Jeux vidéo en bibliothèque : des collections pas comme les autres ?

L’exemple de la bibliothèque départementale du Val-d’Oise

Nicolas Barret

Le jeu vidéo est, depuis deux décennies, un des loisirs préférés des français·es. Les confinements successifs ont d’ailleurs amplement accentué cet engouement. Les chiffres 2021 du SELL 1

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L’essentiel du jeu vidéo. Bilan du marché français 2021. Mars 2022. En ligne : https://www.sell.fr/sites/default/files/essentiel-jeu-video/essentiel_du_jeu_video_mars_2022_sell.pdf

(Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) indiquent que 77 % des français·es de plus de 10 ans jouent occasionnellement aux jeux vidéo. Parmi ces personnes, 55 % y jouent au moins une fois par jour. On compterait en France 38,29 millions de joueur·euses, toutes plateformes confondues. Et, contrairement aux idées reçues, c’est un loisir majoritairement adulte puisque, à titre d’exemple, l’âge moyen des joueur·euses sur smartphone est de 38 ans, sur console de 33 ans, et sur PC de 42 ans.

Outre son impact économique indéniable (voir encadré), le jeu vidéo a progressivement été perçu comme un réel atout culturel, notamment par les pouvoirs publics 2

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En 2006, les designers de jeux vidéo Shigeru Myamoto (créateur de Mario), Michel Ancel (créateur de Rayman) et Frédéric Raynal (créateur d’Alone in the Dark) sont décorés chevaliers dans l’ordre des Arts et des Lettres. En 2011, le Grand Palais inaugure une première exposition autour de l’histoire des jeux vidéo, intitulée « Game Story ».

. Le ministère de la Culture, notamment, soutient activement la création française 3, que ce soit par un crédit d’impôts, des fonds d’aides à la création ou, depuis 2019, par le biais du Pass Culture, qui permet aux jeunes d’acquérir des jeux vidéo, à condition que leurs éditeurs soient français.

Pourtant, dans les bibliothèques françaises, et malgré une évolution certaine du discours professionnel ces dernières années, le jeu vidéo peine toujours à trouver sa place dans les collections. En dehors de quelques exceptions, l’importance économique et culturelle du support semble avoir peu changé la vision d’une grande partie des bibliothécaires à son égard. La méconnaissance, les a priori ou tout simplement le manque de budget peuvent expliquer ce faible engouement. Malgré tout, certaines structures municipales ou intercommunales se sont prises au jeu et ont commencé, dès les années 2000, à proposer à leurs publics des animations ou des collections empruntables directement. Les bibliothèques départementales ont décidé plus récemment d’accompagner cette évolution, que ce soit sous forme de prêt de documents et de matériels, de formations ou de soutien financier. C’est le cas de la bibliothèque départementale du Val-d’Oise (BDVO) qui, dès 2011, a aidé au développement de l’offre de jeu vidéo sur son territoire. Après un rapide état des lieux de la place du jeu vidéo dans les bibliothèques françaises, nous verrons comment la BDVO s’est emparée du sujet pour impulser une dynamique autour du jeu vidéo, puis accompagner et soutenir les structures du Val-d’Oise.

Le paradoxe du jeu vidéo en bibliothèque publique française

Une vision positive depuis les années 2000…

Si l’on en croit l’article de Julien Devriendt 4

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Responsable numérique du réseau des médiathèques de L’Haÿ-les-Roses.

, paru en 2019 dans Documentation et bibliothèques 5
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Julien DEVRIENDT. « État des lieux du jeu vidéo dans les bibliothèques françaises », Documentation et bibliothèques. 2019, vol. 65 no 3. p. 30‑38. En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/documentation/2019-v65-n3-documentation04880/1064747ar/ [consulté le 30 mai 2022].

, la revue trimestrielle de l’Association pour l’avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED), c’est dans les années 2000 que le jeu vidéo commence à bénéficier d’un discours positif dans le monde des bibliothèques publiques françaises.

