Opération #PerlesBA : valoriser le patrimoine en bibliothèques d’archives

Alexandre Chevaillier

Thierry Claerr

Juliette Gaultier

Anne-Laurence Hostin

Annie Prunet

Par définition, les bibliothèques d’archives (BA) sont à la fois des bibliothèques de conservation, d’étude et de recherche et des services de documentation historique et administrative implantés au sein de centres d’archives pour servir aux archivistes, aux administrations et aux chercheurs – spécialistes, curieux ou amateurs d’histoire 1

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Pour une présentation des missions et du fonctionnement des bibliothèques d’archives, voir Le petit guide des archives par Véronique Bernardet et Sabine Souillard, publié en 2010 par l’Association des archivistes français, avec une préface fort instructive de Pascal Even débutant ainsi : « Des livres dans les archives ? Longtemps le sujet des bibliothèques d’archives n’a guère retenu l’attention des archivistes. Le faible nombre des textes réglementaires concernant la collecte, l’organisation et la gestion des livres conservés dans les services d’archives, témoigne suffisamment de cette indifférence sinon légitime, du moins explicable dans des institutions vouées à la conservation de documents d’archives. »

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Longtemps restées méconnues 2

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Les bibliothèques d’archives sont les grandes oubliées de l’importante collection Patrimoine des bibliothèques de France éditée en 1995 par le ministère de la Culture et les Banques CIC pour le livre.

, considérées comme auxiliaires des fonds d’archives et parfois réservées au seul personnel des archives, leurs collections côtoient dans les magasins des actes du pouvoir souverain, des plans d’architectes, des photographies, des minutes notariales, des dossiers de procédures judiciaires, etc., souvent privilégiés dans l’étude comme dans la valorisation 3
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À l’exemple de l’ouvrage Joyaux d’archives, joyaux d’histoire. Les Archives départementales de la Côte d’Or à l’aube du troisième millénaire : onze siècles d’histoire publié en 2001 aux éditions de l’Armançon par les Archives départementales de la Côte-d’Or, sans mentionner leur bibliothèque.

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Mettant naturellement l’accent sur les sources primaires – les archives – dont ils avaient la charge, les archivistes ont longtemps négligé de signaler les collections de leurs bibliothèques. Ne bénéficiant pas souvent de l’expertise des personnels scientifiques des bibliothèques, elles se sont accrues en silence, dans l’ombre… Certains archivistes en sont même venus à se les approprier pour leurs besoins professionnels et scientifiques.

Alors difficile d’imaginer que ces bibliothèques, bicéphales – à la fois administratives et historiques – et souvent construites par étapes, au fil du temps, parfois victimes d’achats inappropriés et de dons ou dépôts incongrus, puissent, elles aussi, être de belles bibliothèques, riches de leur variété : ouvrages du fonds local, travaux universitaires et scientifiques, revues de sociétés savantes, presse ancienne, catalogues d’expositions, livres d’archivistique, publications administratives, littérature grise…

Mais l’arrivée de l’informatisation des catalogues dans les années 1980 engagea les directeurs d’archives à recruter des bibliothécaires professionnels, nommés responsables et gestionnaires des collections. Le traitement des fonds devint une priorité et l’image des bibliothèques d’archives commença à évoluer.

La naissance d’un réseau de bibliothécaires d’archives

Depuis 2013, les bibliothécaires qui gèrent ces collections en service d’archives se sont rassemblés en un réseau, qui devient rapidement national, tant est grand le besoin d’échanger entre pairs. Son statut a évolué vers celui de groupe de travail de l’Association des archivistes français (AAF). Les professionnels ont œuvré à la reconnaissance de la fonction de « bibliothécaire d’archives » ainsi qu’à la valorisation et à la médiation des collections. Ceci a été rendu possible grâce à l’animation du groupe par un petit noyau d’actifs, à la fidélité des membres, à la tenue d’un site Internet 4

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Site en cours de restructuration : https://deslivresauxarchives.e-monsite.com/ (consulté le 13 octobre 2023).

et à la création de rencontres permettant d’aller à la découverte de nouveaux usages ou d’échanger sur des pratiques du quotidien. Ces événements sont toujours l’occasion d’enrichissements, d’apprentissages et d’émerveillements. Aujourd’hui les bibliothèques d’archives, et cela est heureux, font l’objet d’un intérêt croissant.

