Accéder aux équipements numériques et informatiques : un besoin fondamental pour les étudiants, un enjeu de service public pour les bibliothèques universitaires
Fin mars 2020, peu de temps après le début du premier confinement et alors que l’ensemble des établissements et acteurs de l’enseignement supérieur travaillaient à maintenir autant que possible les enseignements et le lien avec les étudiant·es, la Région Occitanie a débloqué une aide d’urgence pour acheter et donner aux universités des ordinateurs portables afin qu’ils soient distribués aux étudiant·es qui en avaient besoin, notamment pour suivre les cours en ligne. Face à la demande, la Région a renouvelé cette opération à la fin de l’année 2020, portant le nombre d’ordinateurs prêtés à un peu plus de mille.
Dès le mois de mai 2020, les bibliothèques universitaires (BU) rouvraient leurs portes en adaptant leur organisation pour assurer la sécurité de tous dans le contexte très contraignant de la crise sanitaire : accès sur rendez-vous (réservation de places assises), adaptation des horaires d’ouverture au gré des couvre-feux, aménagement des espaces publics (jauge, distance de sécurité, sens de circulation, nettoyage des espaces et des équipements). Très vite, les BU ont été amenées à proposer une description fine des places de travail réservables, précisant celles équipées d’ordinateurs et de prises électriques afin de répondre aux besoins exprimés par la communauté étudiante.
Ces deux situations sont significatives à plus d’un titre. Elles permettent de qualifier la « dépendance numérique » des étudiants, pour qui l’accès à un ordinateur est une nécessité dans le cadre de leurs études (consulter l’espace numérique de travail et la messagerie, accéder à des cours en ligne en mode synchrone ou asynchrone, préparer et rendre des travaux universitaires…). Elles soulignent que des difficultés d’accès aux ressources et aux outils numériques via les équipements informatiques peuvent être sources d’inégalités au sein de l’université. Elles illustrent aussi de manière emblématique le rôle de recours que les BU jouent auprès des étudiants en situation de précarité numérique… rôle relativement invisible avant la crise sanitaire et que cette dernière a contribué à mettre en lumière. Les principales conséquences durables sont exposées ci-dessous, à travers l’exemple du service de prêt d’équipements informatiques géré par le service commun de documentation de l’université de Montpellier.
Avant la crise sanitaire : une adaptation « au coup par coup »
Le prêt d’équipements informatiques ne date pas de la crise sanitaire. Les BU de Montpellier proposaient ce service depuis de nombreuses années, selon une logique de réponse à un besoin exprimé sur un campus donné à un moment donné. Dans un premier temps, des ordinateurs portables ou des netbooks ont été proposés en prêt sur place. Service complémentaire de celui des « salles RDI » (recherche documentaire informatisée) ou des espaces de consultation d’ordinateurs en libre accès dans les BU, il s’agissait de permettre à un plus grand nombre d’étudiant·es de mener des recherches documentaires (accès aux ressources en ligne et à internet) pendant le temps de leur séjour en BU. Une manière de renforcer l’offre d’équipements numériques sans devoir équiper des places informatiques supplémentaires, l’utilisation d’un réseau wifi renforcé dans les BU autorisant cette extension de service.
Le constat d’un besoin exprimé par les étudiant·es ou l’anticipation d’un besoin face à la généralisation des ordinateurs portables, mais aussi des tablettes, a poussé les BU vers le milieu des années 2000 à mettre en place le prêt d’équipements numériques « à domicile » : il devient possible pour un étudiant d’emprunter un netbook ou une tablette en « prêt court » (15 jours en général, non renouvelable). Ce service s’étend petit à petit à toutes les BU, avec une hétérogénéité des équipements et des choix de matériels s’appuyant sur les pratiques identifiées ou projetées des différentes communautés étudiantes : netbooks auxquels s’ajoutent des iPad pour les BU de santé et la BU Richter (droit, sciences économiques et de gestion) et des PC Surface pour la BU sciences.
