Promouvoir l’opéra, la musique classique et la danse dans une bibliothèque universitaire : l’exemple de l’université Toulouse-1 Capitole

Marcel Marty


La Direction des bibliothèques et de la documentation de l’université Toulouse-1 Capitole – droit, science politique, économie, gestion, informatique – s’est dotée d’une Mission Culture dès 1998, et propose désormais, chaque année, un programme riche d’une cinquantaine d’animations diverses : conférences-rencontres, expositions, Club de lecture, projections de films, etc. 1

Disposant d’un budget modeste, la Mission Culture ne pouvait être imaginée qu’en s’appuyant sur des partenaires, et elle s’est d’emblée associée, d’une part, aux composantes de l’université, d’autre part, à des institutions culturelles de la métropole, voire de la région : musées, salles de spectacle, librairies. Par ailleurs, la programmation a été conçue, dès la première édition, comme ouverte autant au grand public qu’à la communauté universitaire, le campus bénéficiant d’une situation privilégiée au cœur du centre-ville, lui permettant de s’inscrire dans une dynamique plus stratégique : s’ouvrir sur l’extérieur et faire entrer la Cité dans l’Université.

La Mission Culture des bibliothèques a ainsi été l’unique acteur culturel du campus jusqu’en 2010, année de la création d’un service culturel de l’université, aux objectifs très différents car motivé, selon le président d’alors, par la volonté de « créer du lien » entre les étudiants. Doté dès sa première année d’existence d’un budget important (20 000 euros en 2010 ; plus de 60 000 euros aujourd’hui), dirigé par un enseignant-chercheur en finances et dénommé Toulouse Art Breaker, le nouveau service, s’appuyant sur une forte communication, s’est présenté comme un « dynamiteur », et a, pour ses premières actions, organisé une série de concerts de musiques dites « actuelles » – rock, rap, hip-hop, etc. –, dont le succès a été fluctuant.

Un premier partenariat avec le Théâtre du Capitole

Convaincue que le rôle de l’université n’est pas de proposer aux étudiants ce qui constitue leur quotidien culturel mais, au contraire, de leur permettre de rencontrer les formes artistiques qui sont, a priori, les plus éloignées de nombre d’entre eux, notamment l’opéra, et, au-delà, la musique classique, la Mission Culture des bibliothèques s’est alors engagée dans un nouveau projet, s’associant, pour ce faire, avec l’établissement culturel le plus proche du campus : le Théâtre du Capitole, l’une des plus anciennes et prestigieuses maisons d’opéra françaises.

Disposant, en 2010, d’un seul partenariat universitaire – l’université Paul-Sabatier, à dominante scientifique –, le Théâtre du Capitole a reçu très favorablement cette proposition de partenariat. Partant, depuis la saison 2010-2011, chaque opéra fait l’objet d’une présentation à l’université Toulouse-1 Capitole, ouverte à tous les publics – avec des mises en perspective historiques et esthétiques, des plongées dans la partition, des projections et analyses d’extraits vidéo, etc. –, et les étudiants ayant assisté à ces présentations bénéficient de billets gratuits pour les générales. Ces présentations répondent, en fait, à la demande expresse du Théâtre : elles évitent, à ses yeux, de transformer la Mission Culture en simple guichet-de-billets-gratuits et confèrent au projet une dimension pédagogique… ce qui ne messied pas à un établissement académique !

Par ailleurs, le Théâtre met à disposition certains des artistes qu’il invite pour des rencontres à l’université, elles aussi ouvertes au grand public : depuis 2011, l’établissement a ainsi pu accueillir des artistes aussi divers que Natalie Dessay, Stéphane Degout, Teresa Berganza, le compositeur George Benjamin, etc.

Une offre renforcée et diversifiée par l’association avec de nombreux acteurs culturels

Afin de diversifier l’offre proposée aux étudiants, la Mission Culture s’est, dans un deuxième temps, associée à deux cinémas du centre-ville, l’UGC Wilson, et le cinéma d’art et d’essai ABC, deux salles proposant, dans leur programmation, des projections d’opéra, un nouveau type de spectacle qui rencontre depuis quelques années un fort succès : si, bien évidemment, rien ne peut remplacer l’opéra en salle, ces projections en différé, captées dans les maisons d’opéra de rang international – Opéra de Paris, Metropolitan Opera de New York, Covent Garden de Londres, Staastoper de Vienne, etc. – offrent des plateaux vocaux exceptionnels et, malgré les critiques légitimes qu’elles peuvent susciter, permettent de voir de nombreux ouvrages et contribuent, notamment par une tarification étudiée, à la démocratisation du genre. Séduits par le dispositif mis en place avec le Capitole, les deux cinémas ont accueilli avec enthousiasme la proposition de partenariat et, pour chaque présentation d’opéra, offrent dix billets gratuits aux étudiants comme aux non-étudiants. En s’associant à ces deux cinémas, qui projettent respectivement quinze et six captations d’opéra, la Mission Culture a donc pu multiplier par quatre le nombre d’opéras susceptibles d’intéresser les étudiants. De fait, un étudiant assidu est à même, en deux ou trois ans, de se constituer une solide culture opératique.

