Livres au trésor : intégrer un fonds de littérature jeunesse en bibliothèque universitaire
Pendant plus de vingt ans, le fonds Livres au trésor (LAT) a été mis au service de la lecture publique et de la formation en Seine-Saint-Denis, notamment au bénéfice du professorat et de l’éducation nationale. Il a cessé ses activités en 2010, avant que le fonds ne soit donné en 2013 par la Ville de Bobigny à la bibliothèque universitaire de l’université Paris-13.
Grâce à ce don, la collection a acquis un statut différent et a diversifié ses publics : enseignants-chercheurs, étudiants, scolaires, professionnels et lecteurs extérieurs à l’université. Elle a également embrassé une vocation patrimoniale, qui coexiste avec une activité de recherche fondamentale et d’enseignement universitaire dans le respect de l’héritage originel de lecture publique.
Depuis 2014 et l’installation du fonds dans les locaux de l’actuelle bibliothèque universitaire Edgar-Morin (BUEM) de Villetaneuse, le travail mené autour de la collection vise à maintenir cet héritage de lecture publique et à le mettre au service des activités d’enseignement et de recherche fondamentale qui sont celles de l’université. Dans quelle mesure cet héritage a-t-il une influence sur la gestion concrète du fonds ? Comment s’organisent la politique documentaire 1
Il faut entendre le terme de « politique documentaire » dans son acceptation large, c’est-à-dire en tant qu’approche globale de la chaîne documentaire, de la sélection à l’acquisition en passant par la médiation et la conservation – le désherbage étant exclu pour LAT. Pour une réflexion sur la politique documentaire, voir : Bertrand CALLENGE. Conduire une politique documentaire. Paris : Éditions du Cercle de la Librairie. 1999.
Si l’histoire de la collection permet d’expliquer aujourd’hui encore certaines orientations en matière de politique documentaire, son passage du monde de la lecture publique au monde universitaire a modifié en profondeur son évolution récente en donnant la priorité à la recherche et à l’enseignement, sans exclure pour autant des formes de médiation proches de la lecture publique.
Évolution historique du fonds
Livres au trésor est né en Seine-Saint-Denis, dans les années 1980, à l’initiative du personnel des bibliothèques de Bobigny. La dimension patrimoniale acquise progressivement par le fonds s’affirme tant par la rareté ou le caractère épuisé d’une majeure partie des ouvrages qui le composent que par la cartographie unique qu’il propose de l’édition pour la jeunesse, dont il est la mémoire depuis les années 1980 2
Nous nous appuyons ici sur les dispositions de l’article R311-1 du patrimoine en bibliothèque, qui définit le patrimoine en bibliothèque : « […] les biens conservés par les bibliothèques relevant d’une personne publique, qui présentent un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique, notamment les exemplaires identifiés de chacun des documents dont le dépôt est prescrit aux fins de constitution d’une mémoire nationale par l’article L. 131-2 du présent code et les documents anciens, rares ou précieux ». https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041687790
Une collection séquano-dionysienne, de la lecture publique à l’université
Le fonds possède un ancrage géographique et historique particulier et reflète donc en partie les problématiques du département ainsi que le bassin de population desservie. Si le français reste la langue très largement majoritaire (97 % des ouvrages), les acquisitions ont été influencées par cette identité particulière avec des thématiques axées sur les questions de l’immigration, de l’exil et du métissage, qui sont une première porte d’entrée dans la collection.
La cessation des activités autour du fonds en 2010 a conduit la Ville de Bobigny à le céder à l’université Paris-13 (actuelle université Sorbonne Paris Nord, USPN), qui constituait un point de chute évident à plus d’un titre. Outre une continuité spatiale et géographique en Seine-Saint-Denis, la présence de l’unité de recherche Pléiade 3
au sein de l’USPN garantissait une exploitation scientifique du fonds dans les domaines de la littérature générale et comparée, de l’histoire du livre et de l’édition ainsi que des sciences de l’éducation. Livres au trésor constitue également un support précieux pour les étudiants de l’unité de formation et de recherches (UFR) « Lettres, langues, sciences humaines et des sociétés » (LLSHS) dont les enseignements sont liés, de près ou de loin, au livre pour l’enfance et la jeunesse.Le déménagement de la collection au sein de l’USPN a constitué un changement majeur pour le fonds, dont le centre de gravité s’est trouvé ainsi déplacé de la lecture publique à la recherche et à l’enseignement universitaire. Toutefois, l’USPN s’est engagée par convention à en continuer l’exploitation, l’alimentation, la mise en valeur, et a veillé à ne pas rompre ce lien avec le territoire.