On peut noter, par exemple, la création en 2006 d’une rubrique de critiques de jeux vidéo dans la Revue des livres pour enfants, éditée par le Centre national de la littérature jeunesse, ou, dès 2008, le travail du groupe « Bibliothèques hybrides » de l’Association des bibliothécaires de France (ABF) autour de la place des jeux vidéo parmi les outils numériques utilisés en bibliothèque. Cette réflexion mènera à la création d’une commission « Jeux vidéo en bibliothèque » (devenue depuis « Jeux en bibliothèque » 6

), puis, en 2012, à la mise en place d’un groupe d’échange Facebook 7 qui compte aujourd’hui plus de 6 500 membres.

En 2009, Céline Ménéghin, aujourd’hui directrice de la bibliothèque départementale du Loir-et-Cher, soutient son mémoire d’étude de conservateur : celui-ci a pour sujet la place du jeu vidéo en bibliothèque 8

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Céline MÉNÉGHIN. Des jeux vidéo à la bibliothèque. Mémoire d’étude de conservateur des bibliothèques. Villeurbanne : Enssib. 2009. En ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/2102-des-jeux-video-a-la-bibliotheque.pdf [consulté le 30 mai 2022].

. En 2014, l’ABF publie un ouvrage dans sa collection « Médiathèmes », intitulé Jeux vidéo en bibliothèque 9
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Anne-Gaëlle GAUDION et Nicolas PERISSE (dir.). Jeux vidéo en bibliothèque. Paris : ABF. 2014 (coll. Médiathèmes). Voir : https://abf.asso.fr/boutique/mediathemes/10-jeux-video-en-bibliotheque.html

et, en 2015, ce sont les Presses de l’Enssib, dans leur collection « La Boîte à outils », qui éditent Jouer en bibliothèque 10
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Julien DEVRIENDT. Jouer en bibliothèque. Villeurbanne : Presses de l’Enssib. 2015 (coll. La Boîte à outils ; 34). Voir : https://presses.enssib.fr/catalogue/jouer-en-bibliotheque-34

, qui aborde la question du jeu au sens large, et du jeu vidéo en particulier, dans les bibliothèques.

Cette question du jeu fera également l’objet d’un rapport de l’Inspection générale des bibliothèques en 2015, mené par Françoise Legendre et intitulé Jeu et bibliothèque : pour une conjugaison fertile 11

.

Mais une présence contrastée dans les structures aujourd’hui

La présence du jeu vidéo dans les bibliothèques françaises n’est quantifiée que depuis 2017, via le questionnaire du service du Livre et de la Lecture du ministère de la Culture, envoyé chaque année aux bibliothèques. Jusqu’ici, le nombre de documents et le budget alloué à ces collections n’y étaient pas spécifiquement indiqués.

La dernière synthèse de cette enquête est celle de 2018, mais elle est avare de données concernant le jeu vidéo. Heureusement, Julien Devriendt, toujours dans son article de 2019 publié dans la revue Documentation et bibliothèques, a réalisé une analyse approfondie des chiffres bruts collectés en 2017. Ces chiffres font état d’une réalité inégale sur le territoire, assez éloignée de la vision positive des instances professionnelles.

On pourra noter, par exemple, que sur les 7 737 bibliothèques publiques françaises, seules 421 déclarent disposer d’un fonds de plus de 10 jeux vidéo, 259 de plus de 50, et seulement 18 d’un fonds de plus de 1 000 titres !

Et seuls 290 établissements ont un budget d’acquisition dédié, pour une moyenne de 1 770 € par an. Sans surprise, ce sont les plus grosses structures ou les réseaux de bibliothèques de communautés d’agglomération ou de métropoles qui bénéficient de collections et de budget importants.

Dans le Val-d’Oise, jusque très récemment, les bibliothèques étaient également frileuses quant au fait de proposer des collections ou des animations vidéoludiques. C’est pourquoi, dans un esprit « troisième lieu », avec une volonté d’accompagner la modernisation des bibliothèques du territoire et de renforcement du lien social, la bibliothèque départementale du Val-d’Oise s’est emparée du sujet et s’est lancée dans une campagne de promotion et de soutien, il y a déjà plus de dix ans.