Un travail important a été mené par les correspondants informatiques en BU pour « customiser » les écrans d’accueil à destination des étudiants : liens directs vers le catalogue en ligne, vers des ressources en libre accès, voire vers des livres électroniques achetés directement pour un accès « tablette » sur les iPad. Les circuits de prêts et de traitement des équipements ont nécessité de longs échanges en interne : pour les prêts, il s’agit de définir un service le plus facilement et simplement accessible aux étudiant·es tout en sécurisant autant que possible les garanties d’intégrité du matériel (tant en raison des montants engagés que pour assurer la continuité de service). La problématique du traitement des équipements relève pour sa part de l’identification des actions nécessaires à la prise en charge de l’équipement au moment de sa restitution (gestion des retours en banque d’accueil) jusqu’à sa remise à disposition des usager·es (avec une recherche d’optimisation du temps passé et d’automatisation des opérations de réinitialisation).
Le nombre d’équipements informatiques en prêt s’est stabilisé un peu avant la crise sanitaire, avec 119 tablettes ou ordinateurs portables en prêt, en compléments des 168 ordinateurs fixes accessibles dans le réseau des 12 BU de l’université.
Affiche de la campagne « Un PC pour mes études » à la rentrée universitaire 2021
La crise sanitaire : un révélateur qui a conduit à la mise en place d’un nouveau service
Au sein de l’université de Montpellier, la gestion de la mise à disposition des ordinateurs portables dits « PC Région » en 2020 et 2021 a été confiée à la direction de la vie des campus (DVC) déjà en charge des actions sociales auprès des communautés étudiantes. La DVC s’est alors rapprochée du service commun de documentation (SCD), notamment parce que le réseau distribué des BU sur le territoire favorisait une bonne visibilité et une large ouverture du dispositif auprès des étudiant·es. Par ailleurs, le fait que le SCD puisse gérer facilement les prêts et le suivi des usages via son système de gestion de bibliothèque permettait de rendre le dispositif opérationnel rapidement sans développement ou recherche d’outil de gestion supplémentaire.
L’organisation mise en place reposait sur les principes suivants :
- identification des bénéficiaires sur critères sociaux par la DVC : remontées du Crous ou des assistants sociaux de l’UM, sollicitation des services de scolarité des UFR, écoles et instituts ;
- délivrance d’une attestation à l’étudiant·e à présenter en BU pour l’emprunt d’un ordinateur « Région » ;
- catalogage des ordinateurs dans le système de gestion de bibliothèque, avec définition du service pour un droit de prêt jusqu’à la fin du semestre ;
- au retour de l’ordinateur portable par l’étudiant·e, prise en charge par les correspondant·es informatiques dans les BU qui gèrent la réinitialisation du poste avant de le remettre le circuit de prêt ;
- points de suivi réguliers entre le SCD et la DVC (gestion des demandes spécifiques, des problèmes, échanges de statistiques…).
Le dispositif a fait l’objet d’un bilan partagé au printemps 2021, dans l’objectif de déterminer un fonctionnement pérenne, fonctionnel, hors période d’urgence sanitaire et dédié à la lutte contre la fracture numérique. Si la modalité de prêt d’ordinateur sur une durée longue est apparue comme répondant aux besoins, certains points de difficultés ont pu être identifiés :
- le dispositif était à la fois très centralisé (toute demande passe par la DVC) et individualisé (avec un temps de partage d’information sur les bénéficiaires peu compatible avec la réactivité attendue de ce genre de service) ;
- les sites distants (notamment hors Montpellier) restaient peu ou mal desservis ;
- le prêt au semestre faisait l’objet de très nombreuses demandes de prolongation.
Sur la base de ces éléments, après validation de la vice-présidente Formation et vie universitaire, un nouveau service a été lancé à la rentrée universitaire 2021 : « Un PC pour mes études », avec 869 ordinateurs (une partie des équipements n’ayant jamais été restitués au sortir de la crise sanitaire).
Ce service est géré par le SCD. Il se définit et s’organise selon les principes suivants :
- il transforme le dispositif d’urgence en un service de droit offert aux étudiant·es. La dimension sociale du projet est bien conservée, notamment par une communication ciblée) ;
- la répartition des ordinateurs entre les BU a été revue sur la base des statistiques d’usage, à la fois pour améliorer l’accès au service sur les sites distants et pour toucher les étudiant·es les plus demandeur·euses ;
- la durée du prêt a été étendue à l’année universitaire (septembre-juin).
Un mode d’emploi précise les conditions de prêt, notamment l’absence d’assistance individuelle et l’importance des sauvegardes sur supports ou dans des espaces de stockage appartenant à l’étudiant·e. L’ordinateur est prêté à l’usager·e aux paramètres d’usine, avec un seul compte générique SCD UM ne nécessitant aucune authentification.
