Vivre la musique autrement : l’offre et les services de la bibliothèque Antipode

Questionner la place de l’offre musicale en bibliothèque est devenu un refrain récurrent dans un contexte d’érosion du prêt de CD. Un projet d’ouverture de nouvelle bibliothèque est l’occasion de s’interroger sur les nouvelles pratiques musicales des publics et d’en déduire des services adaptés. À Rennes, la bibliothèque Antipode 1

a ouvert fin septembre 2021 en proposant une offre musicale orientée vers le soutien aux pratiques en amateur. La clôture de cette première année d’ouverture est l’occasion de retracer les origines du projet, d’en souligner les conditions de réussite et de dresser un premier bilan.

La musique au cœur du projet Antipode

L’Antipode, c’est une Maison des jeunes et des cultures (MJC) et une bibliothèque de quartier, réunies dans un même bâtiment, mais surtout autour d’objectifs communs. La bibliothèque 2

et la MJC ont habité ensemble pendant de nombreuses années avant de déménager dans le nouveau bâtiment inauguré le 22 octobre 2021 3 : une expérience de vie commune qui a permis d’identifier des passerelles et des sujets transversaux concernant les deux structures. La musique est, avec l’enfance et l’animation de proximité, un des axes forts du projet commun porté par la MJC 4 et par la bibliothèque. En effet, la MJC propose des ateliers d’expression musicale 5, soutient les pratiques en amateur et les artistes émergents 6, et elle est aussi un lieu de diffusion de musiques actuelles 7 labellisé par l’État (SMAC – Scène de musiques actuelles) 8. De son côté, en résonance, la bibliothèque a donné une place particulière à la musique dans ses collections et sa programmation. C’est pourquoi la question de l’offre musicale a particulièrement été travaillée pour le projet de nouvelle bibliothèque.

Le choix d’une offre musicale alternative, centrée sur les pratiques en amateur

La musique étant une composante centrale du projet, un groupe de travail a été constitué pour actualiser l’offre musicale de la bibliothèque, dans un contexte d’évolution significative des pratiques musicales des Français (notamment la baisse de l’achat et des emprunts de CD, et l’essor du streaming) 9

. Plusieurs collègues ont participé au congrès de l’Acim (Association pour la coopération des professionnels de l’information musicale) 10 en 2018 où ils ont pris connaissance d’initiatives innovantes et d’offres musicales alternatives 11. Les services finalement développés par la nouvelle bibliothèque Antipode ont été sélectionnés de manière à compléter ceux déjà proposés par la MJC afin de proposer un parcours cohérent au sein de l’équipement. Ainsi, un usager peut venir écouter et emprunter de la musique à la bibliothèque ou assister à des concerts à la MJC (découvrir), emprunter un instrument de musique 12, une partition, une méthode ou jouer du piano sur place à la bibliothèque (pratiquer), puis aller à la MJC pour suivre un atelier de piano ou de guitare (apprendre), répéter avec son groupe dans un studio de répétition 13 ou développer un projet artistique dans l’Atelier de création 14 (créer), et éventuellement, pourquoi pas ?, se produire un jour sur scène dans la salle de concert. Avec, à l'esprit, la volonté de rendre la musique accessible à tous et de matérialiser la musique via les sens : l’ouïe (diffusion de musique), la vue (instruments exposés au mur, décoration rock), le toucher (manipulation d’instruments et de vinyles).

Penser les nouveaux services et se former : une étape essentielle

Le lancement de nouveaux services peut générer de l’inquiétude et des interrogations pour les agents, notamment lorsqu’ils n’en maîtrisent pas les outils. Or, au moment où la décision a été prise de prêter des instruments de musique à la bibliothèque Antipode, peu de collègues au sein de l’équipe avaient déjà pratiqué un instrument de musique et aucun ne pouvait se revendiquer musicien ! Une attention toute particulière a donc été portée sur la formation et l’accompagnement du personnel.