Construire l’offre de jeux vidéo à la BDVO

Budget et collections

Le budget de fonctionnement annuel dédié à ce fonds est passé de 3 000 € en 2016 à presque 15 000 € en 2020 et 13 000 € en 2021. L’impact sur les prêts à nos partenaires est positif, puisqu’il y a eu 519 prêts de jeux vidéo en 2016 et 681 en 2021. Il est à noter cependant que ces chiffres, qui pourraient paraître assez faibles dans une bibliothèque municipale, résultent du fait que les bibliothèques partenaires de la BDVO peuvent emprunter les documents pour une durée d’un an. D’où un taux de rotation annuel très réduit.

La politique d’acquisition de ce fonds n’a jamais vraiment fait l’objet d’un document écrit (la charte documentaire de la BDVO 12

est un document cadre votée en 2022), mais elle existe de manière informelle, et surtout s’adapte aux besoins et aux usages des bibliothèques du territoire. Les critères d’acquisition du fonds de jeux vidéo en prêt direct mettent principalement l’accent sur la variété des contenus, du jeu très grand public et connu à des titres plus confidentiels, avec tous les styles de gameplay (aventure, sport, action…), mais majoritairement axés jeunesse. Non par souci de ne pas exposer le public à des titres plus matures, mais simplement parce que les statistiques de prêts nous montrent que c’est ce qu’empruntent en priorité les bibliothécaires du département. Il faudrait enquêter de manière plus approfondie auprès de nos partenaires pour savoir si ce choix est lié au public de ces structures, des enfants et des adolescents qui emprunteraient plus que les adultes, ou si c’est lié à une crainte et à une méconnaissance des titres classés 16 ans, 18 ans et plus.

Le budget n’est pas à l’heure actuelle un véritable problème puisqu’il dépasse les 13 000 € par an ces dernières années, et permet donc d’acquérir une grande part de la production physique sur consoles. Il n’est pas prévu pour l’instant de proposer une offre dématérialisée, même si celle-ci est très riche, puisqu’il n’existe aucun système permettant de prêter ce type de contenu sans fournir également la console. Cela pourra faire l’objet d’une future acquisition de packs jeu vidéo « clés en main ».

L’achat de jeux est une question épineuse puisque certains fournisseurs de jeux vidéo n’acceptent pas les mandats administratifs et d’autres ne peuvent pas faire de commandes et préfèrent le choix en magasin. Pour la BDVO, un lot est prévu dans le marché d’acquisition de documents, attribué à un fournisseur connus des bibliothèques, même si les prix affichés sont 30 % plus élevés que ceux du commerce. À l’origine, ce surcoût était annoncé comme lié au droit de prêt, puis au droit de consultation. Sauf exceptions, ce surcoût n’a en réalité pas lieu d’être : en effet, selon la loi, il est interdit de prêter des jeux vidéo sans l’accord des ayants droit. Il est peu probable que le fournisseur ait eu l’autorisation de Sony ou de Nintendo de vendre des jeux qui seront ensuite prêtés en bibliothèque.

Dans tous les cas, la BDVO a fait le choix de prêter ces jeux sans demander l’autorisation aux éditeurs, puisque, d’une part, ceux-ci répondent très rarement aux demandes et, d’autre part, les bibliothèques prêtent des CD et des vinyles depuis des décennies, sans payer aucun droit de prêt. Il faut espérer qu’un jour, comme pour le marché du livre, un accord soit trouvé entre les éditeurs de jeux et les bibliothèques qui conviendra aux deux parties. Malheureusement, le monde des bibliothèques est pour l’instant bien éloigné des préoccupations des grandes entreprises comme Sony, Microsoft ou Nintendo.