Le groupe s’empare du patrimoine en bibliothèques d’archives

En avril 2019, les interventions d’un séminaire sur l’étude des provenances dans les bibliothèques territoriales françaises 5

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Programme du séminaire, organisé à Lyon, le 3 avril 2019 : https://bvh.hypotheses.org/4751

ont résonné dans la tête d’un des membres du groupe de travail. Les responsables des fonds patrimoniaux les plus prestigieux de France, hébergés dans des bibliothèques renommées, présentaient l’avancée de leurs travaux : les imprimés anciens acquis au XIXe siècle, la reconstitution de bibliothèques saisies à la Révolution, etc. La journée était riche, illustrée avec des images de documents superbes. Mais où étaient les bibliothèques d’archives ? Où étaient leurs bibliothécaires qui avaient identifié dans leurs fonds les trésors d’un patrimoine hétéroclite ? Si ce patrimoine est moins prestigieux, si la volumétrie des collections n’est pas comparable, l’absence des bibliothèques d’archives dans les débats professionnels sur la question de la patrimonialité semble injustifiée.

En effet, au cours de recherches, d’un traitement de fonds jusqu’alors en déshérence ou lors d’une acquisition, les bibliothèques d’archives font la découverte exceptionnelle de pépites, de perles : des exemplaires rares, des premières éditions, des livres richement illustrés… Ou des petits fonds privés, cachés, à peine traités… Un patrimoine est là, mais les bibliothécaires d’archives sont-ils les seuls à le savoir ?

Alors, la rencontre professionnelle à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris en octobre 2019, organisée par le groupe BA, a eu pour ambition de remédier à cet oubli et de prendre la mesure de la patrimonialité en ses murs. Les bibliothèques des Archives de l’Oise, des Yvelines, de la Seine-Saint-Denis, de Marseille, de Meurthe-et-Moselle, des Archives nationales et du Centre culturel irlandais ont répondu à l’appel et ont dévoilé quelques richesses.

En novembre 2021, la thématique est reconduite au Centre culturel irlandais. La reconnaissance de ces fonds d’excellence en BA fait son chemin, à l’image notamment de la Bibliothèque diplomatique numérique (BDN) des Archives diplomatiques qui bénéficie du dispositif « Gallica marque blanche » depuis 2018 et de la bibliothèque des Archives nationales d’outre-mer qui est labellisée CollEx en 2020.

S’il était besoin de s’en convaincre, le patrimoine en bibliothèques d’archives existe bien et doit être montré pour être reconnu ! À bâtons rompus, le groupe discute des formes possibles d’une médiation commune sur le patrimoine en BA jusqu’à formuler, durant le « Mois de l’engagement » en mai 2022 6

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Présentation du « Mois de l’engagement » par l’AAF : https://lemoisdelengagement.archivistes.org/a-propos-du-mois-de-lengagement

, l’ébauche d’une action. Le projet est ainsi soumis à l’AAF par les deux coordinateurs, Annie Prunet et Alexandre Chevaillier.

