Plaine Commune : que veut dire accueillir les enfants dans un territoire de précarité ?
La Seine-Saint-Denis est un département qui concentre une population jeune importante : 22,5 % de la population qui y réside a moins de 15 ans ; 42,6 % de la population a moins de 30 ans 1
Une politique volontariste
S’il y a des bibliothèques dont le but premier est la conservation des documents, les médiathèques du réseau de Plaine Commune ont une autre priorité fondamentale : celle d’accueillir (toute) la population, et de lever les freins d’accès partout où ils se trouvent. Concrètement, cela signifie que le projet est adapté aux besoins de la population, et évolue en fonction de ces besoins dans le temps. Cela se traduit bien entendu dans l’attention portée à l’expérience usager dans l’équipement, dès sa construction, mais également par une modularité de l’offre et une politique documentaire volontariste. Une règle de base est la suivante : n’importe qui doit pouvoir entrer dans une de nos médiathèques et y trouver quelque chose qui lui est familier. Dans nos espaces presse se côtoient donc Closer, Le Parisien et Le Monde. Notre politique en ressources humaines vient conforter ce parti pris, en intégrant spécifiquement dans nos équipes des agents avec des expériences professionnelles très variées, y compris éloignées du milieu de la culture. Nous considérons que les compétences socles du métier de bibliothécaire, indépendamment du grade auquel il est effectué, sont l’accueil du public, la médiation et le conseil. Nous développons et entretenons les compétences bibliothéconomiques de nos collègues par une politique de formation ambitieuse et continue.
L’accueil inconditionnel
L’accueil étant pour nous le socle du métier, le réseau des médiathèques de Plaine Commune mène depuis sa création un travail en profondeur sur la définition stratégique d’une politique de l’accueil en médiathèque. L’accueil doit, selon nous, être inconditionnel : n’importe qui est bienvenu ; les documents requis pour obtenir une carte de médiathèque sont minimalistes (un justificatif de domicile, dans l’interprétation la plus large de ce type de document, et un élément d’identité avec photo, type carte Vitale ou carte de transports en commun) ; enfin, l’ensemble de nos services sont gratuits, indépendamment du lieu de résidence de l’usager ou usagère. Nous pensons que le contexte économique, social, culturel ou administratif dans lequel vivent nos usagers ne signifie pas que leurs pratiques culturelles sont moins importantes que celles traditionnellement attendues en bibliothèque ; nous sommes donc résolument engagés en faveur des droits culturels, en faisant vivre dans nos murs des expressions culturelles riches, variées, et dans plusieurs langues parlées sur le territoire.
Atelier de réalisation d’affiches multilingues à la médiathèque Elsa-Triolet de L’Île-Saint-Denis
Photo Plaine Commune
La place des enfants
Pour une multitude de raisons, y compris liées à la taille des logements, la composition des familles ou les contraintes diverses qui pèsent sur les parents ou proches des enfants, la majorité de nos usagers mineurs fréquentent la médiathèque en toute autonomie, sans adulte. Nous avons à cœur d’accueillir dans de bonnes conditions ce public, indépendamment de ses besoins, en lui offrant un endroit pour faire ses devoirs, trouver des lectures, passer du temps avec des amis, ses frères et sœurs ou même seul. Pour cela, il est indispensable de se prémunir de tout jugement quant aux conditions et modes de vie qui en découlent. Les familles de nos jeunes usagers fréquentant seuls cumulent, pour certaines, des difficultés économiques et sociales importantes. Pour autant, nos jeunes usagers n’ont pas à être sanctionnés pour ces difficultés, ce qui serait le cas si nous leur interdisions l’accès de la médiathèque sans l’accompagnement d’un adulte par exemple.
Pour beaucoup d’enfants, la médiathèque remplit une fonction importante en tant que lieu où ils sont acceptés et où des activités adaptées leur sont proposées. En effet, la plupart des villes de Plaine Commune souffrent d’un manque d’espaces adaptés aux enfants – l’espace public leur est souvent hostile et les aires de jeu qui existent sont parfois marquées par des concurrences d’usages avec les adolescents. La dernière enquête usagers à la médiathèque Aimé-Césaire de La Courneuve a ainsi montré que la majorité des enfants fréquentant régulièrement l’équipement citent « le calme » parmi les motifs qui les poussent à venir, plus que d’autres catégories de publics, ce qui s’explique notamment par les conditions de logement des familles précaires. La médiathèque permet parfois de s’isoler, ce que ni l’école ni le domicile n’autorisent, par exemple en regardant un dessin animé sur une des télévisions à disposition. Le sentiment de tranquillité (voire de bien-être) que ressentent ces enfants en bibliothèque constitue bien un des services essentiels que nous offrons au jeune public. Pour accueillir ce public, il est nécessaire de ne pas hiérarchiser la « légitimité » de l’usage des médiathèques par les enfants : le fait que beaucoup d’entre eux viennent faire des coloriages n’est pas un mésusage du lieu.
