spécialement la New York Public Library, furent mises au pillage par un réseau de voleurs implantés à Manhattan, et dirigé par des bouquinistes et libraires véreux de Book Row (quartier de la 4e Avenue et de la 10e Rue), qui employaient des petits malfrats ou des chômeurs pour dérober les ouvrages des bibliothèques, et alimenter leur commerce. Un policier, G. William Bergquist, se lança dans la traque du réseau, qui sévit du Maine à l’Ohio, et finit par le mettre hors d’état de nuire 15

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McDADE (Travis), Thieves of Book Row : New York’s Most Notorious Rare Book Ring and the Man Who Stopped It, Oxford, Oxford University Press, 2013.

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Le cas du commissaire de police Jean-Marc Peyre, condamné par la cour d’assises d’Indre-et-Loire à cinq ans de prison, en 1993 16

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Libération, 25 novembre 1993.

, pour s’être servi dans les musées et bibliothèques qu’il était chargé de protéger (en particulier à Chartres), et avoir, entre autres choses, mis la main sur trois des sept exemplaires de Le voyage et nauigation, faict par les Espaignolz es Isles de Mollucques d’Antonio Pigafetta des collections françaises, et alors que cet ouvrage ne compte que dix exemplaires connus dans le monde. Arrêté en février 1983, il a été révoqué de la police en 1986. La justice française a mis en cause la firme Sotheby’s, qui avait vendu à New York deux Pigafetta à quelques mois d’intervalle sans s’étonner que des ouvrages aussi rares aient pu lui être proposés par la même personne, qui les a sortis de France sans autorisation. Parmi d’autres, cet exemple rappelle que les grandes maisons de vente internationale ne sont pas exemptes de suspicion, de négligences, et de reproches. En novembre 1997, Christie’s dut retirer en dernière minute d’une de ses ventes londoniennes une Geographia de Ptolémée (Ulm, 1482), et reconnaître qu’elle avait été dérobée à la Bibliothèque nationale de France. En juillet 2004, Christie’s retirait in extremis un livre du XVIe siècle déclaré volé en juin par la bibliothèque de l’Arsenal. Trois affaires récentes ont entamé la confiance des bibliothèques envers les libraires et organismes de vente : celle survenue à Drouot en décembre 2009, dans laquelle un commissaire-priseur et des commissionnaires étaient mis en cause 17
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Michel DELEAN, Adjugé, volé. Chronique d’un trafic à Drouot, Paris, Max Milo Éditions, 2011.

, celle du marchand américain E. Forbes Smiley III, et celle de David Slade, ancien président de l’Antiquarian Booksellers’ Association du Royaume-Uni.

E. Forbes Smiley III, marchand américain de cartes anciennes de réputation internationale, fut arrêté à Yale le 8 juin 2005, avec des cartes dans sa serviette et dans sa veste. Il finit par admettre, le 22 juin 2006, le vol dans six bibliothèques américaines et à la British Library de 97 cartes évaluées à 3 millions de dollars. Il fut condamné à l’automne 2006 à trois ans et demi de prison, et les dommages et intérêts furent relevés, le 22 mai 2007, de 1,9 à 2,3 millions de dollars. Cette affaire a eu pour conséquences d’entraîner une rupture de confiance entre les conservateurs de musées et de bibliothèques et les marchands 18

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Michael BLANDING, The Map Thief, New York, Gotham Books, 2014.

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Ce cas témoigne de l’intérêt de certains voleurs pour les cartes géographiques qui sont très convoitées, ainsi que l’attestent d’autres affaires plus ou moins similaires survenues en Europe. Les bibliothèques françaises ont été, depuis les années 2010, victimes d’une bande pilotée depuis la Hongrie, dont certains membres ont été jugés à Bordeaux en 2018… et d’autres arrêtés à Béziers en 2019. Ils ont été jugés en février 2022 19

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Jean-Pierre AMARGER, « Béziers : un procès marathon pour des vols de cartes géographiques du XVIe siècle partout en France », Midi Libre, 25 février 2022. En ligne : https://www.midilibre.fr/2022/02/25/beziers-un-proces-marathon-pour-des-vols-de-cartes-geographiques-du-xvie-siecle-partout-en-france-10134848.php • N.B. avec AFP, « Béziers : Condamné pour avoir volé et revendu des cartes géographiques anciennes », 20 Minutes, 28 février 2022. En ligne : https://www.20minutes.fr/justice/3243259-20220228-beziers-condamne-avoir-vole-revendu-cartes-geographiques-anciennes