Composition du fonds LAT : une richesse reconnue par une labellisation CollEx
Depuis 2014, le fonds est installé dans les espaces de la BUEM de Villetaneuse, au sein de laquelle on peut identifier le nouveau bâtiment – inauguré en 2017 – et l’ancien bâtiment. Les espaces de l’ancien bâtiment sont essentiellement des espaces de bureaux, de stockage de documents et d’enseignement ponctuel : ils reçoivent un public restreint, notamment à l’occasion de séminaires de master s’appuyant sur les collections. Outre le public étudiant et recherche de l’USPN, la bibliothèque accueille également des publics extérieurs, qu’ils soient inscrits ou non à l’université. Ce public extérieur est composé aussi bien d’étudiants d’établissements d’enseignement supérieur franciliens que de lycéens ou de résidents du territoire.
Le fonds Livres au trésor est réparti entre les espaces de l’ancien bâtiment, en accès restreint, et l’espace du rez-de-chaussée du nouveau bâtiment (« le kiosque ») qui est en accès libre. Le kiosque constitue un lieu de détente des étudiants et propice à des lectures non prescrites (manga, bandes dessinées, ouvrages dédiés à l’apprentissage du français y sont proposés, en plus d’une partie de la collection LAT).
En raison de la dimension patrimoniale du fonds, la majeure partie des collections est installée dans l’ancien bâtiment et est exclue du prêt. Seule une consultation sur place, en accès indirect, est autorisée. Les ouvrages situés au kiosque (entre 2 500 et 3 000 documents de LAT) sont des acquisitions récentes, dont les tirages ne sont pas épuisés et donc facilement remplaçables en cas de perte, de dégradation ou de vol : il s’agit essentiellement de romans pour adolescents et des documents identifiés au sein du programme G-BOOK I et II (voir encadré).
Les monographies du fonds Livres au trésor, composé de plus de 50 000 documents, sont réparties de la manière suivante (figure 1) :
Figure 1. Répartition des monographies du fonds Livres au trésor
L’analyse de la répartition par décennie des documents qui composent le fonds souligne sa temporalité, inscrite dans les dernières décennies écoulées (figure 2).
Figure 2. Répartition par décennie des documents de Livres au trésor
L’âge moyen de la collection Livres au trésor se situe autour de l’année 2000, tandis que son âge médian se situe autour de l’année 2001. Il est possible de constater l’émergence de thématiques et de problématiques nouvelles dans l’édition jeunesse : si l’on examine le cas des ouvrages retenus dans la bibliographie G-BOOK (voir encadré), l’âge médian se situe autour de l’année 2014 et l’âge moyen autour de l’année 2015.
L’écrasante majorité de la collection n’étant pas libre de droits, il n’existe pas d’offre numérique pouvant compléter l’offre papier. Outre les monographies, majoritaires en proportion, il faut également signaler une part non négligeable de périodiques, des catalogues d’éditeurs et des archives du fonds (une trentaine de mètres linéaires, encore non traitées, parmi lesquelles on trouve également de la littérature grise, dont des écrits d’enfants) 4
On estime le nombre total de titres de périodiques jeunesse et du fonds professionnel à environ 200. Toutes les séries ne sont pas complètes et ce chiffre doit encore être affiné avec l’achèvement du traitement des dons les plus récents.
Enfin, une labellisation CollEx est venue confirmer en 2018 la valeur scientifique du fonds en lui reconnaissant le statut de « collection d’excellence pour la recherche ». Cette labellisation permet d’inscrire la BUEM dans le réseau des bibliothèques du groupement d’intérêt scientifique (GIS) CollEx-Persée 5
Le GIS CollEx-Persée est présenté à la page suivante : https://www.collexpersee.eu/a-propos/strategie/
Don respectivement estimé à près de 1 200 documents jeunesse de la bibliothèque municipale de Lyon et à environ 26 mètres linéaires de documents pour la médiathèque Centre-Ville de Saint-Denis, comprenant des ouvrages d’éditeurs remarquables et des collections phares, à l’instar de publications des éditions La Farandole allant des années 1950 aux années 1990.
