La bibliothèque d’objets BOBUN : une réponse au rôle sociétal des bibliothèques universitaires

Yann Marchand

Fondamentalement, la bibliothèque sait tout prêter, et les besoins des étudiants ne se limitent pas aux livres et revues : c’est en partant de ce double et simple postulat que la bibliothèque universitaire de La Roche-sur-Yon a ouvert en janvier 2022 BOBUN (Bibliothèque d’objets des bibliothèques universitaires de Nantes) qui propose une collection d’environ 270 objets de la vie quotidienne : matériels et ustensiles de cuisine, matériels de bricolage, objets de loisirs, etc. Si les bibliothèques publiques, notamment anglo-saxonnes, prêtent depuis longtemps de tels objets, le phénomène est relativement neuf en France, et il n’est pas tout à fait anodin que la réflexion ait abouti pendant le confinement lié au Covid-19, crise sanitaire qui aura amplifié, et parfois révélé les situations de forte détresse sociale et psychologique que connaissent de nombreux étudiants.

Forte de cinq agents, positionnée en cœur de campus et actrice essentielle de la vie d’un campus yonnais particulièrement actif sur les questions de transition écologique et de développement durable (potager partagé, mare écologique, lutte contre les gaspillages, armoires à dons, etc.), la bibliothèque universitaire (BU) joue un rôle singulier au sein du service commun de la documentation (SCD), entre laboratoire d’idées et site pilote.

Gratuit et basé sur des principes de partage, dʼanti-gaspillage et de solidarité, BOBUN permet à tous les publics (étudiants, enseignants-chercheurs, lecteurs extérieurs) d’emprunter des objets de la vie quotidienne, qu’ils ne peuvent ou ne souhaitent pas acheter ou stocker chez eux, ou dont ils n’ont qu’un usage ponctuel. Ainsi un presse-agrume en plastique est-il entré dans « l’histoire » de BOBUN comme le premier objet emprunté, pendant deux jours.

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La création d’une bibliothèque d’objet a été testée auprès des étudiants yonnais lors d’ateliers et à la suite de l’implication de la responsable de la BU dans l’épicerie solidaire du campus. Les axes matériels de cuisine et de la vie quotidienne, bricolage et loisirs (jeux de société et jeux vidéo) ont ainsi semblé être les plus en adéquation avec les besoins de la communauté universitaire, en complément au prêt de petit matériel informatique désormais assez courant en BU.

Dans une logique de réusage, un appel à dons a été lancé auprès de l’ensemble des personnels du campus de La Roche-sur-Yon. Il a permis de réunir environ 200 objets divers, essentiellement de la vaisselle et des petits objets. La collection ainsi réunie a alors été complétée par l’achat de matériels électriques neufs, essentiellement des outils de bricolage et du petit électroménager (perceuse, grille-pain, etc.) financés via la CVEC (Contribution de vie étudiante et de campus) pour un montant de 3 000 €.

Les objets BOBUN catalogués dans le SIGB

Catalogués dans le SIGB selon les mêmes modalités que pour un livre, l’ensemble des objets BOBUN sont empruntables avec une carte de BU. Si elle n’est pas en libre accès, la collection est rendue visible par la mise à disposition d’un catalogue papier enrichi de photographies, et les matériels sont valorisés dans un espace (proche de l’accueil de la BU) qui reproduit une mini-cuisine témoin ou un atelier de bricolage ou d’autres espaces domestiques.

La spécificité des objets implique par contre la signature d’une convention dédiée et des conditions générales d’utilisation, la révision du matériel au moment du retour et la mise en œuvre d’une maintenance annuelle des matériels électriques.

Il est encore sans doute trop tôt pour tirer un bilan définitif d’un dispositif encore expérimental. Quelques leçons cependant peuvent d’ores et déjà être tirées, au-delà du seul bilan quantitatif des prêts-retours.

Il contribue à modifier le regard que les étudiants posent sur la BU : si elle reste un lieu de travail, elle devient également une partenaire de leur réussite et de leur qualité de vie. Le fait de prendre en compte leurs besoins et de les autoriser à se détendre est ainsi particulièrement apprécié.

Il conforte en interne et dans l’université une évolution des BU vers des fonctions non strictement documentaires et légitime la prise en compte du rôle sociétal des bibliothèques.

Il symbolise les axes stratégiques portés par Nantes Université et les valeurs qu’elle souhaite porter.

BOBUN confirme aussi, et sans doute malheureusement, qu’une fraction significative des étudiants vit dans des conditions de grande précarité et qu’un tel service est non seulement nécessaire mais indispensable. Si certains usages, comme l’appareil à raclette, relève de la convivialité étudiante, certaines demandes témoignent de l’ampleur des enjeux (literie, meubles, gros électroménager, etc.) mais posent également la question de savoir jusqu’où aller dans ce que Justine Le Montagner avait qualifié « d’extension du domaine du prêt » dans son mémoire d’étude à l’Enssib intitulé Quelle place pour le prêt d’objets en bibliothèque ? 1

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Justine LE MONTAGNER. Quelle place pour le prêt d’objets en bibliothèque ?. Mémoire d’étude de conservateur des bibliothèques. Villeurbanne : Enssib. 2018. En ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/68274-quelle-place-pour-le-pret-d-objets-en-bibliotheque

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Une initiative appelée à se développer

Ce bilan, même partiel, a d’ores et déjà conduit l’université à envisager des suites. D’abord en faisant croître et prospérer BOBUN à La Roche-sur-Yon grâce à l’évolution de la collection qui s’enrichira d’objets dans les thématiques actuelles ou de nouvelles à venir. Plusieurs axes sont aujourd’hui à l’étude suite aux demandes des étudiants : couture, instruments de musique, articles de sport. À ces collections d’objets pourraient s’adjoindre des ateliers de DIY (le b.a.-ba du bricolage, des ateliers couture ou cuisine).

Ensuite en déployant BOBUN sur d’autres campus, et en premier chef sur les grands campus nantais du Tertre (droit et SHS) et de Lombarderie (sciences et techniques). Plusieurs associations étudiantes, des élus étudiants en commission Vie étudiante du conseil académique et la vice-présidente Vie de campus portent une demande qui semble logique et légitime, et qui interroge l’équilibre nécessaire à trouver entre moyens humains et financiers alloués aux fonctions documentaires statutaires, et investissement des BU dans la vie de campus en appui à la réussite étudiante.