. Fort curieusement, si le début du procès bordelais a été très médiatisé, la presse n’a rien dit de sa suite ni de son verdict ! 20
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Vincent GAUTRONNEAU, « Les faux chercheurs volaient des cartes géographiques anciennes », Le Parisien, 28 mai 2019. En ligne : https://www.leparisien.fr/faits-divers/les-faux-chercheurs-volaient-des-cartes-geographiques-anciennes-28-05-2019-8081820.php • Maxim Simonienko, « Béziers : trois suspects arrêtés pour vol de cartes géographiques anciennes », Actualitté, 29 mai 2019. En ligne : https://actualitte.com/article/13162/archives/beziers-trois-suspects-arretes-pour-vol-de-cartes-geographiques-anciennes • Willy GRAFF, « Besançon : 42 000 € de cartes anciennes pillées à la bibliothèque », L’Est Républicain, 15 mai 2018. En ligne : https://www.estrepublicain.fr/edition-de-besancon/2018/05/15/besancon-42-000-de-cartes-anciennes-derobees-a-la-bibliotheque • Aliénor VINÇOTTE, « Les pilleurs hongrois des bibliothèques françaises comparaissent devant la justice », Le Figaro, 16 mai 2018. En ligne : https://www.lefigaro.fr/culture/2018/05/16/03004-20180516ARTFIG00155-les-pilleurs-hongrois-des-bibliotheques-francaises-comparaissent-devant-la-justice.php

Autre libraire indélicat, David Slade, ancien président de l’Antiquarian Booksellers’ Association du Royaume-Uni, fut condamné à vingt-huit mois de détention en février 2009. Slade avait été commissionné par le financier Evelyn de Rotschild pour dresser le catalogue de sa bibliothèque d’Ascott House. Il en avait prélevé, en cinq ans, 68 titres, estimés à 230 000 £, qu’il avait proposés à une maison de vente 21

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The Guardian, 5 février 2009.

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Les marchands et libraires d’ancien ne sont pas les seuls à succomber à la tentation. Parmi les professionnels pilleurs de collections patrimoniales, il faut aussi, hélas, mentionner des universitaires.

Simon Heighes, un musicologue spécialiste de l’époque baroque, habitué des antennes de la BBC et maître de conférences à Oxford, a été arrêté en mai 1995 et condamné en décembre suivant à deux ans de prison et 160 000 livres d’amende pour avoir volé, à partir de 1992, 78 livres et manuscrits des bibliothèques d’Oxford, et les avoir revendus pour rembourser son hypothèque 22

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Alina TUGEND, « Musicologist’s Theft of Books From Oxford Lands Him in Prison », The Chronicle of Higher Education, 5 janvier 1996. En ligne : https://www.chronicle.com/article/musicologists-theft-of-books-from-oxford-lands-him-in-prison/#:~:text=The%20lecturer%2C%20Simon%20Heighes%2C%20pleaded%20guilty%20to%2012,was%20arrested%20in%20May%20and%20sentenced%20in%20December • Peter VICTOR, « Oxford don jailed for stealing books », The Independent, 16 décembre 1995. En ligne : https://www.independent.co.uk/news/oxford-don-jailed-for-stealing-books-1525877.html

. Christ Church College a récupéré 73 des 74 ouvrages qui lui ont été dérobés. En 2006, le collège était en conflit avec une université d’odontologie japonaise à propos d’un De humani corporis fabrica de Vésale de 1552 qui, après diverses pérégrinations, a été acquis par cette université et est exposé dans son musée 23
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« Law is not on our side, but honour is. We won’t give up », Times Higher Education, 12 mai 2006. En ligne : https://www.timeshighereducation.com/features/law-is-not-on-our-side-but-honour-is-we-wont-give-up/203097.article

. Cette dernière refusait de le restituer, même contre compensation… et la loi japonaise ne l’y obligeait pas. J’avoue ignorer la suite de l’affaire !