La médiathèque joue un rôle fondamental comme lieu de sociabilité entre les enfants, par exemple lors des séances de jeux de société. C’est également un lieu de sociabilité entre les enfants et leurs parents, ce qui est particulièrement important pour les familles les plus précaires où ces temps partagés s’avèrent souvent rares. Ceci entraîne pour nous la nécessité de travailler en complémentarité les actions de la semaine qui toucheront uniquement les enfants et celles des samedis et dimanches où nous avons la possibilité de toucher également les parents. L’ouverture dominicale est à cet égard un outil efficace : il y a à la fois une dimension stratégique de l’ouverture du dimanche pour toucher les familles dans leur ensemble et une dimension sociale dans les villes où les médiathèques sont le seul lieu ouvert le dimanche et accessibles gratuitement.
Dans le même temps, la médiathèque est aussi un lieu de sociabilité entre les enfants et les bibliothécaires, l’interconnaissance étant souvent forte et construite sur plusieurs années. Le fait d’être identifié, reconnu en tant qu’individu est fondamental pour les enfants, en particulier ceux issus de groupes sociaux qui sont régulièrement confrontés à des situations où leur identité est niée ou rabaissée. Il existe en contrepartie un risque de brouillage du fait de cette familiarité forte, ce qui implique de retravailler en permanence les postures professionnelles : beaucoup de bibliothécaires se retrouvent à remplir de fait un rôle éducatif vis-à-vis des enfants. Cela est inévitable dans la mesure où ils sont, du fait de leurs missions d’accueil, amenés en permanence à garantir le vivre ensemble et la cohabitation dans un espace public.
L’enjeu de la réussite éducative
Les actions liées à la réussite éducative font partie des missions prioritaires des médiathèques de Plaine Commune. Les visites de classes sont particulièrement développées afin de toucher l’ensemble des enfants du territoire au moins une fois au cours de leur scolarité. Les collections « scolaires » sont développées et renouvelées régulièrement, ce qui exprime le volontarisme et l’engagement financier de la collectivité sur ce point, afin de fournir aux enfants des outils de réussite scolaire.
Favoriser la réussite scolaire ne passe pas que par les actions en partenariat avec l’Éducation nationale. La maîtrise de la langue française est une des clés pour la réussite scolaire, or beaucoup d’apprentissages se jouent passivement avant trois ans pour la maîtrise de la langue. Les actions à destination de la petite enfance sont donc fondamentales : lectures en PMI, bébés lecteurs, expériences ludiques et tactiles, par exemple lors de l’accueil annuel dans les médiathèques de Plaine Commune des expositions conçues avec le Salon du livre et de la presse jeunesse (SLPJ) en Seine-Saint-Denis.
Et contrairement à certaines idées reçues, cela passe d’abord par la valorisation des situations de bilinguisme et le fait de (r)assurer les parents dans leur « droit » à lire un livre à leur enfant, même s’ils ne maîtrisent pas bien la langue française, ou tout simplement la lecture. À cette fin, nos médiathèques proposent nombre d’imagiers, ainsi que des ouvrages pour enfants dans de nombreuses langues (arabe, tamoul, chinois, espagnol…). Des expositions/installations autour de l’illustration, conçues chaque année avec le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, permettent des expériences ludiques et tactiles, qui facilitent le chemin vers le livre. Ces propositions concernent les familles, mais aussi les professionnel·es de la petite enfance, qui jouent également un rôle clé au moment du développement des compétences langagières des enfants.
Rien n’est trop beau pour nos usagers
Puisqu’il n’est pas question de laisser nos usager·es à la porte et que notre jeune public a des besoins particuliers, nous mobilisons des leviers innovants pour que les propositions en médiathèque soient aussi riches qu’enthousiasmantes. La variété des propositions est le moyen à la fois de rassurer le public par des actions reconnaissables et d’élargir les horizons en donnant des occasions à chacun et chacune de s’éloigner de sa zone de confort. Dans les médiathèques de Plaine Commune, on peut bien sûr venir écouter un conte (y compris multilingue), lire un manga, mais aussi jouer aux jeux vidéo, s’initier à la robotique (vivent les sphérobolts et les Lego connectés), à la botanique, à la cuisine (à la médiathèque Annie-Ernaux de Villetaneuse), à la musique (et même emprunter un instrument), recevoir de l’aide pour ses devoirs ou encore apprendre à tricoter… Les agents des médiathèques ne manquent ni d’idées, ni de talents pour décliner des programmations ambitieuses, et nos partenaires locaux sont des soutiens précieux à la mise en place de toutes ces actions. Au final, nous partageons la même vision : rien n’est trop beau pour nos usagers.