Une dynamique de groupe au service des collections

L’année anniversaire 2023 des 10 ans du groupe de travail BA marque l’aboutissement du projet phare #PerlesBA, une vitrine numérique pour les bibliothèques d’archives. L’ambition est double : faire connaître, exposer des collections protéiformes et souvent méconnues, des richesses singulières conservées au sein d’une masse documentaire ; puis faire naître le dialogue entre les usagers et des documents convoquant tout au moins l’une des acceptions de la patrimonialité (ancienneté, valeur, rareté, originalité… ou tout autre critère d’appréciation appartenant au bibliothécaire). En somme, il s’agit de créer la rencontre entre le public et les bibliothèques d’archives…

L’AAF accepte immédiatement de mettre à disposition ses réseaux sociaux numériques (Facebook, LinkedIn, Twitter) avec le hashtag #PerlesBA, ainsi que son site Internet 7

. La difficile sélection d’une seule et unique perle par bibliothèque retarde quelque peu les réponses au premier appel à contributions en juin 2022. L’engouement ne se fait plus attendre. Le travail de relecture, la mise en forme et la programmation des contenus, intensément condensés sur les trois derniers mois de 2022, permet d’aboutir à des articles comportant en moyenne 1 500 caractères et 6 illustrations.

La publication s’échelonne tout au long de l’année 2023 à un rythme soutenu, et deux à trois documents sont diffusés chaque mois. Certains mettent l’accent sur un fonds local, d’autres sur des particularités d’exemplaires (reliure, ex-libris, etc.) ; certains décrivent un document unique, d’autres une collection (journaux d’association, magazines, monographies communales d’instituteurs, bibliothèques de collectionneurs) ; certains signalent des ouvrages anciens (dont des incunables et post-incunables), d’autres décrivent des éditions très modernes. Les thématiques sont tout aussi bigarrées : navigation, médecine, histoire sociale, art et littérature, industrie, religion, flore et environnement, etc. La promenade en livres, en périodiques et en brochures, traverse également tout le territoire français, en autorisant parfois des excursions en dehors de l’Hexagone, grâce aux 33 services d’archives qui ont répondu présents, qu’ils soient nationaux ou à compétence nationale, départementaux, communaux ou des partenaires assimilés.

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Figure 1. HOUELLEBECQ, Michel, LANGLOIS VILLAT, Peggy, Saint-Cirgues-en-Montagne, Vallon-Pont-d’Arc, Éditions du Bourdaric, 2013. 8 p. : ill. en coul., 28 cm.

© Archives départementales de l’Ardèche, BIB-4 BR 3139.

La variété souhaitée est donc au rendez-vous, digne de répondre à la curiosité d’un vaste public, et pas uniquement à celle des habitués des archives. Par ailleurs, presque la moitié des perles illustrent le lien étroit entre la bibliothèque d’archives et les archives, la première servant les secondes, connexe et non annexe : une complémentarité qui tient à cœur des bibliothèques d’archives, qui doit être illustrée en salle de lecture et sur les écrans.

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Figure 2. Evian Cachat : L’eau qui Guérit. Evian-les-Bains, la Station qui Rajeunit. Les Alpes de Savoie, Le Pays qui Sourit, Paris, Londres, Bureaux de renseignements, [après 1914], non paginé.

© Archives départementales de Haute-Savoie, GF 4817.

Que restera-t-il de nos amours ?

Au crépuscule de 2023, le groupe de travail est satisfait de l’aboutissement de ses #PerlesBA et de l’engagement choral des bibliothécaires d’archives. C’est pourquoi, il souhaite poursuivre la partition… D’autant plus que de nouveaux services d’archives – une dizaine – rejoignent l’orchestre.

Scripta manent, dit-on ! Certes, mais les écrits numériques sont encore trop volatils et surtout moins pratiques à feuilleter. C’est pourquoi les #PerlesBA ont l’ambition de se pérenniser et de matérialiser – une fois n’est pas coutume ! – en un catalogue papier, avec une réelle plus-value scientifique et bibliothéconomique. Il ne s’agit pas en effet de publier des contenus existants : ils seront d’une part retravaillés et densifiés pour répondre aux exigences du nouveau format, puis seront d’autre part complétés par de nouvelles contributions. Enfin, les perles, structurées et contextualisées, seront enrichies d’éléments historiques sur les bibliothèques d’archives et le métier, en retraçant leur évolution depuis les gisements de livres aux bibliothèques d’archives 2.0 d’aujourd’hui et vers les bibliothèques d’archives de demain.