Plus récemment, la police a arrêté le 2 mars 2019 un professeur d’Oxford spécialiste de payrologie et de littérature grecque, Dirk Obbing, soupçonné d’avoir dérobé des fragments de papyrii anciens appartenant à l’Egypt Exploration Society, et d’en avoir vendu treize au Musée de la Bible de Washington 24

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« Oxford University professor accused of selling ancient Bible fragments », BBC News, 16 octobre 2019. En ligne : https://www.bbc.com/news/uk-england-oxfordshire-50069365 • Sarah CASCONE, « Police Arrest an Oxford Professor for Allegedly Stealing Ancient Papyrus Fragments and Selling Them to the Museum of the Bible », Artnet, 17 avril 2020. En ligne : https://news.artnet.com/news/oxford-professor-arrested-stolen-papyrus-1837650 • Anna SCHAVERIEN, « Oxford Professor Is Accused of Selling Ancient Texts to Hobby Lobby », The New York Times, 16 octobre 2019. En ligne : https://www.nytimes.com/2019/10/16/world/europe/oxford-professor-bible-hobby-lobby.html • Colin MOYNIHAN, « He Taught Ancient Texts at Oxford. Now He Is Accused of Stealing Some », The New York Times, 24 septembre 2021. En ligne : https://www.nytimes.com/2021/09/24/arts/design/hobby-lobby-lawsuit-dirk-obbink.html

. Depuis, ceux-ci ont été restitués. Mais l’Egypt Exploration Society a constaté la disparition de 120 autres fragments. Le nom d’Obbing figure sur les factures des objets achetés par le musée entre 2010 et 2013 pour plus de 7 millions de dollars. Néanmoins, Obbing réfute toute accusation de vol, et dénonce une cabale universitaire pour nuire à sa carrière.

En juin 2021, on apprenait que le fondateur du Musée de la Bible avait engagé des poursuites contre Obbing devant une cour fédérale de Brooklyn 25

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« Duped again on biblical artifacts, Hobby Lobby sues once-renowned Oxford prof », Reuters, 3 juin 2021. En ligne : https://www.reuters.com/legal/government/duped-again-biblical-artifacts-hobby-lobby-sues-once-renowned-oxford-prof-2021-06-03/

. Il n’a pas comparu et ne s’est pas fait représenter devant cette cour. Le Musée avait déjà été accusé en 2017 d’importations illégales aux États-Unis et avait dû payer 3 millions de dollars au fisc américain. En mars 2020, il avait été obligé de reconnaître que ses fragments des manuscrits de la mer Morte étaient des faux récents, et en mai suivant, de renvoyer en Irak et en Égypte plus de 13 000 objets de provenance douteuse.

Les professionnels des bibliothèques

La corporation des bibliothécaires a, de tout temps, compté en son sein des voleurs de livres. Le plus célèbre demeure sans doute Guglielmo Libri (1803-1869) qui, profitant d’une mission officielle, mit au pillage les bibliothèques françaises, et dont l’affaire constitua à la fois une violente polémique et un immense scandale.

En 1988, Robert M. Willingham Jr. fut condamné pour le vol d’une grande quantité de livres rares à l’Université de Géorgie, où il était responsable des « special collections ». Il avait détruit toutes les preuves de ses larcins, mais une photocopie du catalogue sur cartes, conservée à la bibliothèque des sciences de l’université, permit de le confondre.

En 2003, un scandale secoua le Danemark lorsqu’on s’aperçut qu’un bibliothécaire de la Bibliothèque royale des années 1960-1970 avait subtilisé 3 200 ouvrages, dont 1 800 n’ont pas été retrouvés, et dont une centaine avait atteint le million de livres en vente publique. Le pot aux roses fut découvert lorsque la veuve du bibliothécaire entreprit, avec trois comparses, de revendre des ouvrages chez Christie’s. La maison de vente s’étonna de voir figurer dans le lot un ouvrage de 1517 dont le seul exemplaire connu était à la Bibliothèque royale de Copenhague.

