« Primum non nocere » : (Re)penser les bibliothèques universitaires pour prendre en compte la santé mentale de leurs publics

Alexandre Couturier

En mars 2022, l’Organisation mondiale de la santé tire la sonnette d’alarme. Une note scientifique de l’institution, compilant une importante littérature scientifique, conclut que la pandémie de Covid-19, rien que pour l’année 2020, est associée à une hausse des cas d’anxiété et de dépression de 25 % à l’échelle mondiale avec d’importantes variations selon les régions et les classes d’âge 1

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Organisation mondiale de la santé (OMS). Mental Health and COVID-19 : Early evidence of the pandemic’s impact, note scientifique. 2 mars 2022. En ligne : https://www.who.int/publications/i/item/WHO-2019-nCoV-Sci_Brief-Mental_health-2022.1

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L’ampleur de cette autre crise sanitaire a fait l’objet d’une médiatisation soutenue sous un angle bien particulier : la santé mentale de la population étudiante. Si l’ampleur du mal-être étudiant est antérieure à la pandémie de Covid-19, celle-ci a pu encourager les professionnel‧les de la documentation de l’enseignement supérieur et de la recherche au contact des étudiant‧es à porter une attention renouvelée aux questions de précarités et de bien-être, comme en témoignent les diverses journées d’études récemment consacrées à ces enjeux, notamment la journée sur la précarité étudiante organisée en septembre 2022 par l’Association des bibliothécaires de France (ABF) et l’Association des directeur‧rices et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) ou encore la thématique du congrès 2023 de l’ADBU, qui portera sur le rôle social des bibliothèques universitaires (BU).

La multiplication des injonctions politiques, des feuilles de route et schémas directeurs à l’échelle des universités, mais aussi le renforcement de la sensibilité des professionnel‧les de la documentation pour ces questions encouragent à interroger la manière dont les BU peuvent agir en faveur de la santé mentale de leurs publics.

Quelques chiffres permettent de dresser un constat sur le temps long : en 2016, l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) rapporte que 60,8 % des étudiant‧es déclarent avoir ressenti de l’épuisement durant la semaine précédant l’enquête et que 31,9 % se sont senti‧es déprimé‧es (figure 1) 2

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Observatoire de la vie étudiante (OVE). Fiche thématique « La santé des étudiant‧es », Enquête nationale Conditions de vie des étudiant·es 2016. Septembre 2017, p. 21. En ligne : https://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2018/11/La_sante_des_etudiants_CdV_2016.pdf

. Ces ordres de grandeur étaient similaires durant l’enquête menée en 2020 3
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Observatoire de la vie étudiante (OVE), Odile FERRY et Théo PATROS. Fiche thématique « Santé », Conditions de vie des étudiantes 2020. 2022, p. 27. En ligne : https://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2022/06/Fiche-CDV2020-Sante.pdf

. Plusieurs études suggèrent que la population étudiante risque davantage de présenter des niveaux élevés de dépression, d’anxiété et de stress, que les autres jeunes du même âge 4
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Melissa MACALLI et Christophe TZOURIO. « Fiche no 11 : Santé mentale et pensées suicidaires des étudiants au cours de l’épidémie de Covid-19 : comparaison avec les non-étudiants », 5e rapport de l’Observatoire national du suicide. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Septembre 2022, p. 233-239. En ligne : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/rapports/suicide-mesurer-limpact-de-la-crise-sanitaire-liee-au-0

. Les études supérieures sont donc associées à des niveaux de souffrance psychique plus importants et peuvent être un contexte comprenant de nombreux facteurs défavorables au bien-être psychique : sortie du domicile familial, précarité financière, isolement, violences sexistes et sexuelles, stress, manque de sommeil, consommation de substances, temps de travail très important, multiplication des réformes des accès aux filières d’étude…

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Figure 1. État des lieux prépandémique des difficultés des étudiant‧es sur le plan psychologique

Les bibliothèques universitaires semblent avoir peu de leviers sur ces facteurs, qui relèvent souvent des composantes universitaires et des Crous ou qui échappent parfois complètement au champ d’action des universités. Pourtant, il serait trop simple d’évacuer les marges de manœuvre que les bibliothécaires possèdent : rappelons simplement que la BU est un lieu assez central sur les campus, mais aussi le service universitaire le plus fréquenté 5

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Observatoire de la vie étudiante (OVE). Fiche thématique « Services et équipements des établissements », Conditions de vie des étudiantes 2020. 2022, p. 19. En ligne : https://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2022/09/Fiche-CDV2020-Services.pdf

et qu’à ce titre l’impact de la bibliothèque peut être important.