Ainsi, les critères pour la recherche d’un fournisseur d’instruments de musique ont ciblé à la fois sa capacité à fournir un lot d’instruments variés 15

, mais aussi sa faculté à prendre en charge une partie de la formation du personnel, et à assurer le service après-vente et l’entretien biannuel de l’ensemble du parc d’instruments. La qualité de la relation avec le fournisseur est un élément crucial : un temps de présentation du projet de prêt a été nécessaire pour que le fournisseur puisse bien en comprendre les objectifs et les publics ciblés, et pour qu’il puisse orienter le choix des instruments en fonction de leur gamme de prix (du milieu de gamme pour garantir une meilleure durée de vie) et donner des conseils pour se repérer parmi les différents modèles. À noter que le choix du type d’instruments proposés à la bibliothèque Antipode s’est fait en collaboration avec la bibliothèque des Champs Libres (Rennes Métropole), afin que les deux bibliothèques proposent une offre complémentaire sur le territoire rennais 16.

Le fournisseur a donc proposé une formation spéciale pour le personnel de la bibliothèque, sur les connaissances de base relatives à la typologie des instruments et à leur fonctionnement (comment tenir l’instrument, comment l’accorder, comment brancher un ampli), avec une session sur les guitares et une session sur les instruments électroniques.

En s’inspirant des pratiques d’autres bibliothèques, nous avons élaboré une procédure et un contrat de prêt, avec pour objectif la simplicité et la facilité, pour le public comme pour le personnel (aucune caution n’est demandée). Un catalogue papier a été constitué, présentant chaque pack d’instruments (liste des accessoires prêtés avec l’instrument), facilitant la médiation envers les publics. Le personnel a été préparé et formé à cette procédure de prêt par le responsable du secteur musique de la bibliothèque, afin que chaque collègue soit capable d’assurer le prêt ou le retour d’instruments en toute autonomie. La procédure a été ajustée et adaptée au fur et à mesure de l’évolution du service et des remarques des collègues à l’usage. Il a fallu rassurer les collègues et bien délimiter les frontières de nos compétences professionnelles : nous ne sommes ni un magasin de musique, ni un conservatoire, et notre rôle est avant tout de faciliter l’accès à des instruments.

L’aménagement de l’espace a été un autre enjeu notable autour de ce nouveau service. Afin de rendre ce service attractif, les instruments ont été accrochés à un mur, visible depuis l’extérieur de la bibliothèque à travers la paroi vitrée.

L’espace musique se trouve d’ailleurs au rez-de-chaussée de la bibliothèque : les publics sont invités à entrer dans la bibliothèque par l’espace musique, ce qui a permis de faire connaître rapidement et efficacement ce nouveau service de prêt d’instruments, et de toucher de nouveaux publics qui n’utilisaient pas forcément les collections de CD.

Enfin, pour assurer ce service dans des conditions matérielles adaptées, un espace spécifique a été aménagé pour le prêt et le retour d’instruments : une table servant d’atelier pour poser les instruments au moment de la vérification de leur état ou pour changer les cordes si nécessaire, et un meuble pour ranger et trier les différents accessoires des packs 17

et pour stocker les outils de prêt (classeurs, cartes).

Après un an de fonctionnement, un premier bilan très positif

Le prêt d’instruments rencontre un vif succès. Cette offre de prêt est composée d’une trentaine d’instruments : ukulélés, guitares acoustiques (classique et folk), guitares électriques (différents modèles sont proposés), guitares basses électriques, pianos numériques, instruments électroniques (Loop Station Boss RC-505 et boîte à rythmes analogique Drumbrute Impact), pédales d’effet pour guitare empruntables séparément. Les guitares électriques sont prêtées avec un ampli et sont prêtes à l’usage. Sur une première année de fonctionnement, les instruments sont sortis en moyenne un peu plus de sept fois chacun. Les guitares électriques et les pianos numériques ont en permanence deux ou trois réservations en attente.