Enfin, cette offre a su évoluer avec les années : les jeux désherbés car trop anciens (hormis ceux en mauvais état ou incomplets) ont été conservés dans la réserve de la BDVO, dans l’idée de les réutiliser plus tard pour faire du « retro-gaming », au profit des jeux sur consoles plus récentes. Suite à l’analyse des statistiques de prêt, il a été décidé de prioriser une offre de jeux à destination des plus jeunes et de réduire l’acquisition des jeux destinés aux 16 ans et plus.

Un outil d’animation clés en main : accompagner l’offre de la bibliothèque

Le projet de proposer une véritable offre de jeux vidéo aux bibliothèques partenaires a germé en 2010, lors d’une réflexion autour des outils d’animation de la BDVO.

Jusqu’alors, la BDVO ne proposait que quelques CD-ROM de jeux, souvent éducatifs ou documentaires, qui ne représentaient qu’une petite partie du fonds et ne rencontraient qu’un succès très relatif.

L’offre d’outils d’animation, quant à elle, fonctionnait bien mais restait circonscrite aux outils classiques, comme les expositions ou les tapis de lecture. Dans une optique de modernisation et d’attractivité du service, il fut décidé de proposer de nouveaux outils, et parmi ceux-là, le jeu vidéo. Celui-ci, alors qu’il rencontrait un succès très important auprès du grand public, restait encore assez méconnu des professionnel·les de la lecture publique, voire suscitait des réactions négatives d’une partie de la profession. Comme pour les mangas ou d’autres supports culturels avant eux, certain·es bibliothécaires ont pu considérer que les jeux vidéo n’avaient rien de « culturel », voire qu’ils abêtissaient la jeunesse, et donc n’avaient rien à faire en bibliothèque, temple de la Culture avec un grand C… Des réactions majoritairement liées à une méconnaissance du support.

Une offre de jeux vidéo avait le mérite de permettre aux bibliothèques du département de :

  • faire une place au jeu vidéo comme véritable médium culturel ;
  • se familiariser avec son public et ses usages ;
  • attirer et fidéliser le public absent des bibliothèques, les adolescent·es en particulier ;
  • rénover l’image de la bibliothèque ;
  • et surtout renforcer le rôle de la bibliothèque comme facteur de lien social.

En 2011, une journée d’étude sur le jeu en bibliothèque, intitulée « Jouer en bibliothèque, lire en ludothèque » et organisée à ludothèque d’Herblay-sur-Seine, puis un sondage auprès des bibliothèques du département permirent d’identifier un réel intérêt des professionnel·les du territoire.

La majorité des bibliothécaires ayant répondu souhaitait bénéficier d’une aide à l’animation centrée sur le jeu vidéo ou d’une formation sur le sujet.

Suite à ces résultats, une première offre fut mise en place, doté d’un budget initial de 5 000 € : trois packs clés en main comprenant chacun une console différente, un écran de TV, des manettes, casques et connectique, ainsi qu’une quinzaine de jeux, le tout conditionné dans des valises de transport.

Cette offre, bien qu’ayant évidemment évolué dans son contenu, reste à ce jour quasiment identique dans ses principes : du matériel permettant de privilégier l’animation de groupe et de favoriser le lien social, et une sélection de jeux récents et variés afin de mettre en avant la diversité du support et de toucher tous les publics, sans limitation d’âge.

À l’heure actuelle, sept packs jeu vidéo 13

sont empruntables par les partenaires : deux packs Nintendo Switch, un pack Nintendo WiiU, un pack Sony PlayStation 4, un pack Sony PlayStation 3, un pack Microsoft Xbox One et un pack Microsoft Xbox 360. Chaque pack se compose du même type de matériel que les trois packs initiaux, à la différence que le nombre de jeux disponibles est passé de quinze à une vingtaine, pour une valeur totale d’achat de 2 000 à 3 000 € par pack.

À cela s’ajoute un pack Sony Playstation VR, qui propose un casque de réalité virtuelle adaptée à la Playstation 4, et, depuis 2021, des outils « retro-gaming » : une borne d’arcade Neo Geo et un flipper numérique Gottlieb. D’autres outils sont en cours d’acquisition ou de réflexion, comme des casques autonomes de réalité virtuelle Oculus ou un pack Microsoft Xbox Series X.

