Valoriser une offre de musique en streaming : l’expérience du Séquoia à Maromme

Fabien Simon

Située au cœur de Maromme, ville de 11 000 habitants de la métropole de Rouen, la médiathèque Le Séquoia ouvre ses portes en 2015. L’établissement est pensé dès sa conception comme un troisième lieu qui met l’habitant au centre de son projet.

Un démarrage difficile pour l’offre de musique en ligne

En matière de musique, si un fonds de partitions est créé, le choix est fait de proposer au public un service de streaming (via musicMe), plutôt que de constituer ex nihilo un fonds physique de Compact Discs ou de vinyles.

Les partitions remportent immédiatement un franc succès, sûrement lié à la proximité du conservatoire de musique municipal. Les taux d’écoute de musicMe, en revanche, connaissent un démarrage très faible. La communication autour de la plateforme (et des autres ressources numériques de la médiathèque) se fait au moment de l’inscription, le bibliothécaire se chargeant d’énumérer les services numériques à disposition dans le cadre de la présentation de la structure. Mais cette procédure est insatisfaisante. En effet, l’usager, déjà abreuvé de nombreux renseignements concernant la médiathèque et ses services, passe à côté de l’information liée à son offre dématérialisée. Ensuite, c’est la ressource même musicMe qui déçoit : absence notable de certains artistes fédérateurs, ergonomie insuffisante, bugs fréquents et catalogue très réduit sur l’application en comparaison de la version PC. Convaincre l’usager de délaisser YouTube ou Spotify au profit de musicMe relève, dans ces conditions, d’une mission quasiment impossible. Par ailleurs, l’absence d’espace dédié à la musique dans les murs de l’établissement ajoute une difficulté dans la promotion de la ressource.

De la médiation des ressources numériques

Pour pallier les difficultés rencontrées, une playlist constituée de nouveautés fait son apparition. Diffusée le samedi dans la structure et accompagnée d'un dépliant, elle ne rencontre guère le public, car peu audible dans le lieu.

Malgré cet échec, cette idée de playlist fait son chemin. En effet, musicMe offre la possibilité de créer deux playlists diffusables sous forme de radios et accessibles à tous (inscrits ou non). Ainsi, nous concevons progressivement des radios thématiques en lien avec l’actualité et les animations de la médiathèque (Radio Halloween, Radio du « Mois du Voyage », etc.), systématiquement accompagnées d’affiches conçues par nos soins et visibles dans le lieu. La médiathèque ne disposant pas de page Facebook dédiée, le volet virtuel de la communication se limite au site Internet où l’affiche de la radio est publiée avec une courte présentation et un lien menant à musicMe.

Pour fêter le premier anniversaire de la médiathèque, le groupe folk rock My Silly Dogfish est invité pour y donner un concert très apprécié, confirmant qu’il existe bien un public pour la musique à Maromme. En septembre 2017 se tient une première « Causerie musicale » à la médiathèque. L’idée est d’évoquer un artiste (Elvis Presley lors de la première, pour les 40 ans de sa disparition) ou un courant musical lors d’une conférence à l’ambiance détendue, à l’aide d’images, d’extraits musicaux et de divers documents… Tout cela en faisant la promotion de musicMe puisque l’usager pouvait retrouver chaque extrait musical sélectionné sur la plateforme de streaming ainsi qu’une radio autour de l’artiste et de sa galaxie musicale. Une discographie sélective est également conçue sous forme de dépliant, renvoyant à une liste d’albums disponibles sur musicMe. Cette action de médiation est chronophage dans sa préparation (recherches, rédaction, communication, fabrication de goodies – des badges à l’effigie des artistes évoqués, par exemple) mais trouve d’emblée un public enthousiaste.

Illustration
Badges et affiche pour promouvoir une « Causerie musicale » autour des Rolling Stones

Crédit : médiathèque Le Séquoia

Des évolutions techniques intéressantes

Parallèlement, la ressource numérique évolue. Ainsi en 2018, musicMe fait un bond en avant notable en intégrant à son catalogue de nombreuses nouvelles références, mais surtout en proposant une application mobile qui offre désormais le même catalogue que la version PC. Cela facilite grandement la promotion de la ressource : il est dès lors possible de la présenter comme étant quasiment l’équivalent d’un Deezer ou d’un Spotify avec les avantages de la gratuité et de l’absence de publicité.