À partir de ce constat, il pourrait être tentant d’imaginer ce que serait une « feel good BU » ou de présenter des services innovants au service du bien-être étudiant. Pourtant, la démarche présentée ici apparaît tout autre. Plutôt que d’imaginer « faire plus » pour les étudiant‧es, il peut être intéressant de s’imaginer comme « faire mieux » en interrogeant l’existant et en questionnant l’impact de notre institution sur ses publics.

Renverser la perspective : des étudiant‧es défaillant‧es, vraiment ?

Quels sentiments peuvent bien procurer les bibliothèques universitaires ? Peut-on en parler en premier lieu comme des « havres de paix », comme l’on fait une majorité de collègues interrogé‧es dans le cadre d’une enquête qualitative menée dans le cadre du mémoire sur lequel est basé cet article ? 6

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Alexandre Couturier. Prendre en compte la santé mentale des publics en bibliothèque universitaire. Mémoire d’étude DCB sous la direction de Nadine Kiker. Villeurbanne : Enssib. 2023. En ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/71155-prendre-en-compte-la-sante-mentale-des-publics-en-bibliotheque-universitaire

La bibliothèque peut effectivement compter comme un outil personnel pour faire face au stress et aux contraintes imposées par les études. En particulier dans les filières très compétitives, la bibliothèque est employée par les étudiant‧es pour transformer une série de contraintes extérieures en autocontraintes. Il s’agit dès lors pour ces personnes d’évaluer, de mesurer, de stimuler leur productivité. Si certain‧es peuvent parler de lieu « propice à la concentration », il s’agit bien plus d’autocontraintes de nature diverses : temporelles (avec parfois des pauses minutées !), corporelles… C’est bien cette dimension contraignante, cachée derrière la recherche d’une ambiance particulière de travail, du silence, qu’il faut prendre en compte en réfléchissant aux services proposés. Dès lors, la BU peut cristalliser des sentiments très forts. Elle est à certains moments perçue comme une deuxième maison, un refuge bienvenu pour préparer les examens et, sitôt cette période révolue, elle peut constituer un repoussoir absolu.

La recherche, principalement anglo-saxonne, montre à quel point la bibliothèque peut également susciter une anxiété supplémentaire au travers du concept de « library anxiety » 7

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Gillian S. GREMMELS. « Constance Mellon’s “Library Anxiety” : An appreciation and critique ». College and Research Libraries, 2015, vol. 76, no 3, p. 278-275. En ligne : https://crl.acrl.org/index.php/crl/article/view/16422/17868

. Sa créatrice, Constance Mellon, constatait en 1986 que 75 à 85 % des étudiant‧es interrogé‧es décrivaient leur expérience initiale de la recherche d’informations en bibliothèque en termes de peur. Le concept a fait rapidement florès au point que des outils de diagnostic comme la Library Anxiety Scale (LAS) ont été mis en place et utilisés dans de nombreuses BU nord-américaines. Toutes les mesures postérieures, appuyées sur ce concept, confirment que la bibliothèque universitaire peut provoquer beaucoup d’inconfort, d’anxiété et de sentiment d’incompétence (en somme ce que l’on pourrait regrouper sous le terme de violence symbolique) pour les étudiant‧es lorsqu’ils naviguent dans les collections. Étonnamment, ce concept d’« anxiété liée à la bibliothèque » n’est que très marginalement présent dans les débats francophones au profit de la notion, moins portée sur les ressentis des étudiant‧es et plus restreinte, de « littératie ».