Cette dynamique a, dans un troisième temps, été étendue à la musique classique, l’amateur d’opéra novice étant encouragé à fréquenter tous les types de musique : musique symphonique, religieuse, musique de chambre. Sollicitée, la Mission s’est ouverte aux étudiants de l’IEP de Toulouse, établissement voisin dont le corps professoral est, en partie, celui de l’université, prolongeant ainsi la mission de service commun assurée par la direction des bibliothèques. L’Orchestre national du Capitole de Toulouse (ONCT), qui, à l’image du Théâtre du Capitole, est l’une des meilleures formations symphoniques françaises, était déjà présent sur le campus grâce à l’impulsion de l’Université fédérale de Toulouse pour un concert annuel ouvert à tous les étudiants toulousains ; la Mission Culture des bibliothèques s’est donc orientée vers d’autres institutions ou festivals. Il convient de citer, au premier chef, la salle Odyssud de Blagnac qui, grâce à la mise en service du tramway intercommunal rayonnant depuis le centre-ville de Toulouse, est facilement accessible à l’ensemble du public de la métropole. Bénéficiant des retombées de l’aéroport situé sur son territoire, la commune de Blagnac peut entretenir une salle de spectacles de plus de 900 places, et propose une programmation à la fois prestigieuse et variée : musique, théâtre, danse, cirque. Ayant fait ses preuves, la formule pédagogique a suscité un nouvel intérêt : en concertation avec l’établissement, certains spectacles musicaux font l’objet d’une présentation à l’université, et les étudiants bénéficient soit de billets gratuits, soit de billets à prix réduit. Dans le même temps, des rencontres à l’université sont organisées : on se souviendra longtemps de la visite de Michel Portal, artiste légendaire qui excelle tout autant dans le répertoire classique que dans le jazz, et qui, à l’issue d’une rencontre particulièrement chaleureuse, n’a pas hésité à offrir à l’auditoire subjugué une longue improvisation en solo.

On ne peut citer ici tous les autres partenariats établis ensuite, que ce soit de manière pérenne ou ponctuelle : festival Toulouse les Orgues, festival Musique en dialogue aux Carmélites, Cercle Richard Wagner, etc.

Depuis trois ans, le partenariat avec le cinéma ABC a aussi permis la création d’un cycle de projections de films documentaires ayant partie liée à la musique mais aussi à la danse, « L’Émotion musicale », projections présentées par des personnalités du monde musical toulousain, telles que Christophe Ghristi, directeur du Théâtre du Capitole, Kader Belarbi, directeur du Ballet du Capitole, Thierry d’Argoubet, régisseur général de l’ONCT, notamment. Ce cycle a permis à la Mission Culture des bibliothèques de s’attacher aussi à la danse, et elle s’associe désormais à des spectacles chorégraphiques ainsi qu’aux projections de ballets proposées au cinéma. En octobre 2022, à la faveur d’une découverte dans le fonds ancien de la bibliothèque universitaire de l’Arsenal – le principal site documentaire du campus – d’un traité de danse rédigé par un maître à danser toulousain, qui s’est avéré un unicum, absent de toute bibliothèque publique, et de la Bibliothèque nationale de France, la bibliothèque a accueilli, pour une « Journée de danse baroque », la compagnie de danse Divertimenty, dirigée par Guillaume Jablonka, l’un des spécialistes français du genre. L’espace d’une journée, le hall de la bibliothèque s’est ainsi transformé en dance floor et plusieurs activités ont été proposées : ateliers de découverte, conférence dansée. Ce projet a été l’occasion d’engager un nouveau partenariat avec La Place de la Danse, le Centre de développement chorégraphique national Toulouse-Occitanie.

Un succès auprès de la communauté universitaire et du public extérieur

Dès 2010, la promotion de l’opéra, puis de la musique classique et de la danse a suscité un vif intérêt de la part de la communauté universitaire comme du public extérieur. Les présentations d’opéra, par exemple, attirent entre 30 et 60 participants tandis que les rencontres d’artistes organisées en amphithéâtre peuvent attirer un public très nombreux. Quant aux billets gratuits distribués aux étudiants, ils dépassent désormais les 200. Afin d’informer au mieux l’ensemble des personnes intéressées, la Mission s’est dotée d’une liste de diffusion qui regroupe aujourd’hui près de 600 inscrits : étudiants, personnels administratifs et enseignants, bibliothécaires, personnes extérieures à l’université.

Le 21 mars 2020, afin de fêter les dix ans de la création de son partenariat avec le Capitole, aujourd’hui labellisé Opéra national, la Mission Culture des bibliothèques avait prévu d’organiser dans le plus grand amphithéâtre du campus un concert de gala gratuit, Fête de l’opéra, regroupant trois jeunes chanteurs professionnels et un orchestre symphonique. Malheureusement, on sait ce qu’il est advenu le 15 mars 2020, avec le déclenchement de la crise Covid-19…

Le projet a pu néanmoins se réaliser en mars 2022, avec une formule qui n’a requis aucun financement de la part de l’institution : les spectateurs, et, tout particulièrement les non-étudiants, ont été invités, lors des inscriptions, à apporter leur écot à un financement participatif en ligne : il a permis, non seulement de rémunérer les artistes mais aussi de faire face aux diverses dépenses d’organisation. En outre, la Mission Culture des bibliothèques s’est rapprochée du Collège supérieur de droit, formation spécifique ouverte aux meilleurs étudiants juristes et qui invite ses inscrits, dans le cadre de ses activités, à s’associer à des projets internes ou externes à l’université, les Projets citoyens. Cela a permis à un groupe d’étudiants passionnés de contribuer à l’organisation de l’événement. Ce concert, donné le 26 mars 2022, a réuni près de 700 personnes, tous publics confondus, dans une ambiance digne d’un concert de rock !

Grâce à ces différentes actions, le rôle culturel des bibliothèques, fussent-elles académiques, est affirmé. La dimension pédagogique de la plupart des projets, loin de rebuter les étudiants, est largement appréciée, tout se passant comme si à l’étudiant comme à l’écolier, il n’est pas bon, selon la formule d’Alain, de « donner la noix épluchée ».