Le bilan mené à l’été 2022 a permis de caractériser certains usages, avec pour conséquence une évolution du service sur l’année universitaire 2022-2023 :
- le taux de prêt s’établit à 1,01. Le prêt longue durée est donc plébiscité par les étudiant·es qui en majorité gardent l’ordinateur toute l’année universitaire ;
- les deux premiers mois de la rentrée concentrent plus de la moitié des prêts. L’effet de la campagne de communication est visible en octobre (qui enregistre le plus fort taux de prêts) et en février et mars (2e campagne de communication, début des stages) ;
- les étudiant·es en licence constituent le groupe emprunteur le plus important (60 % des emprunteurs), quels que soient le moment de l’année, la composante ou la bibliothèque ;
- près de 200 demandes de prolongation ont été acceptées sur critères et justificatifs (17 % du stock prêté) : 56 étudiant·es en licence, dont 44 pour préparer les sessions de rattrapage (fin du prêt en juillet), 85 étudiant·es en master pour stage et/ou mémoire, 6 doctorants.
Pour s’adapter à la demande, la possibilité de prolongation est désormais formalisée et communiquée aux usager·es. Elle s’effectue à compter de la mi-juin (date de retour fixée initialement) sur justificatif présenté à la BU ou via le service de questions-réponses en ligne (Ubib). Les motifs de prolongation répondent principalement à des impératifs liés au travail universitaire (sessions de rattrapage des partiels, rédaction de mémoire de stage ou de recherche pendant l’été) mais pas exclusivement : les demandes d’étudiant·es ayant trouvé un job d’été nécessitant un ordinateur portable non fourni par l’employeur sont également prises en compte. Dans tous les cas, l’accompagnement s’inscrit dans un cadre social, scolaire et d’égalité des chances.
Le service proposé à l’université de Montpellier a également intégré en début d’année 230 Chromebook donnés à l’établissement par la Fondation Boulanger. La communication auprès des étudiant·es a été adaptée à ce type d’équipement spécifique pour permettre aux usager·es d’en solliciter le prêt en comprenant bien les usages possibles.
Une qualité de service et des enjeux autour de sa pérennisation
Le SCD de l’université de Montpellier propose aujourd’hui une offre diversifiée pour l’accès et l’utilisation d’équipements informatiques et numériques :
- dans les BU, l’accès aux ordinateurs mais aussi la possibilité d’emprunter des accessoires (câbles HDMI, clés USB, casques audio) dont l’usage est aujourd’hui devenu indispensable. Les casques audio représentent la deuxième ressource prêtée, derrière les salles de travail en groupe et devant les ordinateurs : plus de 8 500 prêts sur les douze derniers mois pour les casques, près de 1 500 pour les équipements informatiques ;
- à domicile ou en usage nomade, le prêt d’ordinateurs portables et de tablettes mais aussi (depuis fin 2022) de lecteurs de DVD externes.
Les BU représentent des atouts majeurs au sein des universités pour accompagner les étudiant·es et lutter contre la précarité numérique : lieux centraux sur les campus, points de référence pour tous les étudiant·es, elles sont ouvertes très largement (à l’université de Montpellier, l’organisation du SCD permet à tout·e usager·e d’accéder à une ou plusieurs BU le soir jusqu’à 22 h 30 en semaine, les samedis et dimanches toute la journée).
Elles ont modernisé leurs espaces pour être en capacité de répondre aux nouvelles pratiques de travail induites par la généralisation des outils et des ressources numériques. Car il ne suffit pas de mettre à disposition des équipements informatiques, encore faut-il les installer dans des lieux permettant leur bon usage (suivre une visio, passer un entretien, s’entraîner à une présentation orale…). Les personnels de bibliothèque font vivre les services numériques, sur place comme à distance. Leur présence et leur travail sont une condition sine qua non à toutes les étapes : définir le service (en qualifiant le besoin des usager·es et en adaptant l’organisation), le mettre en œuvre (acheter et préparer les matériels, les signaler dans le catalogue, gérer les interactions avec les usager·es), en garantir la qualité (suivre l’état du parc informatique et des matériels accessoires, être réactif·ves), l’évaluer et le faire évoluer (suivre les usages sur le plan qualitatif et quantitatif). Au sein du SCD, le service des services aux publics travaille ainsi en étroite collaboration avec le bureau des équipements numériques (huit correspondants informatiques).