Plusieurs actions destinées à améliorer la littératie ou à lutter contre le sentiment d’incompétence des étudiant‧es ont ainsi été mises en place depuis l’émergence de ces notions, en particulier les visites de la bibliothèque et les formations sur les catalogues et bases de données, particulièrement auprès des licences 1. Mais, plus récemment, la notion de « library anxiety » a fait l’objet de critiques, notamment pour souligner que celle-ci ne permettait pas de faire émerger des solutions satisfaisantes pour améliorer la confiance des étudiant‧es dans leurs capacités à s’approprier les bibliothèques universitaires 8

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Kelleen MALUSKI et Symphony BRUCE. « Dispelling the Myth of Library Anxiety and Embracing Academic Discomfort ». In the Library with the Lead Pipe. 10 août 2022. En ligne : https://www.inthelibrarywiththeleadpipe.org/2022/myth-of-library-anxiety/

. Ainsi, l’usage « anormal » ou « illogique » d’un service, qui serait le symptôme de cette angoisse et de cette incompréhension, est défini par la vision que les bibliothécaires ont de ce même service. Il faudrait dès lors non pas pallier les symptômes de cette angoisse 9
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« La base même du concept d’anxiété en bibliothèque est l’idée que les étudiantes sont dune certaine manière déficientes – en termes de compétences, de confiance, de compréhension des procédures – et que cette déficience doit être traitée, réparée et prise en charge. Cette croyance que les bibliothécaires peuvent réparer ou guérir les étudiantes de leur anxiété en leur apprenant à utiliser les ressources ou à voir les bibliothécaires comme étant intrinsèquement utiles et bonnes est un exemple dun modèle de pensée déficitaire [deficit thinking model] », ibidem.

, mais bien plus s’attaquer aux causes profondes et au système qui la provoquent, c’est-à-dire s’interroger sur le rôle des procédures de la bibliothèque, mais aussi des croyances, valeurs et actions des bibliothécaires dans la production de ces sentiments plutôt que de transformer les gens et leurs ressentis en les formant. Les détracteur‧rices de la notion de « library anxiety » invitent à ne pas détacher le stress ressenti à la bibliothèque de celui qui peut être lié aux difficultés du reste de la vie universitaire. S’attaquer aux causes de ce malaise plutôt qu’à ses symptômes requiert donc de parler de prévention primaire.

Éloge de la prévention : faciliter l’expérience des étudiant‧es

Il est répandu de penser la santé mentale uniquement comme une ressource personnelle que toute personne se doit de préserver et de faire fructifier. Cette vision que l’on peut qualifier de « néolibérale » met largement de côté la nécessité de réfléchir à nos environnements qui peuvent comporter de nombreux facteurs défavorables. Une démarche complète de prévention primaire implique ainsi des choix collectifs. L’OMS rappelle que la lutte contre l’explosion des souffrances psychiques dépend de choix politiques : « Nous devons revoir les caractéristiques physiques, sociales et économiques de nos environnements (foyer, école, lieu de travail et société, plus largement), afin de mieux protéger la santé mentale et prévenir les problèmes de santé mentale. » 10

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OMS. Rapport mondial sur la santé mentale : transformer la santé mentale pour tous. Vue d’ensemble. Rapport du département Santé mentale et usage de substances psychoactives de l’OMS. 2022, p. 12. En ligne : https://www.who.int/fr/publications/i/item/9789240050860

D’où le titre de cet article, « d’abord ne pas nuire », qui fait glisser le sens de cette locution, bien connue des médecins, d’une nécessaire prudence à intervenir à une démarche d’identification et de prévention de représentations et pratiques délétères. Cela implique donc de faire une forme d’audit des très nombreuses interfaces qui existent entre la bibliothèque et ses publics. Quels sont les services qui peuvent causer le plus d’anxiété ? Quels sont les éléments qui empêchent les personnes en situation de handicap psychique de fréquenter la bibliothèque ?

Il n’y a pas de réponses génériques ou évidentes, le mieux étant de requérir les avis des usager‧ères et d’être prêt‧es à les accepter. Ce travail d’équipe peut faire appel aux méthodes d’UX design, qui consistent principalement à observer attentivement les comportements des gens et à les écouter. Ces méthodes incitent à mettre de côté nos préjugés afin de comprendre les manières de percevoir et d’habiter les espaces proposés à nos publics. Il s’agit bien plus de savoir se montrer à l’écoute que de développer des méthodes coûteuses et sophistiquées. Pour s’en convaincre, on pourra par exemple lire avec profit la traduction française disponible en ligne de l’ouvrage Utile, utilisable, désirable : redessiner les bibliothèques pour les utilisateurs 11

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Amanda ETCHES et Aaron SCHMIDT. Utile, utilisable, désirable : redessiner les bibliothèques pour les utilisateurs. Traduction collective sous la direction de Nathalie Clot. Villeurbanne : Presses de l’Enssib. 2016 (coll. La Numérique). En ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/68252-utile-utilisable-desirable.pdf