Les packs jeu vidéo ont plusieurs avantages pour les bibliothèques mais aussi quelques inconvénients.

Puisqu’ils sont clés en main, ces packs demandent peu d’efforts de mise en place aux bibliothèques qui les empruntent, et ne nécessitent aucun achat de leur part. Il leur suffit d’avoir un espace disponible de 5 m2 minimum par console, et, si ce n’est pas déjà le cas, de tester le matériel quelques jours avant la mise à disposition auprès du public, afin de le prendre en main.

Puisqu’il s’agit de jeu sur place, en multijoueur local, la connexion Internet n’est pas indispensable, même si elle permet d’avoir accès à plus de fonctionnalités.

Par ailleurs, la question du droit de prêt (même si nous verrons plus loin qu’il s’agit d’un faux problème) ne se pose pas, puisque le matériel est prêté en même temps que les jeux, et pas directement au public.

Malgré tout, quelques problématiques peuvent survenir, notamment la question des sauvegardes, qui ne peuvent se multiplier sur les consoles compte tenu de la taille des disques durs, ou celle des comptes personnels de chaque joueur·euse, qui ne peuvent là non plus être conservés.

Par ailleurs, le matériel étant important et relativement cher, il est nécessaire que celui-ci soit vérifié à chaque prêt et retour, que ce soit par le partenaire emprunteur ou par les équipes de la BDVO. De même, les mises à jour doivent être effectuées régulièrement par la BDVO, au risque que certains jeux ne puissent pas ou plus fonctionner.

Enfin, se pose la question de la disponibilité du matériel en ces temps de pénurie de composants informatiques suite à la crise du Covid, puisque, à titre d’exemple, il est quasiment impossible d’acquérir dans le commerce la PlayStation 5, dernière machine de Sony. Difficile alors de rester à jour sur l’offre de jeu vidéo actuelle…

La crise du Covid, si elle a impacté fortement les bibliothèques et en particulier leur politique d’animation, a également touché, par effet de ricochet, l’offre d’outils d’animation vidéoludique de la BDVO. Alors que les prêts des packs jeux vidéo étaient en constante augmentation depuis 2011, pour atteindre 42 prêts par an en 2018 puis 47 en 2019, l’année 2020 les a vus chuter à 10 prêts uniquement. Ils sont remontés à 30 en 2021, et nous espérons que 2022 permettra aux bibliothèques de relancer leurs animations et d’emprunter plus d’outils.

Nous avons vu que cette offre de jeu vidéo s’inscrit dans une politique de soutien à l’animation, mais elle est également un moteur d’un des axes prioritaires du département du Val-d’Oise, le numérique, sujet sur lequel travaille en profondeur la BDVO et pour lequel elle a obtenu la labellisation Bibliothèque numérique de référence en 2019.

Le jeu vidéo, un outil pour développer le numérique en Val-d’Oise

La question du numérique est une question travaillée depuis longtemps par la bibliothèque départementale du Val-d’Oise, que ce soit par le biais de journées d’études (« La bibliothèque dématérialisée », un cycle de journées entre 2007 et 2011 en partenariat avec Cible95, l’association des bibliothèques du Val-d’Oise) ou de formations gratuites pour ses partenaires.

À partir de 2015, la BDVO a lancé un projet ambitieux intitulé PPNVO (Promotion des pratiques numériques en Val-d’Oise), afin d’encourager et faciliter l’accès de tous les Valdoisiens aux technologies numériques, de faire évoluer l’image de la bibliothèque, et d’améliorer le service rendu aux publics, en stimulant la mutualisation des actions et des moyens mis en œuvre. Pour cela, la BDVO souhaite :

  • accompagner les expérimentations : permettre la mise en œuvre de projets innovants en matière numérique et proposer un cadre pour leur évaluation et leur capitalisation à l’échelle départementale ;
  • collecter et analyser les évolutions : produire des outils d’analyse basés sur les expériences locales et prenant en compte le contexte valdoisien, pour aider à la décision les collectivités qui souhaitent s’engager dans le numérique ; partager cette expérience et ces outils en Val-d’Oise et au-delà ;
  • accompagner les professionnels : proposer des formations adaptées et qui permettent de réinventer le rôle de la bibliothèque dans l’accès aux savoirs et aux loisirs grâce aux pratiques et usages numériques.