Anders Burius fut le chef du département des manuscrits de la Bibliothèque royale de Suède de 1995 à 2004, année de son arrestation. Il confessa le vol de 56 ouvrages rares, dont trois seulement ont été retrouvés. Après ses aveux, Anders Burius s’est suicidé en se tailladant les veines et faisant sauter sa maison au gaz, blessant douze personnes du voisinage. En 2012 et 2015, deux ouvrages qui avaient été mis sur le marché américain ont été restitués à la Suède 26

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« Help us bring back the stolen books », National Library of Sweden : https://www.kb.se/in-english/about-us/stolen-books.html • Hugues, « Les Etats-Unis rendent deux livres anciens, volés à la Suède », Bibliophilie.com, 29 juillet 2013. En ligne : http://bibliophilie.com/les-etats-unis-rendent-deux-livres-anciens-voles-a-la-suede/

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Mais l’affaire qui a défrayé la chronique ces dernières années est celle de la mise au pillage de la bibliothèque des Girolamini de Naples par son conservateur, nommé par décision politique, bien qu’il n’ait aucune compétence bibliothéconomique. Celui-ci est allé jusqu’à remplacer sur les rayons des éditions originales de Galilée par des faux d’une très haute qualité, qui ont dupé des experts, et dont certains ont été mis sur le marché et sont probablement encore en circulation 27

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Nick WILDING, Faussaire de lune. Autopsie d’une imposture. Galilée et ses contrefacteurs, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2016. Le meilleur résumé de l’affaire est un article du New Yorker du 8 décembre 2013, par Nicholas SCHMIDLE : « A Very Rare Book » (https://www.newyorker.com/magazine/2013/12/16/a-very-rare-book), dont une traduction française est disponible sur le site Ulyces : http://www.ulyces.co/nicholas-schmidle/le-faussaire-de-galilee-de-caro-vol/ • Voir aussi : Dominique VARRY, « Dévoiler les faux », 15 juin 2011. En ligne : http://dominique-varry.enssib.fr/node/34

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La France a connu quelques affaires délicates. En 1993, Patrick Michel, employé du musée de Chambéry, fut condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et 555 000 francs de dommages et intérêts, pour avoir subtilisé entre 1974 et 1988 des dizaines d’ouvrages anciens d’une annexe de la bibliothèque municipale, qui estima son préjudice à 1,9 million de francs. Là encore, comme souvent, le voleur est apparu comme le sauveteur d’un fonds à l’abandon et ses avocats ont soutenu cette thèse 28

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Le Monde, 28 et 29 octobre 1990, 27 et 28 novembre 1990.

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Michel Garel, conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France et responsable des manuscrits hébreux, fut arrêté sur son lieu de travail le 29 juillet 2004. On lui reprocha d’abord le vol de 145 imprimés et deux manuscrits, avant de limiter l’accusation au seul manuscrit H52, une bible hébraïque du XIIIe siècle dont il avait signé, prétendument de bonne foi, une autorisation d’exportation pour sa mise en vente chez Christie’s à New York, en mai 2000, où il fut adjugé 353 700 dollars. Michel Garel a été condamné le 10 mars 2006 à deux ans de prison avec sursis et 400 000 euros de dommages et intérêts. Sa peine a été aggravée en appel le 26 janvier 2007 et portée à trois ans de prison, dont quinze mois ferme, et 75 000 euros d’amendes. Il a été radié de la fonction publique. Il reconnut alors le vol et la vente du manuscrit. Celui-ci a été restitué à la Bibliothèque nationale de France en janvier 2007, sur décision de la cour suprême de l’État de New York. Il a été amputé de 63 feuillets, ses estampilles avaient été grattées, ses marges coupées, et sa reliure refaite avant sa sortie de France 29

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Le Monde, 28 et 29 juin 2005.

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Courant 2015, une nouvelle affaire secoua la bibliothèque. Découverte en mars, elle n’a été révélée par la presse qu’en juillet 30

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Antoine OURY, « Vols à la BnF : un audit programmé, le ministère mis en cause », Actualitté, 22 juillet 2015. En ligne : https://actualitte.com/article/38584/bibliotheque/vols-a-la-bnf-un-audit-programme-le-ministere-mis-en-cause • Franceinfo Culture avec AFP, « Vols en série à la Bibliothèque nationale de France », 23 juillet 2015. En ligne : https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/vols-en-serie-a-la-bibliotheque-nationale-de-france_3320913.html