Cette labellisation CollEx vient symboliquement parachever et consacrer la mutation du fonds, désormais envisagé prioritairement comme un fonds universitaire dédié à la recherche et à l’enseignement malgré son origine.
Il nous faut examiner maintenant les conséquences de ce déplacement du centre de gravité de Livres au trésor sur la politique d’acquisitions.
Des acquisitions en coopération étroite avec la recherche
Livres au trésor est cogéré par le personnel de la BUEM et la structure fédérative de recherche Medialect, interne à l’USPN, qui regroupe plusieurs laboratoires : Pléiade, Experice et le Labsic de l’UFR infocom 7
.Cadre de fonctionnement : une cogestion de la bibliothèque et de la plateforme de recherche
Ce mode de fonctionnement donne un point d’appui concret à la collaboration entre personnel scientifique de la bibliothèque et chercheurs sur le fonds. C’est en effet la commission recherche de l’université qui finance les acquisitions d’ouvrages dans le cadre des projets pluriannuels des plateformes fédératives de recherche. Du côté de la bibliothèque universitaire, un poste de conservateur responsable de la valorisation des collections est partiellement dédié au fonds Livres au trésor, ainsi que deux postes de bibliothécaires assistants spécialisés (BIBAS) et un poste de magasinier. Du côté de l’UFR LLSHS, deux postes d’assistants administratifs de recherche sont en partie consacrés au traitement des commandes et à la logistique lors de l’organisation d’événements (défraiement lors d’invitations d’auteurs, organisation de journées d’études, accueil de public extérieur, etc.).
La veille éditoriale et les acquisitions sont principalement réparties entre les deux postes de BIBAS et sont réalisées à échéance mensuelle sous la supervision du conservateur, parfois avec son intervention directe dans le processus lorsque cela est possible. Les acquisitions font également l’objet d’un dialogue informel régulier avec les chercheurs du laboratoire Pléiade. Les orientations d’acquisitions et la politique documentaire générale sont validées en séances annuelles de comité de pilotage 8
Ce comité réunit des représentants des laboratoires concernés, du réseau de médiathèques Plaine Commune, de représentants de la BUEM, de la responsable de la structure fédérative Médialect interne à l’USPN, de représentants de la plateforme FPJS (Fonds patrimonial du jeu de société) ainsi que de personnalités extérieures.
Le budget annuel actuellement dédié pour le fonds LAT est de 15 000 euros : il sert à couvrir aussi bien les acquisitions de documents que l’achat de matériel, la formation des agents, ou encore certaines dépenses événementielles ponctuelles (buffets d’accueil, etc.). La majeure partie du budget (95 % en moyenne sur les trois dernières années) est consacrée aux acquisitions, et permet ainsi l’achat d’environ 1 180 documents en moyenne par an. La somme consacrée initialement aux acquisitions à titre onéreux était encore supérieure lors des premières années qui ont suivi l’installation du fonds dans les locaux de Villetaneuse, afin de compléter en partie l’interruption des acquisitions entre 2010 et 2013. Ainsi, le fonds représente depuis 2014 un investissement conséquent et continu de l’établissement, aussi bien en temps de travail du personnel administratif et scientifique qu’en termes strictement financiers.
Au cours de cette période, les thématiques d’acquisitions ont pu évoluer ou être complétées afin de suivre l’évolution du champ scientifique et de son actualité de recherche mais aussi en fonction des évolutions locales, propres au territoire de la Seine-Saint-Denis.
Critères de définition des acquisitions : les fonds à la lumière des childhood studies
Ainsi que nous l’avons vu, l’accroissement des collections passe à la fois par les dons de personnes privées ou publiques et par des acquisitions réalisées grâce au budget alloué par la commission recherche de l’université. L’objectif principal des acquisitions à titre onéreux est de proposer un panorama de l’édition contemporaine pour la jeunesse en acquérant des ouvrages représentatifs de la production éditoriale récente. Les ouvrages jeunesse récipiendaires de prix littéraires nationaux ou internationaux, ainsi que ceux valorisés lors d’événements tels que les salons du livre, tendent également à faire l’objet d’acquisitions 9
Le Salon du livre jeunesse de Montreuil, qui se déroule en Seine-Saint-Denis, est à cet égard particulièrement suivi.
