La musique dans les bibliothèques d’Ille-et-Vilaine : une offre en pleine mutation

Bruno Guérin

En 2021, dans le cadre de sa politique documentaire concertée, la Médiathèque départementale d’Ille-et-Vilaine (MDIV) a mené une consultation auprès d’un panel de bibliothèques autour de la musique. Il s’agissait de faire un point objectif sur les usages et de réfléchir collectivement à l’avenir de l’offre musicale, à la fois du point de vue des structures municipales et intercommunales dans leur diversité et de celui de la médiathèque départementale dans le cadre de sa mission d’accompagnement.

Une enquête quantitative et qualitative

Nous avons défini un échantillon de vingt bibliothèques et deux intercommunalités auxquelles nous avons adressé une demande de statistiques sur l’évolution de leurs collections de CD (budget, découpage et rotation, de 2017 à 2019, 2020 étant inexploitable) ainsi qu’un questionnaire sur leurs pratiques (critères de sélection, nouveaux supports, médiation, animation, numérique, partenaires). Des entretiens ont été menés dans cinq structures et une rencontre en visioconférence a permis de réunir tous les participants pour enrichir et prioriser les idées.

La médiation et l’animation, principaux moteurs de l’offre musicale en médiathèque

Les résultats de l’enquête font l’objet d’un diaporama 1

publié sur le portail de la médiathèque départementale. Les limites des SIGB et la grande diversité des usages à l’échelle d’un département n’ont pas permis d’obtenir des résultats aussi fins et significatifs qu’espérés. Cela dit, des tendances ont été mises en évidence.

En tenant compte de l’évolution constatée en 2021, et sans oublier qu’il s’agit d’un territoire rural et péri-urbain, voici les principales observations :

  • Suite à la baisse de l’usage du CD (prêts et budgets) et notamment l’effondrement sans rebond constaté en 2020, une proportion notable de bibliothèques municipales abandonne de fait l’offre musicale. Un tiers des dépôts de CD de la MDIV ont été rendus, tout ou partie.
  • En 2022, cette baisse s’est poursuivie mais semble se stabiliser. Aujourd’hui, dans environ un quart des structures du département, l’offre musicale perdure, voire se développe en se diversifiant (nouveaux supports, espace attractif et médiation). Souvent, le succès de ces services dépend de la présence d’un agent spécialisé ou du moins intéressé par la musique.
  • Une demande spontanée existe toujours pour le CD via certains titres de variétés, les nouveautés et les disques jeunesse. Au-delà, un CD ne sort que s’il a été mis en valeur par une action de médiation. Des pratiques très simples de mise en valeur sur place peuvent suffire.
  • Très rares en 2020, les offres de vinyles se multiplient en 2022. L’intérêt pour le prêt d’instruments semble suivre, mais pas pour les partitions. Tous ces nouveaux supports sont pensés davantage comme des outils de médiation que des collections à part entière (sauf dans les grandes structures).
  • Les offres de streaming dédiées aux médiathèques apportent globalement peu de satisfaction.
  • Principale conclusion de l’enquête : la médiation et l’animation sont les principaux moteurs de l’offre musicale en médiathèque, l’animation la plus appréciée des usagers étant le concert.
  • Vis-à-vis de la bibliothèque départementale, outre l’aide au renouvellement des collections, la demande de soutien concerne en priorité la médiation. Les participants ont également insisté sur l’intérêt des rencontres entre pairs et la nécessité d’une démarche d’advocacy envers leurs élus.
  • La nature hybride de ces nouvelles offres en fait une activité chronophage pour les agents et relativement onéreuse pour les collectivités. Les partenariats extérieurs (écoles de musique, festivals, radios…) sont incontournables.
  • On constate un effet de seuil en termes d’investissement par les communes. Lorsque des moyens humains et matériels suffisants sont mobilisés, le service fonctionne. Ce succès se mesure au nombre de personnes présentes aux animations ou au regard de la courbe des prêts de vinyles plutôt qu’à celle des CD, qui même stabilisés, restent faibles.
  • La visibilité demeure courte pour les médiathèques. Pour beaucoup d’entre elles, difficile de savoir de quoi sera faite leur offre musique dans cinq ans.
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Figure 1. Concert du groupe Gwoka à la médiathèque La Source de Noyal-Châtillon-sur-Seiche