Les bibliothécaires ne travaillent pas seul·es sur ce service au sein de l’université : le dialogue avec la DVC nourrit la réflexion sur les objectifs et les ajustements pour tenir compte de la situation sociale des étudiant·es. La vice-présidente Formation et Vie universitaire et la vice-présidente étudiante soutiennent le dispositif depuis ses origines et en suivent la réalisation et la mise en œuvre. Ces échanges et ce soutien sont indispensables pour traiter notamment les questions de pérennisation du service et d’intégration dans le fonctionnement global du SCD.
Ces questions ne sont pas anodines au regard des budgets en jeu et des contraintes techniques pesant sur les réseaux et les équipements informatiques et numériques. Sur le plan technique, les caractéristiques des équipements donnés par la Région ou la Fondation Boulanger ne correspondent pas aux critères de qualité de la direction des systèmes d’information et du numérique (DSIN) pour qui l’intégration de la gestion de ces matériels dans le parc de l’établissement n’est pas une évidence. Et ce d’autant plus qu’il s’agit de prêter des ordinateurs portables pour des usages non maîtrisés et incompatibles avec les restrictions d’accès imposées habituellement sur les équipements mis à disposition des professionnels. La question plus globale de la sécurité du réseau informatique s’ajoute à ces considérations, question qui concerne également les ordinateurs mis à disposition dans les BU, un service sur lequel la DSIN a une appréciation d’autant plus mitigée qu’elle s’est appliquée depuis plusieurs années à réduire le nombre de salles informatiques en libre accès sur les campus pour des raisons de sécurité.
Moins complexe mais tout aussi cruciale est la question des moyens : les équipements informatiques et numériques ont une durée de vie limitée. À l’obsolescence technique s’ajoute l’usure due aux prêts et aux manipulations multiples. Le caractère social de ce service interdit quasiment toute demande de remboursement en cas de dégradation du matériel, l’impossibilité d’acheter un ordinateur en raison de son coût étant la raison première pour laquelle l’étudiant·e a eu recours au service de la BU. Si la rentabilité n’est pas un objectif en soi, il est nécessaire de trouver un équilibre entre l’offre de service (en quantité et en qualité de matériel) et les moyens disponibles : moyens financiers de l’établissement bien sûr, mais aussi moyens humains (mobilisation des personnels).
En guise de bilan… provisoire
L’offre de service de prêt d’équipements numériques et informatiques s’est construite au fil des années en réponse aux besoins des étudiant·es, besoins avérés ou anticipés. Elle constitue aujourd’hui une offre cohérente déployée dans les BU et mobilisant des personnels de bibliothèque formés et compétents. Mais par sa nature même (prêt de matériels à obsolescence plus ou moins rapide) et dans un contexte de changements techniques, technologiques et sociétaux importants, ce service nécessite un suivi exigeant des usages et une remise en question régulière de son fonctionnement, en associant les usager·es comme les autres directions et services concernés au sein de l’université.
Le SCD de l’université de Montpellier s’y emploie avec cette année une enquête envoyée à chaque étudiant·e ayant bénéficié du service « Un PC pour mes études » pour connaître les usages individuels. Une grande enquête des publics apportera, courant 2024, un éclairage macro sur l’ensemble des équipements informatiques prêtés aux étudiant·es.
Seule certitude aujourd’hui : le besoin existe et, depuis la crise sanitaire, il est visible et durable. Si le taux d’équipement des étudiant·es a fortement progressé depuis les années 2010, il connaît depuis quelques années un palier, et son taux élevé masque des situations de précarité qu’une étude approfondie peut mettre en lumière (comme à l’université de Tours en 2020, où près de 18 % des étudiant·es déclaraient utiliser un ordinateur fonctionnant moyennement ou mal 1
Université de Tours, « Équipement informatique et usages des outils numériques chez les étudiants de première année », octobre 2020. En ligne : https://pedagotheque.univ-tours.fr/medias/fichier/numerique-l1vf_1634801152006-pdf
Wifirst, enquête « La place d’Internet dans la vie des étudiants en 2021 ». En ligne : https://www.wifirst.com/hubfs/Ressources/Enque%CC%82te%20internet%20et%20le%20e%CC%81tudiants%20(Avril%202021).pdf
La réflexion en cours au sein de l’université sur le schéma directeur du numérique est une opportunité pour traiter cette question complexe, à laquelle le SCD entend contribuer à la mesure de ses moyens.