En règle générale, l’offre à destination de la jeunesse en bibliothèque, du fait de l’âge du public desservi, parvient plus difficilement à se libérer d’un certain caractère prescripteur : le moralisme inhérent à ce type de littérature, que l’on peut faire remonter à la période moderne et qui s’affirme particulièrement au XIXe siècle, est un héritage qui incite encore aujourd’hui à la vigilance. Le personnel de bibliothèque, lorsqu’il constitue et enrichit une collection par une opération de sélection d’ouvrages, ne fait pas exception aux biais plus ou moins conscients qui sous-tend les goûts et les aversions de chaque individu 10
Pierre Bourdieu et Yvette Delsaut proposaient comme « définition universelle du plaisir esthétique » le fait de trouver dans une œuvre « cette satisfaction supplémentaire qui consiste à s’y retrouver tout entier, s’y reconnaître, s’y trouver bien, s’y sentir chez soi, y retrouver son monde et son rapport au monde ». BOURDIEU, Pierre et Yvette DELSAUT. « Pour une sociologie de la perception », Actes de la recherche en sciences sociales. Novembre 1981, vol. 40 no 1. p. 3-9. En ligne : https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1981_num_40_1_2131 [consulté le 21 mai 2022].
L’apport théorique de la sociologie permet de prendre conscience des déterminismes sociaux qui peuvent opérer, à défaut de s’en libérer complètement. Dans le cas qui nous occupe, l’influence des childhood studies vient compléter cette réflexion en proposant depuis les années 1970 d’envisager l’enfant en tant qu’individu autonome, capable de créer ses propres critères d’appréciation et d’analyse 11
Le courant des études sur l’enfance est une pratique interdisciplinaire qui s’affirme depuis la dernière décennie dans le champ académique français à partir de la sociologie de l’enfance et de l’impulsion donnée par les childhood studies dans les pays anglo-saxons. La traduction même du concept de childhood studies n’est pas évidente et pose des problèmes épistémologiques trop longs pour être abordés ici. Voir par exemple Mathilde LÉVÊQUE. « Les Childhood Studies en France : esquisses d’un domaine à construire », Blog Le magasin des enfants. 9 février 2017. En ligne : https://magasindesenfants.hypotheses.org/5894 [consulté le 21 mai 2022]. Pour une approche approfondie de cette thématique, nous renvoyons à la bibliographie en fin d’article.
Partant de ce constat d’arbitraire inhérent à toute opération de veille et de sélection, il est difficile de mesurer la pertinence des choix à l’aide d’outils statistiques sur les usages comme on pourrait le faire avec un fonds classique : celui-ci étant dans sa majeure partie exclu du prêt et mis à disposition d’enseignants-chercheurs, de professionnels et d’étudiants et non du public cible des éditeurs, à savoir les enfants ou les adolescents, on se retrouve de nouveau confronté à l’originalité et l’hybridité de Livres au trésor. La dimension patrimoniale du fonds et sa vocation à servir la recherche fondamentale ne permettent pas de définir l’offre en réaction à la demande. Au contraire, on ne saurait par définition anticiper ou préjuger l’état de la science et ses besoins dans le futur. En définitive, c’est par une veille attentive et aussi neutre que possible, accompagnée d’un dialogue étroit avec les usagers du fonds, que l’on peut avancer et construire sa politique.
Le dialogue et la veille ne sauraient toutefois suffire : un plan de développement des collections est mis à jour chaque année et sert de fil directeur aux opérations d’acquisitions. Il s’appuie sur plusieurs critères, dont un certain nombre sont un héritage de la collection initiale et du don fondateur de la Ville de Bobigny. Un premier critère est celui du type de documents : en proportion, les acquisitions respectent l’ordre de répartition présenté dans la figure 1. Ce sont donc les albums qui représentent la part la plus importante des achats de documents, puis les romans, etc. Il s’agit donc autant d’une opération de sélection intellectuelle que d’une approche pragmatique de la composition du fonds 12
. Les bandes dessinées sont par exemple très peu représentées dans Livres au trésor et ne font donc en principe pas l’objet d’acquisition, sauf exception due à la qualité exceptionnelle du document combinée à une thématique identifiée comme incontournable du fonds.Ce sont en effet les thématiques des documents qui constituent le second critère majeur d’acquisition.