Le PPNVO, fortement subventionné par l’État, a permis de proposer une offre de formation très développée et l’acquisition de nouveaux outils numériques. Il a permis en particulier la mise en place, en 2015, d’un fonds vidéoludique en prêt direct, sans nécessité d’emprunt des packs jeu vidéo.

Avec un budget initial de presque 13 000 €, ce nouveau service a pu, dès le départ, proposer une offre intéressante et assez complète de jeux, de tous styles et pour tous les âges, avec un accent mis sur les blockbusters pour attirer le public, sans oublier des jeux moins grand public mais avec de réelles qualités artistiques.

Ce fonds compte à l’heure actuelle plus de 1 400 jeux, toutes consoles confondues. Même s’il n’existait pas à l’époque de politique d’acquisition spécifique aux jeux vidéo (hormis les connaissances individuelles du personnel en charge du fonds), le choix a été fait de ne pas acquérir de jeux sur PC, pour plusieurs raisons : l’offre de jeux PC sur support physique était en train de disparaître au profit des plateformes de jeu en streaming, et pour les jeux encore disponibles en boîte, ceux-ci nécessitaient la connexion à un compte unique. Une fois liés à un compte, il était ensuite impossible de les prêter.

Le PPNVO a été renouvelé plusieurs fois jusqu’en 2018, puis, en 2019, la BDVO s’est engagée dans un projet de labellisation BNR (Bibliothèque numérique de référence) : ce programme du ministère de la Culture a pour objectif d’aider les collectivités françaises à se doter de programmes numériques de haut niveau, via un accompagnement financier. Le label reconnaît à la collectivité la qualité du projet présenté.

95BPN (Bibliothèques publiques & Numérique en Val-d’Oise) 14

est donc lancé en 2019, et obtient la labellisation la même année. Ce projet très ambitieux sur trois ans traduit une volonté de contribuer à l’équité territoriale numérique, d’accompagner l’évolution des usages des publics et des pratiques professionnelles, et de proposer des services innovants. Il s’appuie sur les orientations de 2012 du conseil départemental en matière de lecture publique, et sur l’importance de placer le numérique au service de l’humain. Associer les bibliothèques partenaires, les services du conseil départemental et des autres administrations, les personnels de la bibliothèque départementale, fait partie intégrante de cette démarche.

Ce projet permit d’obtenir la labellisation BNR la même année. Cette labellisation a permis de développer une offre importante autour du numérique : de la formation, que ce soit via un marché de formations spécifique ou via la mise en place d’un Fab Lab au sein de la BDVO, des nouveaux outils et matériels, la mise en place d’un nouveau portail, d’un nouveau SIGB (système intégré de gestion de bibliothèque) et de la RFID (radio-identification), et l’embauche d’une médiatrice numérique.

Le jeu vidéo est pleinement intégré au projet, puisque 95BPN vise à développer à la fois l’offre d’outils d’animation, mais aussi le fonds de jeux vidéo en prêt.

Conclusion

Depuis 2011, la BDVO a encouragé et soutenu la mise en place de jeux vidéo dans les bibliothèques, en tant qu’outil du développement du numérique et du lien social sur le territoire. Grâce aux prêts de matériel et de jeux, aux formations dispensées dans ses locaux ou en partenariat avec d’autres structures (comme lors du festival annuel CergyPlay 15

organisé par les médiathèques de Cergy), ou au soutien financier dans le cadre des Appels à projets 16 notamment, les bibliothèques du Val-d’Oise ont pu découvrir, expérimenter, puis se lancer dans l’aventure vidéoludique.