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Un des points fondamentaux est de travailler sur la lisibilité et la simplicité des services. L’hypertrophie réglementaire peut empêcher le public de comprendre le fonctionnement de la bibliothèque et rendre également plus difficile le travail des collègues. La multiplication des catégories d’inscription est-elle légitime ? La multiplicité des durées de prêts en fonction des types d’inscriptions ou de supports n’est-elle pas à l’origine des retards ? Il s’agit dès lors de présupposer que l’utilisateur‧rice n’est pas malveillant‧e 12

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Cette règle est par définition anti-validiste car elle peut permettre de constater que le service n’est effectivement pas accessible et met une personne dans une situation de handicap qui a de grandes chances d’être invisibilisé (par exemple un handicap psychique).

, ce qui est d’ailleurs dans la droite ligne du droit à l’erreur décrit dans le programme « Services Publics + ». Même plus, si plusieurs utilisateur‧rices font une même erreur, il paraît plus fécond d’interroger en premier lieu le design du service en question selon l’un des principes de l’UX design – « l’utilisateur‧rice n’est pas cassé‧e ». Celui-ci s’inspire d’un court texte écrit par la bibliothécaire Karen G. Schneider : « L’utilisateurrice n’est pas cassée. Votre système est cassé jusqu’à preuve du contraire. […] La plupart de vos utilisateurrices les plus enthousiastes ne viendront jamais devant vous. La plupart de vos utilisateurrices les plus mécontentes ne viendront jamais vous voir. L’aide la plus importante que vous puissiez apporter à vos utilisateurrices est d’ajouter de la valeur et du sens à l’expérience de l’information, où qu’elle se produise, de défendre leur droit de lire et de vous écarter du chemin. » 13
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Karen G. SCHNEIDER. « The User Is Not Broken : A meme masquerading as a manifesto », blog Free Range Librarian. 3 juin 2006. http://freerangelibrarian.com/2006/06/03/the-user-is-not-broken-a-meme-masquerading-as-a-manifesto/

Il est intéressant également de travailler sur les injonctions qui sont induites par l’usage de la bibliothèque : sont-elles toutes légitimes ? Lorsqu’on interroge les publics étudiants sur leur expérience de l’enseignement supérieur, un facteur de stress qui revient souvent est la multiplication des injonctions. Dès lors, contribuer à apaiser la bibliothèque peut aussi passer par l’assouplissement de certaines règles. Ces évolutions ne peuvent se faire que si des marges d’action et de décision sont laissées aux collègues par les règlements. Ce qui est considéré comme une faute ne devrait-il pas être vu, jusqu’à preuve du contraire, comme une erreur liée à une situation de handicap invisibilisée ?

Mais afin que cet état d’esprit soit vraiment partagé, encore faut-il que celui-ci soit également mis en œuvre par l’encadrement au bénéfice des bibliothécaires faisant du service public. La clé pour une amélioration des services rendus aux usager‧ères réside dans la chasse aux injonctions paradoxales 14

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Nasiha ABOUBEKER et Étienne BUFQUIN. Pour un accueil expert de la relation usagers dans les services publics locaux. Observatoire de la Mutuelle nationale territoriale. Mars 2021. En ligne : https://collectivites.mnt.fr/actualite/accueil-collectivites-derniere-etude-observatoire-mnt

. Ce travail mené en équipe doit aussi s’appuyer sur des temps de sensibilisation et des propositions de formation, notamment au sujet des handicaps invisibilisés (cf. encadré).

La prise en compte de la santé mentale des publics n’est pas nécessairement synonyme de projet d’aménagement ou de projet innovant en faveur du bien-être étudiant. C’est avant tout un appel à ne pas se résigner vis-à-vis des difficultés étudiantes, à ne pas participer à leur banalisation et surtout à multiplier les interfaces d’échanges avec les publics avérés et potentiels pour connaître leurs besoins et adapter nos institutions. Cette démarche est à penser comme un changement de paradigme plutôt qu’un ensemble de pratiques professionnelles bien définies.

Retour d’expérience de la BU d’Angers

Comment faire évoluer la culture d’une organisation ? Cesser de se plaindre en interne des gens bizarres et des comportements non conformes en tenant la ligne étroite entre les exclure et les laisser nuire au confort d’autrui ? Comment prendre conscience des normes implicites dont la bibliothèque et son équipe sont bien souvent porteuses de manière inconsciente ?