Évolution des thématiques d’acquisitions 13X
La liste est thématiques d’acquisition peut être consultée sur la page dédiée au fonds : https://www.univ-paris13.fr/livres-au-tresor/
La liste est thématiques d’acquisition peut être consultée sur la page dédiée au fonds : https://www.univ-paris13.fr/livres-au-tresor/
Une des thématiques déjà évoquée au début de notre propos est héritée de l’ancrage local du fonds en Seine-Saint-Denis et a été conservée autant par souci de continuité que pour son intérêt intrinsèque et son caractère permanent : celle de l’immigration et de l’exil. En lien avec cette thématique, un autre sujet initial de la collection était celui de la guerre, cause majeure de déplacements de population, qui a fait l’objet d’une attention particulière lors des années du centenaire de la Première Guerre mondiale.
Certaines thématiques sont développées au regard de l’actualité spécifique du territoire de Seine-Saint-Denis, comme c’est le cas pour celle du sport et des Jeux olympiques 2024, qui ont un effet structurant sur l’urbanisme du département.
D’autres sont envisagées à la lumière des spécificités de l’USPN et de son enseignement disciplinaire : le corps, l’anatomie ou la construction de soi reflètent les activités du campus de Bobigny, spécialisé en médecine et en psychopathologie 14
Un système de navette de documents est disponible entre les deux campus et leurs bibliothèques afin de permettre la consultation sur place des ouvrages à la bibliothèque Jean Dausset de Bobigny (BUJD). Un échantillon du fonds LAT est exposé à la BUJD afin de le faire connaître également aux usagers de ce campus.
Enfin, certaines thématiques font plutôt écho aux thématiques de recherche de l’USPN, voire plus largement à des problématiques sociales : projet G-BOOK 1 et 2 mais aussi la question de l’écologie, du rapport au vivant et à la nature qui tend par exemple à prendre une importance croissante dans les ouvrages jeunesse.
Ces thématiques ne sont bien sûr pas cloisonnées et peuvent faire écho au sein d’un même ouvrage, ou plus largement, de la collection Livres au trésor.
Projets G-BOOK : vers des collections inclusives
Le projet G-BOOK 1 « Gender Identity : Child Readers and Library Collections »1 (2017-2018) a été retenu et financé dans le cadre de l’appel « Europe créative ». Il avait pour objet de promouvoir une littérature pour enfants, adolescents et jeunes adultes qui soit positive en matière de genre, c’est-à-dire une littérature ouverte, plurielle, variée, dénuée de stéréotypes, qui encourage le respect et la diversité.
Il a impliqué six partenaires européens de 2017 à 2018 :
– l’université de Bologne (Centre MeTRa – porteur de projet) ;
– l’université Sorbonne Paris Nord ;
– l’université de Vigo ;
– l’université de Dublin ;
– la bibliothèque publique régionale « Petko Rachev Slaveikov » (Bulgarie) ;
– la bibliothèque de Sarajevo.
G-BOOK 1 a notamment permis :
– la création de la première bibliographie européenne de livres pour enfants de 3 à 10 ans « positifs » du point de vue du genre2 ;
– la mise en place de deux collections multilingues itinérantes entre les partenaires ;
– la création d’un espace réservé aux ouvrages de la bibliographie dans six bibliothèques des pays partenaires.
Fort de ce succès, un second volet, G-BOOK 2 « European teens as readers and creators in gender-positive narratives »3 (2020-2023), a été lancé dans le même cadre afin de reprendre le premier volet du projet pour l’étendre aux adolescents de 11 à 14 ans. Il a ainsi permis :
– la création la première bibliographie européenne de livres pour les 11 à 14 ans qui présente une perspective positive en matière de genre ;
– une série de réunions dans six groupes scolaires de niveau collège – un par pays partenaire – visant à stimuler la prise de conscience des questions liées au genre et à familiariser les élèves avec ces questions ;
– un concours littéraire et artistique dans les écoles. Ce concours se déroulera en deux phases. Dans la première, au sein de chaque pays, on demandera aux élèves d’écrire une nouvelle présentant une perspective positive sur le genre, en s’inspirant de la bibliographie. Les histoires qui seront récompensées seront traduites dans les autres langues pour être adaptées sous diverses formes artistiques, visuelles et multimodales par les élèves des autres pays partenaires.
Un événement de clôture réunissant l’ensemble des partenaires du projet est prévu en juin 2023 à Paris.
(Notes)
1. « Identités de genre : jeunes lecteurs et collections de livres en bibliothèques ».
2. La bibliographie G-BOOK (3-14 ans) est accessible à l’adresse suivante : https://g-book.eu/fr/bibliography-search-fr_fr/
3. « Adolescents européens comme lecteurs et créateurs de récits positifs en matière de genre ».