Le public emprunteur est très varié. Il peut s’agir de débutants qui souhaitent découvrir un instrument avant éventuellement de se lancer dans un achat et dans un apprentissage plus poussé, par exemple un enfant qui vient emprunter avec ses parents. La bibliothèque joue ici pleinement son rôle de facilitatrice dans la découverte de l’instrument, qui est particulièrement précieux dans le cas de publics n’ayant pas de musiciens dans leur entourage proche et n’ayant pas le budget pour acheter directement un instrument. À côté de ces grands débutants, on rencontre un profil d’usager ayant pratiqué un instrument dans le passé et souhaitant le redécouvrir, à la maison, en toute liberté. Des musiciens confirmés, dont certains artistes en résidence à l’Antipode 18

, ont également recours au prêt d’instrument. Dans ce dernier cas, l’emprunt peut être effectué pour découvrir un autre modèle de guitare ou pour un besoin ponctuel lié par exemple à l’animation d’un atelier de pratique musicale.

Pour le bibliothécaire, le prêt d’instrument est particulier dans le sens où il nécessite une forte médiation, notamment pour les publics novices. Il faut parfois compter 15 à 20 minutes pour expliquer, pour accompagner ce prêt. Ceci nécessite du personnel formé et disponible sur les horaires d’ouverture (de même, la vérification de l’instrument au retour prend elle aussi du temps). Les collègues qui n’étaient pas musiciens ont fourni un bel effort pour se lancer dans l’aventure. En retour, l’intérêt et la satisfaction du public sont pour eux très gratifiants. Après un an de mise en place du service, le parc d’instruments demeure en bon état 19

, l’entretien et la maintenance deux fois par an par notre fournisseur ont contribué au maintien de la qualité de nos instruments sur la durée 20.

Les autres supports sur la musique ont également trouvé leur public : les vinyles (une collection de 470 références à l’ouverture, hors scène locale) et les partitions et méthodes (290 exemplaires à l’ouverture) ont été empruntés un peu plus de deux fois en moyenne durant cette première année de fonctionnement.

À ces pratiques de prêts s’ajoutent les usages sur place. Le piano mis à disposition dans l’espace musique est surtout utilisé par un public jeune qui vient s’exercer avant un atelier proposé à la MJC. Des jeunes non musiciens jouent aussi sur ce piano, le verbe « jouer » étant à prendre dans le sens premier du mot. Ici, la mise à disposition permet de « désacraliser » l’instrument de musique. Ces expériences se déroulent au casque et ne dérangent pas les autres usagers. Une platine vinyle peut également être réservée pour une écoute sur place dans le petit salon situé à l’entrée. Le public utilise souvent ce service pour une écoute approfondie au casque dans un fauteuil confortable. Enfin, le jeu vidéo Rocksmith 21

pour apprendre à jouer de la guitare est aussi proposé sur place. Nous souhaitons le valoriser en organisant à l’avenir des démos ou des tournois.

Les pratiques et les demandes des publics sont nos sources pour faire évoluer l’offre. Les suggestions des usagers ont ainsi été relevées et prises en compte pour le réassort du parc d’instruments réalisé en 2022 22

. Une réflexion est en cours sur l’opportunité de proposer des platines en prêt pour écouter les vinyles. À l’avenir, nous souhaiterions continuer à tisser des liens avec les publics et avec nos partenaires en créant des passerelles avec les ateliers proposés par la MJC, par des rencontres avec des artistes en résidence ou se produisant en concert sur place, ou encore en proposant des ateliers MAO (musique assistée par ordinateur).

Grâce à la mise en place de ses nouveaux services musicaux, la bibliothèque Antipode attire de nouveaux publics et participe à la démocratisation de l’instrument de musique en le rendant facilement accessible à tous. Le choix de positionner l’espace musique dès l’entrée du bâtiment est par ailleurs un signal fort pour promouvoir et donner à voir ces nouveaux services. Enfin, prendre en compte les différentes façons de vivre la musique (écouter, jouer, créer), c’est mettre en place un écosystème dans lequel chaque activité peut potentiellement se nourrir de l’autre. Un schéma qui fait particulièrement sens au sein du projet de l’Antipode.