À la bibliothèque universitaire d’Angers, nous tournons autour de ces questions depuis des années. Au départ, dans une approche sociologique, nous tentions de faire baisser la « violence symbolique » du lieu bibliothèque, en y faisant entrer des éléments du quotidien, familiers, populaires : mobilier chiné en recyclerie ou acheté dans une enseigne grand public mettant l’accent sur le « bien-être chez soi », en proposant des galettes pour les chaises trop dures et des plaids pour les matins trop froids afin de nous aider à cultiver la notion danoise de Hygge1, « le sentiment qu’on est en sécurité, à l’abri du monde, et qu’on peut baisser la garde ».

Il s’agit d’« une stratégie de survie » en fixant l’attention sur de petites choses familières et les petits bonheurs du quotidien d’un environnement que l’on maîtrise, à hauteur d’homme, plutôt que sur les sources d’anxiété et de déshumanisation.

Dans une université massifiée, dans des bibliothèques proposant chacune un millier de places assises, créer des cocons centrés sur l’individu passe par l’abandon du panoptique (des salles toutes sous « surveillance humaine » sans recoins), par le relâchement du contrôle sur les corps et les comportements (passer d’un règlement intérieur focalisé sur les interdictions à une rédaction centrée sur les autorisations faites aux individus de venir tels qu’ils sont et favorisant la régulation des seules attitudes autocentrées avec un impact réel sur autrui), comme le montrent ces extraits du règlement intérieur de la BUA :

« Afin de maintenir un environnement accueillant, agréable, tranquille et respectueux de tous, les usagers se doivent d’avoir un comportement courtois et poli envers les autres usagers et le personnel.

Comportements demandés

Il est recommandé, dans les espaces publics de la BUA :

– De respecter les usages des différentes zones des bibliothèques (zones silence, calme et com, carrés groupes, zone de détente).

– De prendre soin du matériel et des locaux mis à disposition (mobilier, matériel informatique, documentation, prises, sanitaires, carrés groupes…).

[…]

– De s’assurer que la bibliothèque reste un lieu propre et agréable pour tous. Les boissons non alcoolisées sont acceptées dans des récipients fermés.

– De mettre les téléphones portables en mode vibreur et passer des appels dans les espaces dédiés à cet usage.

Comportements interdits

Il est interdit :

– De venir à la BUA en état d’ébriété.

– D’adopter une attitude susceptible de générer un trouble à l’ordre public ou contraire à la législation en vigueur (bizutage notamment).

– D’avoir une hygiène corporelle représentant une gêne pour les autres.

– De cracher (notamment sur ou depuis les terrasses).

[…]

D’avoir un comportement menaçant ou agressif, verbalement ou physiquement envers les autres usagers ou le personnel ».

À l’aune d’un pareil règlement, nous avons déplacé la ligne de vigilance et d’exclusion de ceux qui osaient boire, grignoter ou parler un peu fort dans la bibliothèque, à des comportements plus malaisants. Rapidement, force nous a été de constater que tous les gens ayant eu ces dernières années un comportement agressif étaient soit sous l’emprise de substances, soit en crise ponctuelle en lien avec un trouble psychique, et que nos attitudes habituelles de rejet nous exposaient à des violences physiques et verbales qui enclenchaient un cercle vicieux de défiance mutuelle et de rejet des plus fragiles par le corps social de la bibliothèque. Nous expérimentons depuis deux ans la mise en place d’un plan de formation systématique aux « Premiers secours en santé mentale » (PSSM) pour nourrir une culture commune permettant à chacun de comprendre ce qui peut se jouer et sortir des anathèmes et de l’exclusion d’office. Il ne s’agit pas d’une baguette magique. Cela ne fait pas de nous des soignant·es. C’est juste une clé, parmi d’autres, qui nous permet de garder nos portes et nos esprits un peu plus ouvertes à toutes et tous, et de mieux vivre notre rôle de petit « lieu de survie », de repli face aux grands couloirs, aux grands amphis, aux grands enjeux. Un lieu des petites choses, des petits gestes, des petits mots, à petits pas…

Nathalie Clot

Directrice des bibliothèques et archives de l’université d’Angers

1. Contributeurs de Wikipédia. « Hygge », Wikipédia, 2023 : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Hygge&oldid=205438255