Publics et usages, de l’université à la société civile
Le fonds Livres au trésor apporte tout d’abord une plus-value aux enseignements de la littérature de jeunesse en licence et en master, en permettant aux enseignants et aux étudiants d’avoir accès aux documents sur place, ce qui est à notre connaissance un exemple unique en France dans ce domaine.
À l’université
Au cours de la période 2019-2021, le fonds LAT a constitué un support pour les cursus d’enseignements allant de la L3 au master (aussi bien professionnel que recherche) en lettres modernes, littérature, métiers culturels du texte et de l’image et sciences de l’éducation. Dans la continuité de son usage initial, il sert également d’appui aux masters 1 et 2 MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) de l’INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) de l’académie de Créteil, partenaire de l’USPN, qui propose des parcours, options et unités d’enseignement dans ce cadre.
Des rencontres avec des auteurs et des autrices sont organisées périodiquement par le laboratoire Pléiade, la BUEM et le service culturel de l’université : au rang des exemples récents, une rencontre avec l’autrice Susie Morgenstern a ainsi pu être organisée dans les locaux de la bibliothèque en décembre 2021. Des conférences thématiques sont également organisées à échéance régulière, à l’instar de l’invitation en octobre 2021 de Julie Fette, professeure à la Rice University de Houston, sur le thème de l’autocensure dans la littérature jeunesse américaine. Enfin, certaines rencontres autour de Livres au trésor sont organisées en partenariat avec la Maison des écrivains et de la littérature (MEL) et le réseau REP+ d’Épinay-sur-Seine.
La collection LAT est par ailleurs installée dans des espaces jouxtant le Fonds patrimonial du jeu de société (FPJS), vaste collection de plus de 12 000 jeux de 1840 à nos jours 15
https://www.univ-paris13.fr/fonds-patrimonial-du-jeu-de-societe/
. Un dossier de candidature pour une labellisation CollEx de ce fonds a été déposé en 2022.
Avec les publics non-académiques
En novembre 2021, LAT a rejoint le collectif de 70 structures « Alliance pour la lecture », grande cause nationale 2021-2022, symbole de son souci continu de maintenir une démarche de lecture publique en lien avec le territoire immédiat. Si l’accueil des enfants a été freiné par la pandémie de Covid-19 – une journée dédiée à l’accueil de scolaires autour du fonds LAT en mars 2020 a été reportée –, le fait d’offrir un premier contact avec l’université demeure une opportunité offerte par Livres au trésor. Depuis 2018, en partenariat avec l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV), des lectures d’ouvrages du fonds G-BOOK ont ainsi pu avoir lieu dans des espaces de l’université à destination de scolaires ou d’enfants du personnel.
Également avec l’aide de l’AFEV, la BUEM a participé aux éditions 2021 et 2022 des Nuits de la lecture : si l’accueil de public autour du fonds LAT a finalement été annulé en raison de la pandémie, des vidéos de lectures ont été mises en ligne et l’on peut espérer que les prochaines éditions puissent se tenir en présence d’un public nombreux.
Certains programmes ou projets de recherche contribuent à créer un lien entre l’USPN et son environnement immédiat : les ateliers d’écriture associant des classes de 6e, de 5e et de 4e Segpa pour le volet du projet européen G-BOOK 2 des établissements scolaires proches (collège Jean-Vilar de Villetaneuse et collège Roger-Martin-du-Gard d’Épinay-sur-Seine) ont par exemple débuté à l’automne 2021 et doivent donner lieu à une restitution des enfants à l’université au printemps 2022.
Un autre exemple récent est celui du projet « Caniscol 95 », qui doit démarrer en 2022 à la suite de la création récente d’un DU « Médiateur canin en intervention sociale à l’USPN ». Le projet, mené auprès de collèges du Val-d’Oise par Christophe Blanchard, enseignant-chercheur de l’équipe du laboratoire Experice, vise à lutter contre le décrochage scolaire au moyen d’un accompagnement d’enfants par un maître-chien afin de leur apprendre les bases de la médiation canine, puis à leur faire réaliser des ateliers de lecture en utilisant les collections de LAT.