Les statistiques d’écoute commencent à augmenter à partir de ce moment-là, certes dans des proportions raisonnables mais de manière régulière. Tout laisse à supposer que le public apprécie notamment de pouvoir y retrouver les grosses sorties musicales qui font l’actualité. Le bibliothécaire, quant à lui, peut plus facilement intéresser l’usager en lui citant quelques noms célèbres. On n’informe pas forcément l’usager des limites de la plateforme, notamment qu’il est difficile d’y trouver des artistes ou labels indépendants…, mais pour compenser cet écueil, nous publions sur notre site, à côté de musicMe, les liens renvoyant vers « La sonothèque normande » qui héberge les artistes locaux, ainsi que Ziklibrenbib qui propose une sélection d’artistes non signés.

En partenariat avec le conservatoire municipal, des concerts sont organisés dans nos murs, rencontrant à chaque fois un succès certain. Des animations musicales destinées aux tout-petits sont également mises en place.

Progressivement, les causeries musicales se font plus fréquentes (environ deux par an) et attirent un public croissant. Un noyau de fidèles constitué d’une douzaine de personnes s’est rapidement constitué mais il arrive qu’une quarantaine de spectateurs se déplacent pour une causerie particulièrement fédératrice, ainsi celle consacrée à Johnny Hallyday ou aux Rolling Stones. Les retours positifs et encouragements de ces usagers sont une grande source de motivation pour poursuivre dans cette voie.

La période Covid a vu la fréquentation de toutes les ressources numériques augmenter de façon exponentielle. musicMe a largement bénéficié de ce renouveau en conquérant de nouveaux abonnés, d’autant que la plateforme propose un autre service qui le rapproche des modèles Spotify et Deezer : le mode hors connexion. L’usager peut ainsi enregistrer ses albums préférés et playlists. Il faut ajouter qu’il est désormais possible pour nous d’en faire la promotion sur le Facebook de la ville qui accueille les publications ayant trait à la médiathèque.

Vers une offre hybride

Actuellement, si une cinquantaine d’usagers seulement utilisent mensuellement musicMe, quelque 800 usagers se sont déjà connectés sur la plateforme et réactivent leur compte au gré de leurs envies (ce qui représente un peu moins de la moitié des personnes inscrites à la médiathèque). Environ 53 000 plages de musique sont écoutées par an. Il est intéressant de noter qu’à côté d’usagers qui utilisent régulièrement la plateforme dans des proportions « classiques », quelques-uns cumulent un taux d’écoute impressionnant, musicMe représentant certainement leur principale source de musique. Par ailleurs, on remarque que les radios proposées par la médiathèque (au nombre de 10 environ par an) rencontrent le public d’abonnés et sont même écoutées au-delà. En effet, elles sont diffusées en dehors du cercle des usagers de la médiathèque par le biais des réseaux sociaux et des réseaux des bibliothèques. Elles sont également, à l’occasion, utilisées comme bandes-son lors de certains évènements (La Saint-Patrick fêtée dans le pub de la commune, l’exposition autour de la BD « Underground » au 106, la salle de musiques actuelles de Rouen…). Les radios thématiques constituent ainsi une vitrine de la musique à la médiathèque.

L’évolution de ces dernières années est donc notable. Mais au regard de tous les efforts fournis, on voit bien que le public bénéficiaire est avant tout un public de niche. Nous pensons que le manque de fonds physique ou d’espace consacré à la musique dans la structure limite la portée de nos actions. Il est primordial d’interroger la pertinence des dispositifs de médiation des services de streaming en bibliothèque à l’heure où l’on se pose la question du « tout numérique ». Évidemment, proposer 10 000 CD de nos jours dans une médiathèque peut sembler absurde. Pourquoi dès lors ne pas opter pour une démarche hybride qui développerait un fonds musical bâti sur une sélection habile de titres capables ensuite de guider l’usager vers des collections numériques ? Que dire, encore, de la nécessité de développer la musique en live en médiathèque ? Pour notre part, nous sommes convaincus que la médiation de l’offre musicale, d’autant plus lorsqu’elle est tout ou partie numérique, ne peut faire l’économie d’une visibilité au sein même de la médiathèque. C’est dans cette optique que nous préparons la mise en place d’un « coin musique » dans notre espace (petite déco, fauteuils, casque et tablette pour l’accès à musicMe, lecteur CD pour tester les livres audio, mise en avant des livres et revues autour de la musique) et que nous pensons à notre programmation musicale pour 2023. Ajoutons que nous comptons intensifier la médiation vers le public adolescent.

La musique est le loisir culturel préféré des Français, à nous de lui faire la meilleure place dans nos structures avec les moyens d’aujourd’hui !