. Un employé fut convaincu d’avoir découpé et subtilisé 43 estampes de Brueghel l’Ancien dans les magasins, et d’en avoir revendu une partie à un marchand néerlandais, lequel les avaient cédées à un collectionneur belge. La seconde partie des estampes a été retrouvée au domicile de l’employé indélicat, qui a été incarcéré. En décembre 2015, c’est un employé de l’université Lyon-1 qui fut convaincu d’avoir dérobé et mis en vente sur Internet des ouvrages anciens de médecine du musée Testut-Latarjet de l’université 31
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C. G., « Lyon : il pillait le musée et revendait ses larcins aux enchères sur Internet », 20 Minutes, 15 décembre 2016. En ligne : https://www.20minutes.fr/lyon/1981211-20161215-lyon-pillait-musee-revendait-collections-encheres • « Il avait tenté de vendre sur Internet son butin du musée Testut-Latarjet », LyonMag.com, 15 décembre 2016. En ligne : https://www.lyonmag.com/article/84851/il-avait-tent-de-vendre-sur-internet-son-butin-du-muse-testut-latarjet

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Enfin, un article accusateur du Monde relatif à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, publié le 17 octobre 2022 32

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Victor CASTANET, « L’affaire “Doucet” : mystérieuses disparitions d’œuvres rares dans une bibliothèque parisienne », Le Monde, 17 octobre 2022. En ligne : https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/10/17/l-affaire-doucet-mysterieuses-disparitions-d-uvres-rares-dans-une-bibliotheque-parisienne_6146192_3246.html

, eut pour conséquence un suicide.

Si les bibliothèques comptent parfois quelques voleurs dans leur personnel, elles sont surtout négligentes. Au printemps 2015, une New-yorkaise, Margaret Tanchuk, décida de mettre en vente huit livres anciens trouvés dans les affaires de son père décédé : sept bibles datant de 1672 à 1861 et un manuscrit de Benjamin Franklin antérieur à 1776. L’expert contacté remarqua des cotes de la New York Public Library, et alerta celle-ci. Le vol aurait eu lieu entre 1988 et 1991, sans que personne ne s’en aperçoive. Aucune plainte n’a jamais été déposée. Le manuscrit a été estimé plus de 2 millions de dollars. Une bataille juridique s’est engagée entre les deux parties devant la cour fédérale de Manhattan.

Mais les bibliothécaires ont parfois d’heureuses surprises.

En 1975, le bibliothécaire de Lambeth Palace, la résidence londonienne de l’archevêque de Canterbury, avait remarqué des trous sur ses étagères, à l’emplacement de livres importants qui demeurèrent introuvables. Une enquête interne montra que ces disparitions n’étaient pas uniques, et que les fiches des ouvrages en question avaient disparu des fichiers. Il manquait une soixantaine de volumes. La police et le syndicat de la librairie ancienne furent prévenus. Aucun des ouvrages en question ne refit surface. Trente-cinq ans plus tard, en février 2011, le nouveau bibliothécaire fut contacté par un homme de loi qui s’occupait de la succession du coupable du vol, récemment décédé. L’homme de loi avait reçu une lettre contenant une confession complète et indiquant la localisation des volumes. Le bibliothécaire, assisté d’un collègue, découvrit dans un grenier londonien non pas 60 volumes, mais environ 1 400, dont certains avaient appartenu aux collections des archevêques de la période élisabéthaine qui constituèrent le fonds initial de la bibliothèque lors de sa création en 1610. Tous les livres ont fait retour à Lambeth Palace, où ils ont été catalogués et restaurés après les tentatives d’effacer les anciennes provenances 33

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Alison FLOOD, « Lambeth Palace retrieves stolen collection of extraordinary rare books », The Guardian, 29 avril 2013. En ligne : https://www.theguardian.com/books/2013/apr/29/lambeth-palace-stolen-books-retrieved