Conclusion
Le fonds Livres au trésor constitue un objet unique dans le paysage universitaire par sa thématique, l’ampleur de ses collections et son parcours, de la lecture publique à l’université. Il s’inscrit dans de nombreux réseaux, de l’échelle locale à l’échelle internationale : réseau local et national en matière de lecture publique et d’éducation, réseau du GIS CollEx-Persée grâce à sa labellisation, et réseau européen en tant que partenaire du projet G-BOOK. Il permet ainsi de lier recherche et enseignement de l’université au territoire de la Seine-Saint-Denis et contribue, à son échelle, à les mettre au service de la société civile.
Sa présence au sein de l’USPN depuis 2014 vient consolider son statut pionnier dans le domaine des études sur l’enfance (childhood studies), qui sont encore en cours de légitimation dans le champ académique français. Elle a également un effet structurant par son association avec le FPJS, installé dans les locaux de Villetaneuse à la fin de l’année 2020. La passerelle thématique évidente qui relie ces deux fonds est confirmée par la proximité institutionnelle des laboratoires Pléiade et Experice, qui font partie de la structure interne à l’USPN, Médialect, mais aussi de leurs thématiques d’enseignement et de recherche. L’exploitation conjointe de ces deux fonds par les équipes des laboratoires et le personnel scientifique de la bibliothèque ouvre un vaste champ d’exploration transdisciplinaire pour les années à venir.
Présentation de l’auteur
Louis Delespierre est conservateur des bibliothèques depuis 2018 (promotion DCB 27). Après un premier poste de chargé d’études (services au public, valorisation et numérisation des bibliothèques universitaires) au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, il rejoint en janvier 2022 l’université Sorbonne Paris Nord et la bibliothèque universitaire Edgar-Morin (Villetaneuse). En tant que responsable du service valorisation des collections patrimoniales, il est plus particulièrement chargé de la conservation, de l’enrichissement et de l’exploitation du fonds Livres au trésor (LAT) et du Fonds patrimonial du jeu de société (FPJS).
Bibliographie
- ARIÈS, Philippe. L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Paris : Points. 2014 [1960].
- BOURDIEU, Pierre et Yvette DELSAUT. « Pour une sociologie de la perception », Actes de la recherche en sciences sociales. Novembre 1981, vol. 40 no 1. p. 3-9. En ligne : https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1981_num_40_1_2131 [consulté le 21 mai 2022].
- CALENGE, Bertrand. Conduire une politique documentaire. Paris : Éditions du Cercle de la Librairie. 1999.
- CHAFFIN-LÉVÊQUE, Laurence. De l’usage de la littérature de jeunesse dans l’éducation des filles au XIXe siècle, thèse de doctorat. Université de Caen. 2014. En ligne : http://www.theses.fr/2014CAEN1019 [consulté le 21 mai 2022].
- GARNIER, Pascale. « L’“agency” des enfants. Projet scientifique et politique des “childhood studies” », Éducation et sociétés. 22 décembre 2015, vol. 36 no 2. p. 159-173. En ligne : https://doi.org/10.3917/es.036.0159 [consulté le 21 mai 2022].
- LÉVÊQUE, Mathilde. Histoire de la littérature allemande pour la jeunesse. Vincennes : Éditions Thierry Marchaisse. 2017.
- LÉVÊQUE, Mathilde. « Les Childhood Studies en France : esquisses d’un domaine à construire », Blog Le magasin des enfants. 9 février 2017. En ligne : https://magasindesenfants.hypotheses.org/5894 [consulté le 21 mai 2022].
- LÉVÊQUE, Mathilde. « Les écrivains communistes pour la jeunesse pendant l’entre-deux-guerres », Itinéraires. Littérature, textes, cultures. 1er décembre 2011, no 2011-4. p. 105-115. En ligne : https://doi.org/10.4000/itineraires.1400 [consulté le 21 mai 2022].
- LÉVÊQUE, Mathilde et Déborah LÉVY-BERTHERAT (dir.). Enfants sauvages : représentations et savoirs. Paris : Hermann. 2017.
- LÉVÊQUE, Mathilde et Virginie MEYER. « Regards sur la critique de la littérature pour la jeunesse », Strenæ. Recherches sur les livres et objets culturels de l’enfance. 30 juin 2017 no 12. En ligne : https://journals.openedition.org/strenae/1696 [consulté le 20 mai 2022].
- SIROTA, Régine. « L’enfance au regard des Sciences sociales », AnthropoChildren. 1er janvier 2012. En ligne : https://popups.uliege.be/2034-8517/index.php?id=921 [consulté le 20 mai 2022].