Les chiffres sont éloquents : le nombre de jeux disponibles en prêt dans les bibliothèques du Val-d’Oise a augmenté de 66 % entre 2017 et 2021, passant de 1 638 documents à 4938, et les budgets ont augmenté de 47 %, passant de 25 000 € cumulés à 45 000 €.

Malgré tout, ces chiffres positifs cachent encore, comme dans le reste de la France, une réalité très contrastée. En effet, seules 20 collectivités proposaient du jeu vidéo dans leur bibliothèque en 2020, et 87 % des dépenses d’acquisition étaient réalisées par cinq d’entre elles. Ces collectivités, parmi lesquelles les communautés d’agglomération de Cergy-Pontoise ou de Val Parisis, disposent de réseaux de bibliothèques dotés de moyens importants, et touchent une grande partie des Valdoisiens puisqu’elles sont situées dans les zones les plus densément peuplées du département.

Néanmoins, le travail de soutien du conseil départemental et de la BDVO autour du numérique (et du jeu vidéo) se poursuit et s’accentue, en particulier dans les territoires où la fracture numérique est la plus importante, quartiers populaires comme campagnes moins peuplées. La BDVO va relancer une demande de labellisation BNR auprès du ministère de la Culture, afin de continuer à soutenir de manière volontaire et efficace les bibliothèques du département, et va poursuivre sa réflexion sur la politique documentaire en matière de jeux vidéo. En parallèle, le personnel de la bibliothèque départementale continue de se former au numérique, et au jeu vidéo en particulier, grâce à des formations internes et à l’arrivée récente d’une médiatrice numérique en charge du Nouv’Labo, le Fab Lab de la BDVO. Les compétences d’acquisition et de mise en place de l’offre sont dorénavant distribuées entre plusieurs agent·es, qu’iels soient responsable des outils d’animation, responsable images et son ou médiatrice numérique. Leur expertise leur permet d’accompagner en direct les partenaires ou de soutenir les référent·es de territoire dans leur travail d’ingénierie auprès des bibliothèques du département.

Le jeu vidéo, une industrie florissante

L’impact économique est très important : comme le révèlent les données 2019 publiées respectivement par Newzoo, Billboard et l’IFPI1, l’industrie mondiale du jeu vidéo, avec ses 175 milliards de dollars de chiffre d’affaires, se place loin devant l’industrie de la musique enregistrée (20 milliards de dollars) et du cinéma (12 milliards de dollars). Un phénomène évidemment amplifié par la crise sanitaire.

En France, l’industrie du jeu vidéo a signé en 2021 une nouvelle performance record, avec un chiffre d’affaires de 5,6 milliards d’euros. C’est une augmentation de +1,6 % par rapport à 2020, qui avait déjà été une année exceptionnelle. Sur deux ans, le marché a progressé de 13,5 %. À titre de comparaison, l’industrie du livre, si elle a connu une année 2021 particulièrement prospère avec un bond de 18 % par rapport à 2020, génère un chiffre d’affaires de 4,5 milliards d’euros.

1. Luka LEMORENTIN. « Chiffre d’affaires du marché jeu vidéo : loin devant le ciné et la musique », AVCesar. 12 août 2020. En ligne : https://www.avcesar.com/actu/id-31485/chiffre-daffaires-du-marche-jeu-video-loin-devant-le-cine-et-la-musique.html [consulté le 31 mai 2022].


Présentation de l’auteur

Nicolas Barret est référent de territoire et chargé de communication à la bibliothèque départementale du Val-d’Oise (BDVO). Auparavant référent animation à la BDVO, il a pu allier sa passion du jeu à son travail, avec la mise en place d’une offre de jeux vidéo en 2011.

Il est également animateur et formateur sur la thématique du jeu au sens large, et est intervenu pour de nombreuses collectivités. Il est par ailleurs créateur et administrateur du groupe Facebook « Jeu en bibliothèque » 17

, qui compte environ 5 500 membres aujourd’hui.