L’offre de la Médiathèque départementale d’Ille-et-Vilaine redéployée

En termes de collections de CD, la consultation a montré que la médiathèque départementale avait encore un rôle d’appoint important à jouer pour les médiathèques qui veulent maintenir une offre alors même que les budgets se réduisent. Nous conservons donc notre collection (34 000 CD en novembre 2022) moyennant des aménagements. Pour réduire son volume tout en gardant sa diversité, nous réduisons largement les exemplaires, un seul dans la plupart des catégories sauf là où une demande notable existe encore, deux exemplaires pour une partie de la variété française et internationale, et quatre en jeunesse où l’édition est faible. Un désherbage massif, quoique progressif, a donc été enclenché selon ces critères en 2022.

Par ailleurs, nous tentons de consacrer 30 % de notre budget à l’achat de micro-sélections, dites « valisettes », destinées à alimenter directement des tables de présentation. Les thématiques se veulent variées et sont ouvertes aux suggestions des médiathèques (Piano, Scène belge, Pagan folk, London jazz, Chanteurs à moustache…). Enfin, une fonctionnalité de suggestions d’achat CD a été ajoutée à notre portail.

Pour soutenir l’organisation de concerts et plus largement d’animations musicales, nous travaillons à la création d’une micro-base de données coopérative de musiciens et intervenants locaux, alimentée par les bibliothécaires eux-mêmes. Cet outil reposerait sur une version allégée de Waterbear, SIGB libre développé par Quentin Chevillon.

Des outils et des ressources pour les personnels des bibliothèques du réseau

En lien avec le service Action culturelle du Conseil départemental, une journée de rencontre entre bibliothécaires et acteurs locaux de la diffusion musicale (notamment des festivals) est envisagée en 2023.

Concernant la diversification des supports, les médiathèques ont été incitées à se tourner vers un dispositif préexistant à la MDIV, dit de « soutien aux acquisitions sur projet ». Celui-ci permet à la MDIV de soutenir un groupement de communes dans la constitution d’un fonds, sous réserve d’intégrer ce fonds dans le projet de service et d’y consacrer des actions de médiation. Plusieurs intercommunalités ont utilisé ce dispositif comme appoint pour créer des fonds de vinyles.

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Figure 2. Le salon vinyle de la médiathèque Paul-Ruaudel de Saint-Grégoire

Deux nouvelles expositions musicales ont été achetées et nous avons priorisé la création d’un espace petite enfance mobile dédié à l’éveil musical. Ces outils s’ajoutent à des malles de médiation préexistantes, la plus demandée étant celle consacrée au vinyle 2

. Une formation pratique sur la médiation musicale est au plan de formation 2023.

Concernant la demande de rencontre entre pairs, la MDIV propose depuis une dizaine d’années des rencontres semestrielles autour de la musique. Espaces d’échange de coups de cœur mais aussi de questions et d’actualités, elles sont de plus en plus l’occasion d’échanger sur les évolutions du métier.

Les albums écoutés lors de ces comités sont diffusés via un site, l’Opus à l’oreille 3

, qui peut être utilisé pour alimenter des acquisitions, de l’écoute sur place ou des partages sur les réseaux sociaux.

Enfin, pour contribuer à faire connaître et à défendre l’offre musicale en médiathèque auprès des élus et équipes, nous avons rédigé un mémento 4

assorti d’une courte vidéo. Ce document a été coécrit avec des participants à la consultation et visé par l’Acim (Association pour la coopération des professionnels de l’information musicale).