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Les sorts, excommunications, livres enchainés… ont perdu toute efficacité. Les systèmes contemporains d’antivol et de RFID (Radio Frequency Identification) ont leurs limites… et ne peuvent être utilisés sur des collections anciennes, au risque de les mutiler. D’ailleurs, certains voleurs astucieux leur ont trouvé des parades. La difficulté avec le livre, contrairement à un tableau, est qu’il est rarement unique, et que son apparence peut être modifiée. D’où l’importance des photographies et de la numérisation pour les particularités d’exemplaire. Ce sont elles qui ont permis de prouver les agissements coupables de l’Iranien à la British Library. Il y a maintenant bien longtemps, j’ai été amené à intervenir chez un libraire parisien auquel on avait proposé des ouvrages portant des cachets grattés. J’avais pu les lire, et la consultation du catalogue imprimé au XIXe siècle de la bibliothèque pillée m’avait donné les notices des ouvrages examinés… mais sans les particularités d’exemplaire, sans mentionner les reliures aux armes que j’avais sous les yeux ! Cette affaire m’a permis de comprendre tout l’intérêt de leur relevé. Or la plupart des catalogues des bibliothèques françaises ne les mentionnent pas. J’ai réalisé il y a quelques années le catalogue du fonds ancien d’une bibliothèque rhônalpine, et j’ai fourni les photographies des particularités d’exemplaires des ouvrages décrits. Pour moi, c’était une précaution contre le vol. Les anciens catalogues, sur fiches et sur papier, sont également des sauvegardes. Plusieurs des cas évoqués l’ont démontré. Rien n’est plus facile que de modifier un catalogue informatique, et de faire disparaître des données 34

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Un exemple pour les amateurs de romans policiers : Veronica STALLWOOD, Oxford Exit, Londres, Headline, 1994. Quand des manipulations des catalogues informatiques permettent des vols de livres rares à la bibliothèque Bodléienne !

. Les récolements 35
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Sabine GIGNOUX, « Musées en France : des collections publiques touchées par des vols en interne », La Croix, 2 septembre 2023. En ligne : https://www.la-croix.com/Culture/Musees-France-collections-publiques-touchees-vols-interne-2023-09-02-1201281100

, la limitation de l’accès aux rayonnages, la surveillance par caméras et humaine sont indispensables. C’est parce que le bibliothécaire d’Auxerre a fait flanquer en permanence Libri d’un surveillant durant ses consultations diurnes et nocturnes que son établissement a été le seul de ceux visités par ce voleur à échapper à ses exactions.

La longue liste des affaires que j’ai évoquées, qui est loin d’être exhaustive, pourrait faire croire à une multiplication de ces exactions au moment où le développement des plates-formes en ligne limite la traçabilité des objets qu’elles proposent ; ce n’est qu’une impression. Il existe aujourd’hui des bases de données d’objets volés et des listes de discussion électroniques consacrés à ce problème, qui permettent d’alerter en temps réel. Interpol et les polices nationales, la Ligue internationale de la librairie ancienne, des associations professionnelles de conservateurs de musées et de bibliothèques ont les leurs, mais elles sont étanches entre elles. Elles ont cependant déjà démontré leur efficacité. Trop souvent, les vols ne sont constatés que bien longtemps après avoir été commis, ou ne sont pas datables. Contrairement aux pratiques anciennes, la tendance générale est aujourd’hui de publiciser les vols et actes de vandalisme et de porter plainte systématiquement, en espérant limiter ces agissements, prévenir les autres victimes potentielles, et obtenir des condamnations plus lourdes que par le passé. Le ministère français de la Culture a mis en ligne des préconisations sur la sûreté des collections 36

. La France et l’Italie, pays parmi les plus pillés en raison de leur richesse artistique, se sont tous deux dotés de services de police spécialisés. La France a créé en 1975 un Office central de la répression du vol d’œuvres et d’objets d’art, devenu en 1997 Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), dépendant de la Direction centrale de la police judiciaire. Composé de gendarmes et de policiers, il travaille en liaison avec les Douanes, la Gendarmerie nationale, et les ministères de la Culture, de la Justice et des Affaires étrangères. Depuis 1995, il dispose d’une base de données TREIMA (Thesaurus de recherche électronique et d’imagerie en matière artistique) qui inclut des images d’objets dérobés en France et de ceux volés à l’étranger et signalés par Interpol. Ils ont fait la preuve de leur efficacité dans certains des cas évoqués ici. Contre le vol en bibliothèque, il n’y a aucune parade infaillible. La protection des collections est l’affaire de tous : professionnels et usagers.